La
publication d'une histoire de l'Église arménienne,
écrite par l'un de ses plus éminents
représentants, paraîtra d'une utilité
incontestable. C'est un tableau précis de ce christianisme
oriental avec ses doctrines, ses croyances, son sacerdoce, en
même temps qu'une oeuvre d'enseignement politique et social que
son auteur, dans un but de vulgarisation, a voulu rendre accessible
à tout le monde; car il ne saurait être question ici d'un
récit complet des annales de l'Arménie depuis sa
conversion au christianisme. L'auteur aurait dû soulever une
abondante documentation et il a craint de fatiguer le lecteur de
détails qui l'auraient rebuté. Il s'est borné
à mettre en relief les événements les plus
saillants et les traits les plus propres à nous faire
connaître cette partie si intéressante de la
société orientale. Cette histoire puise un surcroît
d'intérêt dans ce fait qu'elle a été
écrite par un enfant de l'Orient, Mgr Ormanian, qui a
occupé durant douze années le siège patriarcal de
Constantinople. Il ne s'agit donc pas ici d'une de ces banales
productions littéraires écrites par des écrivains
qui se copient les uns les autres. Il ne sacrifie rien au pittoresque :
dans son livre il n 'y a que des faits et des idées. On sentira
également combien il est de bonne foi; on s'apercevra qu'il est
écrit non seulement avec conviction, mais avec une
indépendance de pensée qui surprendra le lecteur
européen, peu accoutumé à voir des
ecclésiastiques écrire de ce style. On se tromperait
pourtant en croyant que les sentiments qui y sont exprimés
appartiennent en propre à l'auteur. Le libéralisme dans
les idées tient à la constitution essentiellement
démocratique de l'Église arménienne. La
première chose qui frappe quand on étudie la
société qu'elle groupe et encadre c'est que le
clergé n 'y forme point une caste séparée. La
nation et l'église n 'y sont qu'une seule et même chose.
Entre elles, il n'y a ni conflit d'influence ou d'autorité, ni
antagonisme d'aucune sorte. Et qu'on n'aille point imaginer que parce
qu'elle est gouvernée par un patriarche la nation
arménienne vit sous la domination du clergé. On verra au
cours de cette histoire que tous les actes de ce haut dignitaire
ecclésiastique sont subordonnés à un minutieux
contrôle et que l'administration de l'église est
entièrement aux mains des laïques. « En Turquie,
écrit l'auteur, l'église est gérée par une
éphorie exclusivement composée de laïques
élus par la paroisse » . Il ajoute plus loin « que
la participation de l'élément laïque s'affirme
d'abord par l'élection des ministres du culte. » On
remarquera également que ce clergé, qui est élu et
contrôlé dans ses actes, ne vit que d'aumônes et de
donations volontaires, ce qui le met entièrement à la
discrétion des fidèles. Ainsi le laïque est dans
l'église et le clergé fait étroitement corps avec
la nation. Enfin les deux éléments se mêlent et se
pénètrent si bien que c'est surtout pour cette nation que
semble avoir été faite l'expression d'église
nationale. Elle est d'autant plus justifiée que c'est depuis sa
conversion au christianisme que cette nation a pris conscience
d'elle-même. C'est sur un principe de foi qu'elle s'est
constituée au IVe siècle, et depuis elle n'a pas
cessé de confondre ses destinées avec celles de
l'église. Celle-ci s'est révélée comme un
merveilleux principe d'organisation et de conservation. Dans
l'église, où il s'est réfugié,
l'Arménien a trouvé non seulement un centre de
ralliement, mais l'arche où s'est fidèlement
conservé tout ce qui l'attachait au passé: traditions,
moeurs, langue et littérature. C'est, sans doute, à cette
étroite identité d'intérêt, à cette
harmonie de sentiments avec l'élément laïque que
cette église est redevable de ses idées de
tolérance et de libéralisme. Elle le doit encore à
des raisons plus profondes. Elle croit que nulle église, si
considérable soit-elle, ne représente la
chrétienté entière; que chacune d'elles, prises
isolément, peuvent se tromper et qu'à l'église
universelle seule appartient le privilège de
l'infaillibilité dans ses jugements dogmatiques; mais si les
dogmes doivent rester intangibles, parce qu'ils sont le fil conducteur
qui rattache le présent au point de départ, en revanche,
elle fait bon marché de la doctrine. Celle-ci n'est que
l'expression du moment et par conséquent sujette à
variation, car rien ne peut se soustraire à la loi de
transformation. Si je ne m'abuse, tous les progrès sont en germe
dans ces théories. Le rôle des églises orientales
comme principe de conservation, l'auteur l'explique d'un mot quand il
dit que les églises primitives se constituèrent par ordre
de nationalité.
La raison de ce groupement fut déterminée, sans doute,
par la nécessité où l'on fut
d'évangéliser les masses dans leur propre langue. On dut
inventer des alphabets pour les idiomes qui en étaient
privés afin de leur rendre accessibles les livres saints, et ce
fut là, pour les races illettrées, le premier pas vers la
vie intellectuelle. Tel fut le cas des Arméniens au Ve
siècle et des Slaves au IXe. Sans cette circonstance il est
probable que la plupart de ces éléments ethniques
n'eussent formé que des agglomérations sans consistance
qui se seraient fondues dans la masse des peuples conquérants.
Mais pour durer, ils n'eurent qu'à se grouper autour de leurs
églises, à l'ombre desquelles ils ont vécu,
attendant l 'heure providentielle des revendications. C'est ainsi que
se sont révélées une foule de nationalités
que l'on croyait bien mortes. Au XVlIIe siècle, on ignorait les
Grecs, et nul ne pensait alors que les rayas de ce nom dussent jamais
se constituer en corps de nation indépendante. Mais après
leur affranchissement, publicistes et diplomates ne virent plus en
Orient que des Grecs orthodoxes. Ils ignoraient bien davantage les
Slaves du Danube et des Balcans que l'on confondait volontiers avec ces
derniers qui s'étaient brusquement révélés
à l'attention du monde européen en 1821. Les Grecs
eux-mêmes mettaient une complaisance plus qu'indiscrète
à entretenir cette erreur. « Sont comprises sous la
dénomination de Grecs-orthodoxes tous les chrétiens,
à quelque race qu'ils appartiennent, vivant sous le sceptre des
Osmanlis ", écrivait Pitzipios en 1856. Ce qu'on a appelé
le grand mouvement des nationalités a dissipé ces
illusions. Eveillé au contact des idées occidentales, le
sentiment national, qui dormait dans la conscience de ces peuples n'a
pas été moins vif que chez les Italiens et les Allemands.
Ils se sont pris à revivre la vie nationale comme si elle
n'avait jamais subi d'interruption, renouant les traditions et
s'assimilant tout ce qui peut favoriser leur développement.
Comme les sept dormans de
la Légende
, ils se sont réveillés sans se douter qu'ils sortaient
d'un sommeil plusieurs fois séculaire. Ce qui est non moins
merveilleux, c'est la communauté de sentiment et d'esprit qui
unit le peuple arménien malgré sa dispersion à
travers le monde. C'est pour toutes ces raisons que la question
religieuse ne cesse d'être vitale parmi les communions
chrétiennes de l'Orient. Le prestige de la religion y est encore
grand et c'est à peine si l'esprit moderne les a
effleurées; et si les nouvelles générations ne se
laissent plus guider par le clergé avec la même
docilité qu'autrefois, néanmoins personne ne songe
à rompre le pacte que la nation a contracté avec
l'Église. J'ai eu souvent l'impression très nette que
même lorsqu'il cesse de croire, l'Arménien ne cesse pas
pour cela de lui rester fidèle. Il sent d'instinct que si elle
venait à être sapée, tout s'écroulerait. Si,
depuis sa conversion au christianisme, cette nation a subi un
arrêt de développement, elle le doit à la
fatalité de circonstances historiques exceptionnelles.
Isolé dans ses hauts plateaux, sur l'un des grands chemins que
suivirent les migrations des peuples et des bandes conquérantes,
le pays arménien a été le champ clos où se
sont vidées toutes les vieilles querelles asiatiques. Les
invasions ont succédé aux invasions et le pillage aux
carnages, à partir du VIIe siècle. Bref, son histoire
n'est qu'un long martyrologe, pour me servir de l'expression de
l'auteur. L'Arménie a dû céder à la force,
mais en fléchissant sous le poids d'une destinée sans
pareille, elle a pu du moins sauver l'essentiel de ce naufrage,
c'est-à-dire, avec la vie, les éléments d'une
régénération qui a profité à tous et
qui sera l'une des forces de
la Turquie
reconstituée. On
sait que sous l'influence de leur principe théocratique, les Turcs ne
changèrent presque rien à la condition des peuples qu'ils soumirent. Ils se
bornèrent à leur imposer la prescription du Coran qui commande aux croyants de
laisser aux vaincus leurs biens à la condition de payer l'impôt de capitation
(Kharadj). Mettant à profit ces dispositions, les chrétiens s'organisèrent de
leur mieux et vécurent de leur vie propre tout en restant soumis à la
domination à laquelle ils étaient incorporés. Le patriarche, qui recevait
l'investiture de
la Porte
, devint le chef légal de la nation (Millet bachi). Chef
responsable vis à vis du Pouvoir, il veillait à la
perception des impôts qui s'opéraient par
l'intermédiaire de ses agents et sous sa garantie. Devant son
tribunal étaient portées des affaires litigieuses,
civiles ou criminelles, celles qui ont rapport au mariage et à
l'état civil. Les grecs étaient soumis à un
régime analogue. D'ailleurs, Mahomed II n'avait fait
qu'appliquer aux Arméniens les capitulations qu'il avait
octroyées au patriarche Gennadius. On remarquera que cette union
étroite des Arménien avec leur église ne les a
point empêchés d'évoluer dans le sens des
idées modernes. Malgré leur condition précaire,
leur action sociale et civilisatrice, a été plus
considérable qu'on ne pense. C'est principalement par leur
intermédiaire que leurs compatriotes musulmans ont pris tout
d'abord contact avec les idées et les usages de l'Occident.
C'est parmi eux que le sultan Mahmoud trouva les premiers auxiliaires
de la réforme dont il fut l'initiateur impitoyable. Il sut
utiliser leurs aptitudes dans les affaires, leur habileté dans
le maniement des finances; et, sans les désordres de
l'administration, l'Orient aurait pu tirer un meilleur parti de leur
génie commercial et industriel. L Après le Hatt-i-Cherif
de 1839, qui fut la charte d'affranchissement des chrétiens et
le premier pas vers la laïcisation de l'État, leur
première pensée fut de s'approprier quelques-unes des
idées et des méthodes de l'Europe moderne. Avant tout,
ils s'attachèrent à diminuer les pouvoirs du patriarche
au profit de l'élément laïque. C'était
revenir à l'esprit de la constitution de l'église qui
exclut toute prépondérance ecclésiastique dans le
domaine civil. En 1847, ils instituèrent, malgré
l'opposition de la notabilité d'argent, deux conseils
destinés à siéger à côté du
patriarche: un conseil composé d'ecclésiastiques pour
surveiller les actes de son administration spirituelle, et un conseil
laïque pour s'occuper des affaires civiles. Enfin en 1860, la
nation, enhardie par ce succès, se donnait, avec
l'agrément de
la Porte
,
une constitution dont l'idée fondamentale s'inspirait du dogme de la
souveraineté populaire. Elle ne réglait, il est vrai, que des intérêts
particuliers, mais elle n'en était pas moins une révolution considérable dans
les moeurs de l'Orient. Cette constitution maintenait le Patriarche au sommet
de la nation comme l'intermédiaire officiel de la communauté avec
la Porte. Ils
ne peuvent
songer à modifier ce point important du statut national sans mettre en péril le
reste des privilèges octroyés; mais on tourna la difficulté en subordonnant au
contrôle de l'assemblée générale les actes de ce dignitaire. A la faveur de ces
dispositions, toute une floraison d'oeuvres sociales s'épanouit spontanément,
qui marquait combien était grande dans les masses l'impatience d'une situation
meilleure. Son premier soin fut d'organiser l'instruction publique sur la base
de la gratuité. la nation, est-il dit dans l'exposé des principes généraux,
veut que les enfants des deux sexes, quelle que soit leur condition, reçoivent
tous sans exception les bienfaits de l'instruction et soient au moins initiés
aux connaissances indispensables. C'était déjà le programme que
la France
républicaine devait adopter une vingtaine d'années plus
tard sur l'enseignement primaire. Pour subvenir à leur entretien
la nation, qui payait déjà sa part des impôts
à l'État, dut s'infliger un surcroît de sacrifices.
Ils étaient d'autant plus lourds qu'elle devait également
subvenir à l'entretien d'un grand nombre d'institutions
hospitalières et de prévoyance. Ces améliorations
sociales, que le gouvernement tolérant d'Abdul-Aziz avait
rendues possibles, ne pouvaient manquer d'exciter la méfiance de
son ombrageux successeur. Abdul-Hamid vit de mauvais oeil ce paradoxe
étrange d'une administration libérale fleurir à
l'ombre de son gouvernement despotigue ; de l'ArménIen, asservi
et pressuré comme Sujet ottoman, mais libre en tant que membre
de son église. Cette anomalie ne pouvait durer. Suspects
à la fois en Turquie et en Russie, les Arméniens n'ont
plus eu depuis un seul instant de repos. Aussi aucun peuple n'a
salué avec une joie plus sincère qu'eux le régime
de liberté que le parti Jeune Turc a imposé
d'autorité en juillet 1908. Ils ont vu dans cet
événement inattendu non seulement une garantie contre les
excès d'un gouvernement arbitraire, mais la consécration
d'un progrès qui était déjà dans leurs
moeurs et vers lequel allaient leurs inclinations naturelles. Il y
avait là une communauté de pensée qui pouvait
puissamment aider à la réconciliation : c'est ce qui est
arrivé. Mais le nouveau gouvernement a essayé d'aller
plus loin. Il a cru que le moment était venu de supprimer, comme
inutiles, les privilèges des communautés religieuses. Il
a pensé, qu'à un régime nouveau il convenait
d'adapter des conditions nouvelles. Sans doute, les Arméniens ne
sont pas éloignés de partager cette opinion. Ne
nourrissant aucune idée particulariste, ils sont disposés
à n'apporter aucune entrave à l'oeuvre de conciliation.
Il savent que la situation de fait qui existe aujourd'hui est en
contradiction avec le principe fondamental du régime
parlementaire et qu'aussi longtemps que subsistera cette opposition, on
ne pourra pas dire que l'autorité législative repose sur
la volonté nationale; mais encore faut-il que l'oeuvre d'union
s'accomplisse sur un pied d'égalité. Sans
méconnaître l'importance des résultats acquis, les
chrétiens attendent du gouvernement un nouvel effort. Menant
l'évolution jusqu'au bout, il doit orienter l'État dans
le sens d'une laïcisation aussi complète que possible.
C'est alors que tomberont d'elles-mêmes les cloisons
étanches qui séparent les diverses nations en
présence; car si la religion leur a assuré la
durée, elle les a en même temps moralement rendues
réfractaires les unes aux autres. Un mouvement
général de réformes peut seul amener ce
résultat: il a pour condition première - qu'on ne
l'oublie point - une préparation des esprits par l'école
et par la pratique de la liberté. Ce n'est qu'à ce prix
qu'elles pourront s'unir ensemble et former le groupe solide qui fera
la patrie commune grande et prospère.
Bertrand BAREILLES.
Constantinople, le 1er juin
1910.
(Bertrand Bareilles a été
précepteur des enfants du Sultan.)
L'ÉGLISE ARMÉNIENNE
I. LE BUT QUE NOUS NOUS PROPOSONS
Ce
n'est pas un travail de longue haleine que nous offrons au public. Les
questions touchant l'Église en général ou les
Églises en particulier ouvrent un trop large champ aux
discussions critiques, historiques et philosophiques, pour que nous
nous y engagions; et, d'ailleurs, ce n'est point sur ce terrain que
nous entendons nous placer. On conviendra que l'Église garde
encore intacte son existence, son influence même, en dépit
des coups décisifs que les esprits ont cru lui avoir
portés. Certains points de doctrine ont été
réputés absurdes, des faits historiques ont
été relégués parmi les légendes,
néanmoins l'Église et les Églises ne cessent, en
plein vingtième siècle, de faire preuve d'une remarquable
vitalité; et les tendances du progrès intellectuel, civil
et politique, sont obligées de tenir compte de l'action qu'elles
exercent encore sur les âmes. Mais abandonnons les
généralités pour arriver au but que nous nous
proposons. L'Arménien, jadis presque oublié, est
entré dans l'actualité depuis quelques dizaines
d'années. Son passé, son présent et son avenir
constituent autant de sujets d'études ; on a fini par
s'intéresser à cette race antique qui, à travers
les siècles et les plus cruelles vicissitudes, n'a cessé
de donner des témoignages de son inextinguible vitalité,
Si, pour arriver à pénétrer le secret de la vie
d'une nation, il est indispensable de faire une étude de sa
religion, on pensera qu'une oeuvre comme celle-ci n'est pas sans
utilité; surtout, si l'on veut bien se souvenir que
l'Église Arménienne -laquelle, dans notre cas,
s'identifie étroitement avec la nation - a joué un
rôle considérable dans la vie nationale. Aussi bien cette
Église est à peine connue dans le monde. Les
écrivains les plus versés dans les études
ecclésiastiques et sociales n'ont guère porté leur
attention sur elle. Cependant, malgré sa situation modeste et
l'obscurité de sa condition, elle ne laisse pas d'avoir une
importance de tout premier ordre par la qualité des principes et
des doctrines qui sont en elle. Ces principes sont dignes,
croyons-nous, de servir de base à l'oeuvre idéale de
l'unité et de la pureté chrétiennes. Mais
n'anticipons pas sur les conclusions, et essayons plutôt d'entrer
dans le vif du sujet. Pour cela nous allons tout d'abord donner des
informations brèves, mais précises, sur les points
essentiels de l'histoire, de la doctrine, de la discipline, du
régime, de la liturgie et de la littérature de cette
église. De façon telle que la conclusion à
laquelle je me propose de conduire le lecteur; par une pente
aisée et naturelle, se dégage logiquement et s'impose
à son esprit.
HISTOIRE
II. ORIGINE DE L’EGLISE ARMÉNIENNE
Les
faits qui se rapportent aux origines de chaque église se cachent
sous un voile impénétrable ; ils échappent
à nos investigations par l’absence de documents propres
à nous éclairer sur les actes de premiers apôtres
et sur l’action apostolique en général.
L’église romaine, qui, à cet égard,
s’est trouvée dans une situation plus favorable, du fait
même qu’elle a pris naissance dans la capitale de
l’empire, se trouve aux prises avec les mêmes
difficultés, quand il s’agit de prouver le séjour
de saint Pierre à Rome. Et pourtant, c’est là, pour
elle, un fait essentiel ; car il sert de base à tout son
système. Faute de mieux, l’histoire ecclésiastique
se contente de preuves de grande probabilité, de raisonnements
basés sur la tradition et les faits continués. Il suffit
que l’ensemble des présomptions ne soit pas en opposition
avec les données positives et avérées de
l’histoire. On ne saurait demander rien de plus à
l’église arménienne pour justifier ses origines.
La
tradition primitive et constante de cette église reconnaît
pour premiers fondateurs les apôtres Saint Thadée et saint
Barthélémy, qu’elle nomme, par antonomase, les
Premiers Illuminateurs de l’Arménie. Elle garde leurs
tombeaux vénérés dans les anciens sanctuaires
d’Ardaze (Magou) et d’Albac (Baschkalé)
situés au sud-est de l’Arménie. Toutes les
églises chrétiennes sont unanimes à
reconnaître dans la tradition concernant saint
Barthélémy, ses courses apostoliques, sa
prédication et son martyre en Arménie. Le nom
d’Albanus, qu’elle donnent au lieu où
s’accomplit son martyre, se confond avec celui d’Albacus,
consacré par la tradition arménienne. Quant à
saint Thaddée, les traditions varient. Celle qui reconnaît
en lui un Thadée Dydimus, frère de l’apôtre
saint Thomas, et suivant laquelle il se serait rendu à Ardaze
par Edesse, reste ignorée chez les Grecs et les Latins. Quant
à la tradition syrienne, qui croit à l’existence
d’un Thadée Dydimus, elle est incertaine en ce qui
concerne son voyage d’Edesse à Ardaze ; mais, à
examiner d’un peu près cette incertitude, on
décèle dans le texte des réticences, qui semblent
voulues, et même un anachronisme, qui ferait reculer
l’événement au deuxième siècle de
l’ère chrétienne. Toutefois, sans vouloir trop
insister sur la valeur de cette tradition. Toutefois, sans vouloir trop
insister sur la valeur de cette tradition, nous ferons remarquer que le
nom de Thadée ne saurait être écarté ; car
on peut invoquer une seconde tradition, selon laquelle
l’évangélisation de l’Arménie serait
l’oeuvre de l’apôtre saint Judas-Thadée,
surnommée Lebée. Cette circonstance, admise par les
églises grecque et latine et reconnue par les écrivains
arméniens comme plus conforme à la vérité
historique, vient confirmer d’une manière
générale la tradition, ainsi que
l’authenticité du sanctuaire d’Ardaze.
Le
caractère d’Apostolicité, auquel a prétendu
de tout temps l’église arménienne, et qu’elle
a proclamé dans ses actes officiels, atteste d’une part
l’origine ancienne et primitive, et de l’autre une origine
directe et autocéphale, sans l’intermédiaire
d’une autre église.
L’origine apostolique,
requise pour toute église chrétienne, afin de se mettre en union avec son Divin
Fondateur, est réputée directe, quand elle remonte à l’oeuvre personnelle d’un
apôtre ; elle est indirecte, quand elle dérive d’une église de fondation
originairement apostolique. L’église arménienne peut à bon droit se réclamer
d’une origine directement apostolique. La chronologie généralement adoptée
attribue à la mission de saint Thadée une durée de huit ans (35-43), et à celle
de saint Barthélémy une durée de seize ans (44-60). Nous jugeons inutile
d’entrer ici dans le détail relatif aux questions de dates et de lieux,
lesquelles induisent souvent en discussions sans issue.
L’origine apostolique de
l’église arménienne constitue donc un fait irrécusable dans l’histoire
ecclésiastique. Et si la tradition et les sources historiques qui la
consacrent, peuvent donner lieu à des observations critiques, celles-ci ne sont
pas plus fortes que les difficultés des autres église apostoliques, lesquelles
sont universellement admises comme telles.
III. L’ERE PRIMITIVE DE L’EGLISE ARMÉNIENNE
Ce fut, en 301, au
commencement du quatrième siècle, que le christianisme devint religion
dominante en Arménie. Avant cette date, il n’avait cessé d’être en butte aux
persécutions. Seulement nous devons convenir que les mémoires, qui nous sont
parvenus sur l’existence et les progrès du christianisme en Arménie pendant les
trois premiers siècles, sont aussi rares que dénués d’importance. ils ne
sauraient soutenir, au point de vue de l’abondance des informations, aucune
comparaison avec les documents qui se rapportent à la même période de
l’histoire gréco-romaine. Mais le manque de documents ne constituent nullement
une preuve de non-existence d’un fait réel.
Le
monde gréco-romain, alors à l’apogée de sa
civilisation, comptait un grand nombre d’écrivains et de
savants, et par ses écoles, il était à la
tête du progrès intellectuel. par contre,
l’Arménie était encore plongée dans
l’ignorance. loin de posséder une littérature
nationale, elle en était encore à la recherche d’un
alphabet. Dans ces conditions, on conviendra qu’il lui eût
été difficile d’écrire des mémoires
et des récits sur des événements qui ne pouvaient
intéresser que l’avenir. Cependant, les quelques faits qui
nous ont été transmis par la tradition nationale,
auxquels sont venus s’adjoindre les récits des
écrivains étrangers, sont plus que suffisants,
croyons-nous, pour prouver l’existence du christianisme à
certains moments. Or, le bon sens interdit de penser que
l’expansion de la foi ait pu subir des éclipses
intermittentes dans ce laps de temps. Ces mémoires,
isolés et sans lien entre eux, se succèdent, durant cette
période, prouvant l’existence ininterrompue du
christianisme en Arménie.
C’est ainsi que nous devons
mentionner une première tradition donnant pour le siège d’Ardaze une série de
sept évêques, savoir : Zakaria pendant seize ans, Zémentos quatre, Atirnerseh
quinze, Mousché trente, Schahen vingt-cinq, Schavarsch vingt et Ghévontios
dix-sept. Ces dates nous mènent à la fin du deuxième siècle.
Une autre tradition assigne
au prince de Sunik une série de huit évêques, comme successeurs de saint
Eusthathius, premier évangélisateur de cette province. ces évêques sont Kumsi,
Babylas, Moushé, qui passa ensuite au siège d’Ardaze, Movsès (Moïse) de Taron,
Sahak (Isaac) de Taron, Zirvandat, Stépanos (Étienne) et Hovhannès (jean). Avec
ce dernier, nous arrivons au premier quart du troisième siècle.
D’autre
part, Eusèbe cite une lettre du patriarche Denis
d’Alexandrie écrite en 254 à Mehroujan
(Mitrozanès), évêque d’Arménie,
successeurs des évêques susmentionnés
d’Ardaze.
L’église
arménienne contient dans son martyrologe la commémoration
de plusieurs martyres arméniens de l’ère
apostolique. On y relève les noms de sainte Sandoughte, issue de
sang royal ; de sainte Zarmandouhte, dame noble ; de satrapes comme
saint Samuel et saint Israël ; des mille arméniens
martyrisés en même temps que l’apôtre saint
Thadée ; de saint Ogouhie, princesse royale et de saint
Terentius, militaire, martyrisés avec l’apôtre saint
Barthélémy, et des saintes vierges Maryam de Houssik,
Anna d’Ormisdat et Martha de Makovtir, disciples de saint
Barthélémy. Le calendrier ecclésiastique contient
les fêtes de saint Oski (Chryssos) et de ses quatre compagnons,
de saint Soukias et de ses dix-huit compagnons, martyrisés au
commencement du deuxième siècle; le martyrologe latin
commémore saint Acace avec dix mille miliciens martyrisés
à Ararat, en Arménie, sous le règne d'Adrien.
On doit ajouter à ces faits
le passage de Tertullien, célèbre auteur ecclésiastique du deuxième siècle,
qui, en citant le texte des Actes des apôtres (II. 9), où sont énumérés les
pays dont les langues furent entendus par le peuple le jour de la pentecôte,
fait mention de l’Arménie entre
la Mésopotamie
et
la Cappadoce
, au lieu de
nommer
la Judée
,
comme le fait le texte de la bible usuelle.
la Judée
ne saurait être rangée parmi les pays
étrangers, et l’on sait quelle ne se trouve point placée entre
la Mésopotamie
et
la Cappadoce. Logiquement
parlant, la situation indiquée ne convient qu’à
l’Arménie. Saint Augustin suit également la lecture
de Tertullien. On voit par là que les deux pères de
l’église africaine étaient
pénétrés de la conviction que le christianisme
s’était répandu chez les arméniens au
siècle apostolique. Aussi bien la conversion
presqu’instantanée de l’Arménie
entière au christianisme au commencement du quatrième
siècle, ne peut s’expliquer que par la préexistence
d’un élément chrétien établi dans le
pays. En effet, l’histoire enregistre des persécutions
religieuses qui auraient été exercées par les rois
Artaschès (Artaxerxes) vers l’an 110, Khosrov
(Khosroès) vers 230, et Tirdat (Tridate) vers 287. Elles ne se
seraient pas produites s’il n’y avait eu en Arménie
un nombre considérable de chrétiens. C’est au cours
de la dernière de ces persécutions qu’eurent lieu
le martyre de saint Théodore Salahouni, mis à mort par
son propre père, le satrape Souren.
En présence de ces données
nous sommes en droit de conclure à l’existence du christianisme en Arménie,
pendant les trois premiers siècles ; qu’il a compté un nombre considérable de
partisans, et que ce premier noyau de fidèles a su enfin, par sa constante
énergie, venir à bout des obstacles et des persécutions.
IV. CONVERSION COMPLÈTE DE L’ARMENIE
La
date de la conversion complète de l’Arménie au
christianisme, ou de sa proclamation comme religion dominante, est
fixée communément à l’an 301, suivant les
études chronologiques les plus précises. Des auteurs
récents la portent même à l’an 285, mais on
ne saurait la considérer comme plus probable. La date de 301
suffit pour démontrer que l’Arménie a
été le premier état du monde à proclamer le
christianisme comme religion officielle, par la conversion du roi, de
la famille royale, des satrapes, de l’armée et du peuple.
La conversion de Constantin ne devait avoir lieu que douze ans plus
tard, en 313.
Le
promoteur de cette admirable conversion fut saint Grigor Partev
(Grégoire le Parthe), surnommé par les arméniens
Loussavoritch, c’est à dire l’Illuminateur, pour
avoir éclairé la nation par la lumière de
l’évangile. Le roi Tirdat, qui fût co-apôtre
et co-illuminateur, appartenait à la dynastie des Arsacides,
d’origine parthe, à laquelle se rattachait
également le père de saint Grigor, de sorte qu’un
lien de parenté unissait le roi convertit au saint ; mais plus
que la communauté de sang, la foi les unissait d’un lien
puissant.
Un mouvement politique
venait alors de se produire en Perse, à la suite duquel les Sassanides
remplacèrent les Arsacides. La branche arménienne des Arsacides cependant
restait encore debout. Il s’agissait de l’abattre pour consolider la nouvelle
dynastie ; mais les armes ne furent pas favorables aux Sassanides. Alors un
Arsacide, le prince Anak, s’offrit pour assassiner Khosrov, roi d’Arménie, son
proche parent. Cela fait, il fut tué à son tour par les satrapes arméniens;
Grigor était le fils d’Anak, et Tirdat celui de Khosrov, et tous deux étaient
encore mineurs en 240, date du double assassinat.
Sans
entrer dans des détails biographiques, nous dirons que Grigor
fut élevé dans les principes du christianisme à
Césarée de Cappadoce, et que Tirdat, élevé
dans la religion de ses aïeux, eût à subir les
vicissitudes des guerres entre les Romains et les Persans. Il remontait
une dernière fois sur le trône, en 287, avec l’appui
de l’empereur Dioclétien ; ce fut à
l’occasion des fêtes votives, organisées à
Eriza (Erzinguian) pour célébrer cet
événement, que se révélèrent la foi
et les origines de Grigor, qui après d’atroces tortures
fut jeté dans les cachots ou le puits (Virap) d’Artaschat
(Artaxata), où il restât enfermé une quinzaine
d’années. Il survécut à cette longue
épreuve, et l’histoire voit dans cette circonstance un
témoignage éclatant de l’intervention
providentielle.
A ce moment on vit arriver
à Vagharschapat, capitale de l’Arménie, une foule de vierges chrétiennes, sous
la conduite de l’abesse sainte Gaïanée, fuyant la persécution qui sévissait
dans les provinces de l’empire romain. La croyance générale était qu’elles
venaient de Rome, à travers
la
Palestine
et
la Mésopotamie
: mais rien n’empêche de croire
qu’elles venaient plutôt directement des provinces limitrophes, et très
probablement de Midzbin (Nisibin), si l’on s’en rapporte aux actes du martyre
de sainte Phrébronie. La beauté exceptionnelle d’une de ces vierges, sainte
Rhipsimée, frappa le roi qui voulut la posséder. Mais, outre la résistance
qu’elle opposa à ses tentatives, diverses circonstances, comme le martyre des
trente-sept vierges, les accès de lycanthropie, auxquels le roi fut en proie,
l’impuissance des remèdes, l’insistance de Khosrovidoughte, sa soeur,
l’invitant à implorer l’assistance du dieu des chrétiens, sa guérison obtenue
par les prières de Grigor, rendu enfin à la liberté, sont des faits qui se
succédèrent au cours des derniers mois de l’année 300 et les premiers de 301,
et qui eurent pour conséquence la conversion de Tirdat, qui dans son zèle de
néophyte, s’empressa de proclamer le christianisme religion d’Etat.
Grigor
n’étant que simple laïque, ne disposait ni de
missionnaires, ni d’un clergé nombreux ; et pourtant avant
la fin de l’année 301, l’aspect religieux de
l’Arménie était entièrement
transformé; le culte des dieux avait presque disparu, et le
christianisme y était généralement
professé; ce serait là un fait inexplicable, si
l’on n’admettait la préexistence du christianisme
dans le pays comme nous l’avons déjà fait observer.
Les
témoignages de cette admirable conversion se trouvent non
seulement dans les récits de contemporains et des historiens du
siècle suivant, mais aussi dans l’existence de monuments,
comme les églises de Sainte-Rhipsimée, de
Sainte-Gaïanée et de Sainte-Marianée ou de
Schoghakath, construites au IVe siècle aux environs
d’Etchmiadzine (ancienne Vagharschapat), et dans les tombeaux des
vierges martyrisées, ainsi que dans les inscriptions
authentiques qui s’y rapportent. Un autre témoignage non
moins précieux se trouve également dans l’histoire
d’Eusèbe, qui parle de la guerre de l’année
311, que l’empereur Maximin Daja déclara aux
Arméniens à cause de leur récente conversion.
V. FORMATION DE
LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE
Par
l’état des services rendus, saint Grigor était
naturellement désigné pour être le chef de
l’église arménienne. Élevé à
cette dignité par la volonté du roi et de la nation, il
reçut la consécration épiscopale des mains de
Léonce, archevêque de Césarée de Cappadoce,
en 302. Le fait est confirmé par tous les historiens et par la
tradition nationale. Seulement cette consécration donna lieu
à une controverse en ce qui concerne sa signification, et par
suite, sur la nature des relations hiérarchiques du siège
d’Arménie avec le siège de Césarée.
D’après les grecs, le siège d’Arménie
était suffrageant de celui de Césarée, et la
scission qui les sépara au Ve siècle, devrait être
imputée à un schisme. D’après les Latins, le
siège d’Arménie, se rattachant originairement
à celui de Césarée, n’aurait
été érigé plus tard en siège
autocéphale que par un privilège du pape Sylvestre I. Tel
n’est pas l’avis des arméniens, qui croient que le
siège d’Arménie est de création apostolique,
et qu’il fut indépendant dès son origine. Il est
certain qu’il ne fut que renouvelé par saint Grigor, et la
consécration qu’il reçut de Césarée,
n’implique nullement une subordination ni une dépendance
hiérarchique.
Ceux
qui cherchent à faire de l’Arménie un siège
suffrageant de Césarée se basent sur
l’hypothèse, que la prédication apostolique en
Arménie n’aurait été qu’un
épisode passager, qui aurait pris fin à la mort des
apôtres , que la prédication de saint Grigor
n’aurait été faite que par ordre du siège de
Césarée ; que le christianisme enfin n’aurait
été établi en Arménie, pour la
première fois qu’au quatrième siècle.
Après ce que nous avons dit, nous ne croyons pas devoir revenir
sur les preuves de l’existence formelle du christianisme en
Arménie avant saint Grigor.
Quant
au prétendu privilège accordé par Sylvestre, il
n’est basé que sur une pièce apocryphe,
forgée par les Arméniens au temps des Croisades. Cette
pièce avait pour but de défendre à la fois
l’indépendance du siège d’Arménie,
sans blesser l’amour propre de la papauté et de provoquer
l’aide des croisés en faveur de leur royaume de Cilicie.
D’ailleurs, toutes les données historiques,
chronologiques, critiques et philologiques s’accordent pour
prouver la fausseté de ce document, qui n’a plus en sa
faveur aucun défenseur. L’indépendance originelle
du siège d’Arménie, qui n’a jamais
cessé d’être proclamée par les patriarches et
les écrivains de l’église arménienne, est
attestée au surplus par d’autres circonstances.
On sait que le système de
juridiction et de dépendance mutuelle des patriarches et des métropolitains
dans l’empire romain, fut calqué sur l’organisation civile de préfets et de
proconsuls. Les deux institutions civile et ecclésiastique, se juxtaposaient exactement;
par suite, il arriva que les régions, qui ne faisaient pas partie intégrante de
l’empire, restèrent en dehors de l’organisation des patriarcats, qui s’y
trouvaient établis; c’est ainsi que se formèrent en dehors de l’empire les
siège indépendants d’Arménie, de Perse et d’Ethiopie.
Il est vrai que l’existence
des provinces de la première Arménie (Sébaste) et de la deuxième Arménie
(Mélitène), dans les limite de la juridiction de l’exarchat du pont (Césarée),
a pu donner lieu souvent à une confusion des noms ; car ces deux provinces ont
été confondues avec l’Arménie Majeure et l’Arménie Mineure; cette erreur
apparaît clairement quand on compare les notices des patriarcats avec les
listes, des provinces civiles.
A
aucun moment, le siège de Césarée, ni ceux
d’Antioche et de Constantinople n’ont fait acte
d’autorité ou de juridiction dans l’Arménie
proprement dite ; et tout ce qu’on découvre à cet
égard dans les lettres de saint Basile de Césarée
se rapporte exclusivement aux évêchés de Nicopolis,
de Satala, etc., situés dans les limites de la première
et de la deuxième Arménie, et qui relevaient de
l’exarchat du Pont.
Au surplus, l’histoire des
relations ecclésiastiques entre les grands sièges, au commencement du quatrième
siècle et avant le concile de Nicée de 325, consciencieusement étudiée, ne
contient rien qui puisse faire croire à l’intervention d’un siège dans les les
affaires d’un autre ; et cela ne saurait surprendre, car chaque circonscription
ecclésiastique était strictement limitée par la circonscription politique qui
lui avait servi de modèle.
D’autre part, dans
l’histoire du quatrième et du cinquième siècles on ne voit pas qu’aucun
changement ce soit produit dans les relations des sièges d’Arménie et de
Césarée. Cette absence de témoignage permet de conclure qu’un même système
d’indépendance ne cessa de régir cette église depuis sa création.
En effet, tout ce que les
défenseurs de l’opinion contraire ont pu formuler jusqu’ici, se réduit à de
pures hypothèses; Ils se basent sur un état de choses qui ne fut nullement
celui du siècle dont on parle, mais qui se rapporte aux siècle postérieurs.
Pendant la domination byzantine en Arménie et plus tard sous l’influence des
Croisades, des incidents de nature confuse et équivoque ont pu altérer les relations
des divers sièges : mais ces incidents n’ont pu exercer aucune action
rétrospective ni dénaturer les événements des premiers siècles.
Donc,
la consécration de saint Grigor par l’archevêque de
Césarée doit être attribuée à une
circonstance fortuite, peut-être même à un
désir personnel de saint Grigor, dont l’éducation
avait été faite à Césarée. Elle ne
saurait servir d’argument pour en déduire un
système de relations hiérarchiques.
VI. L’EGLISE ARMÉNIENNE AU QUATRIÈME SIÈCLE
Saint Grigor a gouverné
l’église arménienne durant un quart de siècle, accomplissant le nécessaire pour
lui donner une organisation complète et solide. Nous lui devons des canons, qui
portent son nom ; des homélies qui lui sont attribuées, et certaines
dispositions disciplinaires et liturgiques remontent à son époque. Il créa près
de quatre cents diocèses épiscopaux et archiépiscopaux pour le gouvernement
spirituel de l’Arménie et des pays environnants. Il présida à la conversion de
la Géorgie
, de l’Albanie
Caspienne et de l’Atropatène, où il envoya des chefs et des ecclésiastiques. Il
mourut au moment de la convocation du concile de Nicée (325). Ses fils lui
succédèrent ; d’abord le cadet, qui était célibataire, saint Aristakès
(325-333), puis l’ainé, saint Vertanès (333-341), qui était marié. Ce dernier
eut pour successeur son propre fils, saint Houssik (341-347). Le maintien du
patriarcat dans la famille de saint Grigor était dans les voeux de la nation,
soit qu’elle voulût par là rendre hommage à son grand Illuminateur, soit qu’elle
subît à son insu l’influence d’un usage païen. Le refus des fils de Houssik
d’entrer dans les ordres amena au siège patriarcal Paren d’Aschtischat, un
parent collatéral (348-352), bientôt pourtant il retournait à la succession
directe, par l’élection de saint Nersès, petit-fils de Houssik (353-373). Mais
comme le fils unique de ce dernier n’avait pas l’âge canonique, la nation y
pourvut en appelant successivement Schahak (373-377), Zaven (377-381) et
Aspourakès (381-386), tous issus de la famille sacerdotale d’Albanius, qui
avait secondé saint Grigor, dans la personne du fils de Nersès, saint Sahak
(Isaac), qui accomplit sur le trône patriarcal le jubilée entier (387-439).
Certes, l’exactitude de la chronologie des patriarches du quatrième siècle est
contestée par les historiographes modernes, mais les données, qui nous ont
servi à l’établir, sont le résultat d’études directes faites aux sources
primitives.
L’église
arménienne du IVe siècle, bien qu’organisée
hiérarchiquement et administrativement, manquait cependant de
l’élément le plus nécessaire : d’une
version de la bible et d’un rituel écrits dans sa propre
langue ; l’arménien encore dépourvu
d’alphabet, ne pouvait fixer par écrit la parole vivante
des textes sacrés. L’instruction scolaire se faisait en
langues étrangères, et les écoles
célèbres de Césarée de Cappadoce et
d’Edesse de l’Osroène, étaient les seuls
foyers où s’éclairait alors l’Arménie.
Le grec était en usage dans celle de Césarée,
où se rendaient les étudiants des provinces du nord ; le
syrien régnait à Edesse où affluaient ceux de
provinces du sud. Saint Grigor fur le premier à fonder des
écoles, à la tête desquelles il dut placer des
maîtres étrangers. Ses successeurs suivirent cet exemple ;
mais ce fut saint Nersès qui donna la plus vive impulsion aux
institutions d’instruction et de bienfaisance.
Malgré les efforts combinés
de saint Grigor et du roi Tirdat pour christianiser définitivement l’Arménie,
le culte païen n’avait pas cependant disparu entièrement de ce pays. Dans les
districts montagneux les anciens dieux gardaient encore leurs autels et leurs
ministres. Vainement, les patriarches tentèrent d’extirper les anciennes
coutumes. Elles persistèrent jusqu’à saint Nersès, qui leur porta le dernier
coup. Pourtant on en trouvait encore des traces du temps de saint Sahak. Ce qui
persistait surtout c’étaient les moeurs païennes qui continuaient à régner dans
le peuple, et particulièrement dans les palais des souverains et des satrapes.
Les patriarches, au risque d’attirer sur eux-mêmes la colère du pouvoir civil,
durent souvent déployer tout leur courage pastoral pour combattre les abus et
les iniquités morales de cette société, que le christianisme n’avait pas encore
suffisamment policée. C’est ainsi que saint Aristakés fut assassiné par le
satrape de Dzopk (Sophènés) ; que saint Vertanés dut se dérober aux poursuites
des montagnards de Sim (Sassoun), excités par la reine ; que saint Houssik
expira sous les verges du roi Tiran ; et que saint Daniel d’Aschtischat,
préconisé patriarche, eut une fin semblable. Mais ces persécutions
n’attiédirent point le zèle des saints pontifes.
Sur
la doctrine, suivie par ces prélats de l’église
primitive, il n’y a rien de nouveau à dire. Les
mêmes dogmes unissaient au IVe siècle
l’église entière. L’orient et
l’Occident étaient en communion parfaite de foi et de
charité. Les hérésies principales qui surgirent au
cours de ce siècle en Orient, furent celles des Ariens et des
Macédoniens, condamnées par les conciles de Nicée
(325) et de Constantinople (381), dont les décisions furent
strictement suivies par les Arméniens. Saint Aristakés
avait assisté au premier concile ; et si, dans le second, les
Arméniens n’eurent point de représentants, ils ne
se laissèrent pas toutefois de se conformer à la lettre
et à l’esprit de ses décisions.
La liturgie nationale
arménienne, avons-nous dit, n’était pas encore formée, faute d’alphabet et
d’une littérature appropriée. La bible et les rituels étaient lus en langues
grecque et syriaque. Mais comme le peuple ignorait ces deux langues, on lui en
donnait une traduction orale à l’église même. Une classe spéciale de
traducteurs (Thargmanitch) était préposée au service religieux, pour traduire
oralement les passages des saintes écritures lus par les lecteurs (Verdzanogh).
Ils expliquaient les prières rituelles et enseignaient au peuple, dans sa
langue maternelle, certaines prières tirées des psaumes et des offices. Si l’on
fait attention aux différences que présentent les locutions, adoptées pour
l’interprétation des psaumes de offices et du texte des écritures, on arrive à
distinguer deux traductions : l’une datant du IVe siècle à l’usage du peuple,
et l‘autre classique du Ve, d’après le texte grec.
VII. COMMENCEMENT DE
LA LITTÉRATURE ARMÉNIENNE
L’absence d’alphabet et de toute
littérature écrite constituait un obstacle fondamental, non seulement au
développement de la vie intellectuelle et sociale de la nation, mais encore à
l’existence et à l’autonomie de l’église, qui ne pouvait sans cela ni former ni
consolider sa constitution propre. Le peuple ne disposait d’aucun instrument
permanent d’édification spirituelle ; car de simples traductions orales ne
pouvaient satisfaire aux aspirations de son coeur. Cet état de choses devait
tout d’abord solliciter l’attention du patriarche S. Sahak. Profondément versé
dans les sciences helléniques et syriaques, il était supérieur aux savants de
son époque, au dire de ses contemporains.
S.
Mesrop-Maschtotz, un ancien secrétaire du roi, disciple du
patriarche Nersés, conçut le dessin d’extirper les
derniers débris du paganisme dans la province de Golthn
(Akoulis). Mais il s’aperçut des inconvénients de
l’absence de l’alphabet, quand il ne put laisser aucun
enseignement écrit dans les mains du peuple, qu’il venait
d’évangéliser. D’accord avec le patriarche
Sahak, il sollicita le roi Vramshapouh de remédier à
cette situation. Ceci se passait en 401, à l’aurore du Ve
siècle. le roi mit à leur disposition toutes les
ressources dont il put disposer. Enfin, en 404, Mesrop arrivait
à combiner un alphabet admirablement approprié au
génie de la langue arménienne. Et comme pour mener
à bien ce travail, il avait imploré l’appui du
ciel, il attribua son succès à la faveur divine. Aussi
les Arméniens se sont ils toujours montrés fiers de leur
littérature, dont l’origine leur paraît
surnaturelle. Après que S. Mesrop eût inventé
l’alphabet à Balahovit (Palou), S. Sahak ne cessa de
poursuivre une oeuvre, à la fois littéraire et
sacrée. Aussi c’est à ce dernier que les
Arméniens reconnaissants ont décerné le titre
d’IIluminateur des intelligences par la littérature, comme
saint Grigor avait été celui des âmes par la foi,
et S. Nersés celui des coeurs par les bonnes moeurs.
L’alphabet arménien
comprenait trente-six caractères, susceptibles de rendre tous les sons de la
langue. Plus tard leur nombre devait s’accroître de deux lettres
complémentaires, ce qui le porta à trente-huit. la combinaison en est si
heureuse, qu’il peut sans difficulté rendre même la plupart des sons des
langues étrangères. Mais bornons-nous à parler ici que des conséquences de
cette innovation du point de vue ecclésiastique.
La
première oeuvre entreprise fut la traduction de la bible,
à laquelle se consacrèrent S. Sahak et S. Mesrop et le
groupe des élèves choisis parmi la classe des
traducteurs. L’histoire évalue leur nombre à une
centaine, dont soixante avaient été formés par
Sahak, et le reste par Mesrop. La traduction arménienne de
l’ancien testament a été faite sur le texte grec
des Septante, mais avec beaucoup de variantes en conformité avec
la traduction syriaque. Ce travail, commencé en 404, prenait fin
en 433, après une dernière révision, faite par S.
Sahak, sur un exemplaire expressément envoyé par le
patriarche de Constantinople. Cela fait, on s’occupa à
composer des livres liturgiques, comme la messe, les rituels du
baptême, de la confirmation, de l’ordination, du mariage,
de la consécration des églises et des funérailles,
les offices du jour et le calendrier. S. Sahak collabora à cette
oeuvre, soit directement, soit indirectement avec l’aide de ses
disciples. Cette organisation liturgique s’inspire de celle de S.
Basile, c’est-à-dire de la liturgie de
l’église de Césarée. On conviendra
qu’il n’y a rien que de très naturel, si l’on
songe que les chefs de l’église arménienne, comme
nous l’avons dit plus haut, avaient puisé leur
enseignement dans les écoles de Cappadoce.
Mais tout en suivant de
près la liturgie de Césarée, on ne s’astreignit point à une traduction servile.
S. Grigor avait fait de larges emprunts aux usages nationaux et aux rites
païens, qu’il avait transformés en rites chrétiens. Ces usages avaient eu le
temps, en l’espace d’un siècle, d’enfoncer des racines trop profondes dans les
moeurs, pour que les nouveaux organisateurs puissent se soustraire à leur
influence. Aussi refusèrent ils de se plier entièrement aux exigences du rite
grec. Ce qui est absolument propre à la liturgie arménienne, ce sont les hymnes
(scharakan) d’une saveur si originale, et qui résonnent comme un écho des vieux
chants nationaux. Ils offrent aussi quelque analogie avec les hymnes syriaques
de S. Ephrem.
Le trait distinctif de
cette littérature primitive, c’est l’abondance des traductions des oeuvres des
saints-pères grecs. A noter ce détail intéressant, que certains de ces
ouvrages, perdus dans leur langue originelle, se sont conservés en traduction.
Outre les saints pères, ils ont traduit la plupart des oeuvres des philosophes
de l’antiquité. Comme oeuvres originales on ne peut mentionner que quelques
livres d’histoire ancienne et contemporaine.
VIII. L’EGLISE ARMÉNIENNE AU Ve SIÈCLE
Le patriarcat de S. Sahak
remplit tout le premier tiers de ce siècle ; à part les succès littéraires que
nous venons d’indiquer, cette époque ne se signale par aucun événement digne
d’être rapporté, de sorte que force nous est de reconnaître dans ce succès
l’intervention de
la
Providence. Elle
seule a eu la force de préserver la nation d’une ruine
certaine, en lui donnant les éléments d’une
existence spéciale et indépendante, alors que toutes les
circonstances sociales et politiques conspiraient contre elle.
L’Arménie avait été partagée entre
les Grecs et les Persans, quand (387) S. Sahak fut élu au
patriarcat par la volonté de Khosrov, roi de
l’Arménie persane, et qu’Arschak régnait dans
l’Arménie grecque. S. Sahak dut user de prudence pour
être reconnu et agréé à la fois par les deux
partis. Peu après l’Arménie grecque était
livrée à l’administration des gouverneurs
byzantins, et l’Arménie persane, après le
règne relativement pacifique de Vramschapouh, était
gouvernée d’abord par le persan Schapouh, puis par
l’arménien Artaschés, jeune homme sans frein. Les
satrapes arméniens portèrent accusation contre leur roi
devant le suzerain persan, demandant sa destitution et son remplacement
par un gouverneur-général persan. On fit droit à
cette requête sans difficulté, et le satrape persan
Vehmirschapouh fut aussitôt nommé
gouverneur-général de l’Arménie persane
(428). Les satrapes arméniens ayant sollicité S. Sahak de
s’unir à eux, ils employèrent tous les moyens, les
promesses comme les menaces, pour conjurer cette entente ; mais
n’ayant pu y parvenir, ils accusèrent le patriarche
d’être de connivence avec le roi contre le souverain
persan. Cette manoeuvre eut pour conséquence la
déposition et l’exil en Perse de S. Sahak, et la
nomination d’un anti patriarche dans la personne de Sourmak
(428).
Ce changement amena une
forte perturbation dans les affaires d’Arménie. le siège patriarcal se trouvait
administrativement entre les mains des anti-patriarches, qui prélevaient à leur
profit les revenus et les avantages de la charge. Ils se succédèrent rapidement
; Sourmak (428), Birkischo (429), Schimuel (432), puis Sourmak reprenait de
nouveau le pouvoir en 437. Toutefois, l’épiscopat, le clergé et le peuple
refusèrent d’approuver le nouvel état des choses car aux yeux de la nation, S.
Sahak restait toujours le chef spirituel. De retour en Arménie (432), il se
retirait à Blour (Yahnitépé), dans la province de Bagrévand (Alaschkert), ou S.
Mesrop et S. Ghévond l’assistaient dans les affaires religieuses et
spirituelles; à aucun moment ses ouailles ne furent abandonnées par lui.
En dépit de cette situation
précaire, il ne cessa de prendre une part active aux affaires de l’église
universelle. Le concile d’Ephèse (431) venait de condamner les erreurs de
Nestor. les décrets y relatifs avaient été apportés de Constantinople à S.
Sahak par ses disciples. Mais les livres de Théodore de Mopsueste, le
précurseur de Nestor, avaient échappé à l’attention du concile. aussi les
Nestoriens profitèrent de cette circonstance pour couvrir leurs erreurs du nom
de Théodore. S. Sahak intervenant, convoqua le concile d’Aschtischat (435),
puis releva les erreurs de Théodore dans une lettre dogmatique, qu’il écrivit à
Procle de Constantinople. Cette lettre servit de base au concile de
Constantinople de 553, pour la condamnation des Trois-Chapitres.
La mort de S. Sahak (439)
fut le prélude d’une situation plus pénible encore. Sourmak occupait toujours
le siège patriarcal comme chef reconnu par le gouvernement, tandis que S.
Mesrop continuait à gérer le spirituel ; mais il ne tarda pas à suivre S. Sahak
dans la tombe (440). S. Hovsep (Joseph) de Hoghotzim fut appelé à lui succéder
dans la gérance des affaires spirituelles, et l’intervention de l’arménien Vassak
Suni, gouverneur-général, réussit, à la mort de Sourmak (444), à le faire
reconnaître comme patriarche par le gouvernement persan.
Le
roi-des-rois, qui avait annexé l’Arménie à
son empire, était sollicité par les ministres de la
religion de Zoroastre, à abolir le christianisme en
Arménie, en contraignant les habitants à adopter le culte
du soleil et du feu. Pour arriver à ses fins le roi
s’employa d’abord à dégarnir
l’Arménie de ses forces militaires, qu’il envoya
guerroyer contre les barbares du Caucase. Après quoi il publia
(449) un édit, par lequel il rendait la religion de Zoroastre
obligatoire pour tous les sujets indistinctement. alors commença
une ère de persécutions, au cours de laquelle S. Atom
Gnouni et S. Manadjihr Rischtouni subirent le martyre avec leur
milices. l’épiscopat réuni à Artaschat
(450), proclama son inviolable fidélité à la foi
dans une lettre apologétique. Malgré cette
résistance unanime les chefs des satrapes arméniens, au
nombre de dix, furent appelés en Perse et contraints de renier
leur religion. On les mit en dans l’alternative ou de
s’exécuter, ou de quitter le pays sans direction. Ils
feignirent d’abjurer pour pouvoir retourner chez eux et afin
d’organiser la résistance.
Les
ministres du culte du soleil et du feu, munis de leurs symboles,
accompagnaient triomphalement les faux renégats, mais ils furent
dispersés dans les plaines de Bagrévand par le peuple
armé, que conduisait l’archiprêtre S.
Ghévond. Le délai d’une année -
d’août 450 à août 451- qui avait
été accordé pour renoncer au christianisme avait
été mis à profit pour préparer la
résistance contre les troupes, qui allaient arriver pour veiller
à l’exécution de l’édit royal. Il est
vraisemblable que si les Arméniens avaient, dans cette
circonstance, réuni leurs forces, ils auraient pu facilement
avoir raison de l’armée ennemie. Malheureusement, une
partie des satrapes, d’accord avec le gouverneur Vassak,
était définitivement gagnée à la cause
persane. Quand le 26 mai 451, à la journée
d’Avaraïr, soixante-six mille Arméniens, sous le
commandement de Vardan Mamikonian, tinrent tête à une
armée de deux cent vingt mille Persans, un nombre
considérable d’arméniens allaient renforcer les
rangs de l’ennemi. Vardan et huit autres généraux,
ainsi que mille vingt sept hommes tombèrent sur le champ de
bataille. La mort de ces martyrs est commémorée dans le
calendrier arménien le jeudi gras.
A
partir de ce moment l’église arménienne entra dans
une ère de troubles, causés surtout par les
difficultés extérieures qui l’absorbaient
entièrement. Le patriarche S. Hovsep, accusé
d’avoir été l’instigateur du mouvement
religieux, fut arrêté, conduit en Perse et
martyrisé avec d’autres membres du clergé (454)
dont la mémoire est célébrée sous le nom
des SS. Ghévondian (léonciens). Il eut pour successeurs
Mélité (452-456) et Movsès (456-461), puis le
célèbre Güt d’Arahèze (461-478), qui
dut tenir tête aux efforts incessants des persans pour imposer
leur religion. Une fois encore les arméniens durent
s’armer sous la conduite de Vahan Mamikonian, neveu de S. Vardan.
Les hostilités continuèrent sous le patriarche
Hovhannès Mandakouni (478-490), successeur de Güt. Cette
situation menaçait de s’éterniser, lorsque le
nouveau roi Valarse, s’avisant de l’inutilité de ces
efforts, y mit enfin un terme. Sagement, il proclama la liberté
religieuse et nomma Vahan d’abord commandant militaire (484),
puis gouverneur-général de l’Arménie (485),
ce qui assurait la paix civile et religieuse de l’Arménie.
Le vénérable patriarche Hovhannès s’empressa
de transférer son siège dans la nouvelle capitale,
à Douine, sous la protection du gouvernement, et là il
put consacrer tous ses soins aux réformes intérieures de
l’église et du peuple. Il sut si bien réparer,
grâce à la sagesse de son administration, les ruines
accumulées par les guerres des dernières années,
que son nom reste le plus honoré après celui de S. Sahak.
IX. DU CONCILE DE CHALCÉDOINE
Le
zèle déployé par l’archimandrite
Eutychès de Byzance, pour combattre les erreurs de Nestor, eut
un effet contraire à celui qu’attendait son auteur. Son
intervention donna lieu à d’interminables controverses sur
l’union des natures ou la double nature du Christ, et suscita des
querelles entre les sièges de Constantinople, d’Alexandrie
et de Rome. L’école d’Antioche, suivie en cela par
le siège de Constantinople, professait un enseignement,
où s’affirmait une certaine séparation entre la
divinité et l’humanité en Jésus-Christ,
tandis que l’école d’Alexandrie soutenait
l’union étroite des deux natures dans la crainte de porter
atteinte au mystère de la rédemption. Dans le
troisième concile oecuménique d’Ephèse (431)
avait triomphé la doctrine alexandrine, et la formule de S.
Cyrille d’Alexandrie, qui reconnaissait une nature unie dans le
Verbe incarné, était devenue la devise du christianisme.
Nestor, élève de l’école d’Antioche,
proclamé patriarche de Constantinople, qui enseignait
l’existence d’uns simple unité morale entre les deux
natures, venait d’être condamné par la sentence du
concile. L’archimandrite Eutychès, vieillard
septuagénaire, émettait (447) un enseignement qui
poussait l’union jusqu’au mélange des deux natures,
ce qui impliquait la presque disparition de la nature humaine et
l’origine céleste du corps du Christ.
C’est
sur cette opinion que Flavien de Constantinople condamna
Eutychès et sa doctrine, dans un concile particulier, qui se
tient à Constantinople (448). Dioscore d’Alexandrie crut
voir dans cette décision le rejet de la doctrine de son
école et de celle de son prédécesseur, et le
retour au nestorianisme. Il réunit donc à nouveau concile
à Ephèse (449) , où il réussit à
faire condamner Flavien et les Nestoriens. A son tour, Léon I de
Rome, prenant la défense de Flavien, réunissait un
concile particulier à Rome (450) contre Eutychès et
Dioscore. Ensuite, pour donner plus de poids à sa
décision, il déterminait l’empereur Marcien
à convoquer un concile général à
Chalcédoine, où, grâce aux moyens coercitifs, il
faisait reconnaître comme définitive sa doctrine et sa
lettre à Flavien, appelé le Tomos de Léon .
On
s'expliquera mieux l'acharnement des deux partis, si l'on songe qu'il y
avait là non seulement un problème de théologie,
comme la question abstraite des natures en Jésus-Christ, mais un
intérêt éminemment concret à sauvegarder,
qui était l'influence des patriarcats. A l'époque du
concile de Nicée, le monde gréco-romain était
partagé entre les trois sièges de Rome,
d’Alexandrie et d'Antioche, et chacun agissait dans le cercle de
sa juridiction, sans prétendre à la
prééminence. Mais cette situation devait changer au
commencement du Ve siècle. Constantinople venait d'être
érigée en patriarcat par le concile tenu en cette ville
(391) et la décadence de plus en plus croissante de l'ancienne
Rome, et l'influence grandissante de
la Nouvelle
, avaient fait croire aux patriarches de Constantinople qu'ils
étaient supérieurs aux autres. Or, le patriarcat
d'Alexandrie ne pouvait tolérer ces visées ambitieuses.
Pénétrés de l'importance du rôle qu'il avait
joué dans les conciles précédents et plus encore
des mérites éclatants de ses titulaires, comme Alexandre,
Athanase, Théophile, Cyrille et Dioscore, il croyait pouvoir
s'arroger le droit de dicter la doctrine chrétienne et
s'ériger en arbitre de la vérité dogmatique II
prétendait que les triomphes d'Athanase à Nicée et
de Cyrille, à Ephese ne pouvaient pas être diminués
par les prétentions de Flavien et de Léon, dont les
démarches étaient presque une insulte à l'adresse
du siège d'Alexandrie. Constantinople et Rome s'allièrent
alors pour combattre l'ennemi commun; et l'on vit le bras
séculier de Marcien consacrer le prétendu succès
de Chalcédoine contre le siège d' Alexandrie. Mais le
succès, à vrai dire, n'était ni réel ni
solide. Le concile de Calcédoine, entre autres, avait reconnu la
préséance du siège de Constantinople, mais Rome
refusait de la reconnaître dans la crainte d'être
attaquée a son tour subtilement ; il établissait une
distinction entre les canons admissibles et les canons inadmissibles
d'un même concile. L'épiscopat du monde
gréco-romain s'était partage en deux camps, et les
ouailles se livraient a des manifestations violentes; le scandale
d'avoir favorisé le nestorianisme gagnait du terrain, et la
subtile distinction établie entre la dualité des
personnes et la dualité des natures, ne suffisait pas a
tranquilliser les esprits. Les décrets de Chalcédoine
restaient ainsi en suspens ; Ils n'étaient point admis par tous.
Un nouveau concile tenu a Antioche (476) en déclara suspecte la
doctrine, et l'empereur Basilisque interdit d'en appuyer les
décrets. L'empereur Zénon publia le Henoticon (482), par
lequel il leur déniait toute autorité, basant son opinion
sur le concile d'Ephese de 431. Enfin l'empereur Anastase, par un
nouveau décret (471), diminuait l'importance du concile de
Chalcédoine en le dépouillant de toute autorité.
Tout cela avait pour but de combattre le nestorianisme, qui,
s'éloignant du monde grec, se réfugiait au milieu de
l'élément syrien, et profitait de la liberté qui
lui était laissée par les rois de Perse.
L'Arménie
resta en dehors de ces querelles jusqu'au commencement du VIe
siècle. Les conciles convoqués pour et contre
Eutychès avaient eu lieu à son insu ; celui de
Chalcédoine qui avait réuni le 8 octobre 451, n'avait
été convoqué qu'après la grande
journée d'Avaraïr (26 mai 451). Le pays se trouvait alors,
nous l'avons dit plus haut, dans Ia plus grande confusion; le
patriarche et l'épiscopat étaient
incarcérés ou exilés; les satrapes
persécutés ou dispersés, les milices
débandées, et le peuple terrorisé. Dans ces
conditions, on conçoit que les querelles dogmatiques n'aient pu
éveiller son attention. Mélitè et Movsès,
qui succédèrent à S. Hovsep, n'étaient
guère en état de s'en occuper. Les patriarches Güt
et Hovhannès, bien que renommés pour leur instruction et
leur capacité, furent de nouveau victimes de persécutions
religieuses. Et quand, plus tard, le calme se fut rétabli, c'est
à peine si Hovhannès eut le temps nécessaire pour
se recueillir et mettre de l'ordre dans les affaires
intérieures. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner, si le
concile de Chalcédoine n'avait encore excité aucune
passion en Arménie quarante ans après sa convocation.
Les premières rumeurs
vinrent du côté de
la Perse
,
sous le patriarcat de Babken d'Othmous (490-515). Les Nestoriens s'étaient
installés dans
la Mésopotamie
persane. Comme les Syriens, restés fidèles à la
doctrine orthodoxe du concile d'Ephèse, souffraient beaucoup de
leur ascendant, ils demandèrent à l'église
arménienne une règle de conduite. Les Arméniens,
scrupuleusement fidèles aux principes anti-nestoriens de S.
Sahak, ne pouvaient consentir à aucune transaction de doctrine.
Les Nestoriens se prévalaient de l'autorité du concile de
Chalcédoine convoqué par l'église de
Constantinople, hostiles à l'église d'Alexandrie, tandis
que les Arméniens restaient attachés à cette
dernière depuis les origines. De plus, ce concile était
l'oeuvre de Marcien, qui avait repoussé la députation
arménienne, venue pour lui demander secours contre la
persécution persane. En outre, le concile de Marcien
était désavoué par ses successeurs, et les
édits de Basilisque, de Zénon et d'Anastase avaient
officiellement rejeté la profession de foi
chalcédonienne. Dans ces conditions il est aisé de
deviner quelle pouvait être l'attitude des Arméniens. Le
concile des évêques arméniens, géorgiens et
caspio-albaniens réuni à Douine (506), sous la
présidence de Babken, proclama officiellement la profession de
foi éphésienne, et rejeta tout ce qui était
nestorien ou suspect de nestorianisme, inclusivement les actes du
concile de Chalcédoine. Il n'alla pas cependant jusqu'à
adopter la doctrine d'Eutychès, dont le nom, uni à ceux
d'Arius, de Macédon et de Nestor, fut officiellement
condamné. Telle fut la première déclaration de
l'église arménienne au sujet du concile de
Chalcédoine. Plus tard les églises grecque et latine,
renonçant à leur opposition, le reconnurent comme
quatrième concile oecuménique. L'église
arménienne ne voulut point de cette transaction inspirée
par des pensées qui n'avaient rien de théologique. Elle
resta ferme sur sa première détermination et ne cessa de
garder une attitude ultra-conservatrice. Elle s'attacha à
repousser toute nouvelle addition dogmatique sur le dépôt
de la révélation ainsi que toute innovation qui aurait pu
altérer la foi primitive. Elle ne pouvait ignorer que le grand
moteur de la question chalcédonienne était la jalousie
réciproque des patriarcats du monde gréco-romain,
question qui ne pouvait l'intéresser. Elle n'entendait pas non
plus subir la volonté du patriarcat de Constantinople, qui avait
travaillé à Chalcédoine pour la
préséance et pour la prééminence de son
siège, en prenant pour point d'appui la force du bras
séculier.
La profession de foi
arrêtée à Douine (506) constitue le principal événement du patriarcat de
Babken. Le même principe fut sauvegardé sous ses successeurs: Samuel d'Ardzké
(516-526), Mousché d'Aïlaberk (526-534), Sahak II de Ouhki (534-539), Kristapor
de Tiraritch (539-545), et Ghévond d'Erast (545-548). En dehors de ces faits
nous n'avons rien de particulier à signaler sur cette période d'une quarantaine
d'années. La décision prise à propos du concile de Chalcédoine fut confirmée
sous le patriarcat de Nersès II de Bagrévand (548-557), dans le concile de
Douine (554), qui hautement proclama la foi éphésienne contre les erreurs nestoriennes
et les prétentions chalcédoniennes.
X. QUERELLES SUCCESSIVES
L'histoire de l'église
arménienne présente une série de questions religieuses, qui, bien que s'étant
posées au cours de plusieurs siècles, n'ont pourtant pas altéré sa situation
normale. Nous n'entendons nullement entrer dans les détails de ces querelles,
qui ne sauraient intéresser le lecteur étranger. Bornons-nous à dire qu'elles
eurent pour cause l'influence politique des états qui dominaient l'Arménie, ou
qui étaient en contact avec elle. Ce pays ayant perdu son indépendance, passa
tour à tour sous la domination persane, grecque et arabe, dont les tendances
politiques s'inspiraient de l'état religieux du pays. Les Arméniens ne
pouvaient guère se soustraire à l'influence de cette tactique. Ne voulant pas
se départir de leurs principes dogmatiques, établis par l'acte du concile de
506, et, d'autre part, cherchant à se ménager les sympathies et les avantages
qui pouvaient leur revenir de l'influence politique des états prépondérants, ils
s'attachaient à ne blesser l'amour-propre de personne, et ci faire acte de
condescendance, sans se mettre en contradiction avec leurs principes. L'Arménie
fut souvent partagée entre divers états, mais son sort dépendait de celui qui
possédait la majeure partie du pays. La domination persane exercée par les
satrapes nommés par les rois-des-rois, y joua un rôle prépondérant durant deux
siècles entiers (428-633). Puis les curopalates, nommés par les empereurs
byzantins, remplacèrent les satrapes. La domination grecque fut de courte
durée, de soixante ans environ (633-693) ; car bientôt les Sarrasins y
établissaient définitivement leur pouvoir. Les représentants des califes ont
exercé en Arménie une administration directe, qui dura plus d'un siècle et demi
(693-862). Mais ce ne fut point une conquête de tout repos; les compétitions et
les guerres gui mettaient aux prises les états différents, avaient toujours ce
pays pour champ de bataille. Les Arméniens, aux prises avec des influences
contradictoires, avaient une politique irrésolue, soucieux de ne pas
compromettre leurs intérêts politiques, ni ceux de la foi. L'influence de
l'empire grec, toujours prépondérante en matière de religion, même quand elle
n'était pas imposée par le pouvoir civil, pressait les Arméniens d'accepter la
foi chalcédonienne. Pour l'amener à résipiscence on lui promettait d'améliorer
sa situation politique. Les Perses et les Arabes faisaient miroiter à leurs
yeux des promesses analogues, à la condition qu'ils s'éloignassent des Grecs.
Les Arméniens ne pouvaient et ne voulaient pas céder aux suggestions de ces
derniers, en acceptant la profession de foi chalcédonienne; ils n'entendaient
pas non plus exciter leur inimitié; à plus forte raison refusaient ils de se
livrer aux mains des puissances non chrétiennes. Cette situation difficile et
cet esprit d'indécision caractérisent particulièrement l'histoire de l'église
arménienne du VIe au IXe siècle, période que nous essaierons de retracer
succinctement en évoquant les événements les plus saillants. Les relations avec
les chrétiens de Perse, dont nous avons vu les premières manifestations au
temps de Babken, sont caractérisées par leurs recours continuels au patriarcat
arménien. Celui-ci s'employait à les protéger contre les envahissements des Nestoriens,
qui avaient su gagner la cour persane, grâce à leur esprit anti-grec. Le
patriarche Kristapor de Tiraritch, entre autres, ne se borna pas à défendre les
anti-nestoriens devant le roi-des-rois, il consacra
leurs évêques et donna tous ses soins à
l'administration de leur église. On connaît l'histoire du
deuxième concile de Constantinople, que les Grecs et les Latins
considèrent comme cinquième concile oecuménique.
L'excitation causée par celui de Chalcédoine
n'était pas encore apaisée à l'époque
où Justinien monta sur le trône (527). Comme ses efforts
pour ramener le calme restaient sans effet, il entreprit de faire
condamner les Trois-Chapitres, c'est-à-dire les écrits de
Diodore de Tarse, de Théodore de Mopsueste et d'lbas
d'Édesse, acquis aux idées de Nestor, en contradiction
avec les décrets éphésiens, et en
conformité avec la profession chalcédonienne. Justinien
pensait donner ainsi satisfaction aux orthodoxes
éphésiens, et modérer en même temps les
tendances des chalcédoniens. Le décret de convocation du
nouveau concile fut publié (546), mais les papes de Rome ne
cessèrent de soulever des difficultés, de crainte que la
condamnation indirecte du Tomos de Léon, n'affaiblît leur
prestige. Le pape Agapet, convoqué à Constantinople, y
mourut avant d'arriver à une solution. Vigile, nommé par
l'empereur à la condition de proclamer la condamnation des
Trois-Chapitres, ne fut pas reconnu par les Romains, qui lui
proposèrent Silvère; mais la mort de ce Dernier fit
cesser l'opposition, et Vigile fut reconnu. Le concile s'ouvrit enfin
(553), et les Trois-Chapitres y furent condamnés avec le
concours de ce dernier. C'est ainsi que prit fin la question
chalcédonienne dans le monde gréco-romain par un moyen
indirect, ou l'on accentuait l'idée de l'unité en Christ,
définie au concile d'Ephèse. Les Arméniens
restés fidèles à ce concile, malgré les
tergiversations des chalcédoniens, ne sentaient nullement le
besoin de nouvelles définitions; aussi refusèrent-ils de
n’attacher aucune importance à ses décrets, bien
qu’ils fussent non seulement conformes à leurs principes,
mais basés sur l’autorité du patriarche S. Sahak,
dont la lettre à ProcIe fut lue solennellement dans le concile,
immédiatement après la lecture des chapitres de S.
Cyrille d’ Alexandrie. Le patriarche Nerses II de
Bagrévand se contenta, au concile de Douine réuni
l'année suivante (554), de proclamer les doctrines
éphésiennes en opposition avec les prétentions
chaIcédoniennes. Les suggestions grecques, impuissantes sur
l'esprit des Arméniens, trouvèrent un accueil favorable
chez les Géorgiens. Leur patriarche Kurion, bien
qu'élevé et promu dans le patriarcat arménien,
conçut l'idée de se séparer de ce siège et
de se rallier au patriarcat de Constantinople pour capter la faveur
impériale. L'adhésion aux décrets de
Chalcédoine était la condition de cette soumission. Les
efforts de Vertanes, régent du patriarcat arménien
après la mort du patriarche Movsés II d'Eghivart
(574-604), et ceux du nouveau patriarche Abraham d'Aghbatank (607-615),
ne purent l'empêcher, et l'église géorgienne,
Kurion en tête, définitivement gagné à la
foi chalcédonienne, fut annexée à l'église
grecque. Le concile de Douine (609) scella cette séparation de
l'église orthodoxe arménienne. Mais cet
événement devait avoir dans la suite des temps des
conséquences fâcheuses pour l'église
géorgienne. Car sous la domination russe au Caucase, au
commencement du XIXe siècle, son existence nationale n'avait
plus aucune raison d'être, vu l'identité de principes, qui
fondait l'église géorgienne dans l'église russe.
Aujourd'hui tout est russifié en Géorgie;
hiérarchie et clergé, liturgie et langue; l'exarque
lui-même et Ies évêques de
la Géorgie
se recrutent dans le clergé russe. Nous ne passerons ras sous silence le
dernier effort tenté par les Grecs, pour gagner les Arméniens à leur cause.
Comme une partie de l'Arménie était tombée sous la domination byzantine,
Constantinople s'empressa d'y installer un patriarche à sa dévotion (590), du
vivant de Movsès II. Ce fut Hovhannés de Bagaran. Mais cette nouvelle tentative
resta vaine; car le siège antipatriarcal finit avec Hovhannés lui-même, qui
tomba entre les mains des Persans (611). Les Grecs ne crurent pas devoir lui
donner un successeur. Ils y furent d'autant moins encouragés que les Arméniens
de la domination grecque eux-mêmes refusèrent de reconnaître le patriarche
intrus, ainsi que la profession de foi chalcédonienne, qu'il représentait.
XI. ON REVIENT AUX QUERELLES
La Perse
avait envahi l'empire grec (614), et enlevé à
Jérusalem la relique de
la
Sainte-Croix
; l'armée persane vint camper sous les murs de
Constantinople. Ce ne fut que plus tard que l'empereur Héraclius, sortant de sa
torpeur, engagea une lutte, qui fut couronnée de succès (623). Les Persans,
battus, durent restituer la précieuse relique à
la Ville-Sainte. Les
troupes arméniennes, conduites par Megège Chtouni,
avaient contribué en grande partie au succès de la
campagne. Ce fut à la suite de ces événements
heureux, qu’Héraclius conçut le projet de
réaliser l'union dogmatique des Grecs avec les Arméniens.
Pour atteindre ce but, il essaya d'imposer à ces derniers les
décrets de Chalcédoine, que l'église grecque avait
reconnus après la condamnation des Trois-Chapitres. Plein de
cette pensée, il se rendit une seconde fois en Arménie
pour entamer les négociations. Le siège patriarcal
était occupé alors par Yezr (Esdras) de Parajenakert, qui
avait succédé à Abraham d'Aghbatank, à
Comitas d'Aghtzik (615-628), et à Kristapor II Apahouni
(628-630). Les hésitations de Yezr et de ses
évêques, et les conférences entre Grecs et
Arméniens, prirent fin par l'adhésion à une
formule de foi, imposée par l'empereur. Cette formule
était en tout conforme à la profession de foi des
Arméniens, sauf qu'on y passait sous silence le concile de
Chalcédoine. Elle fut approuvée par un concile
spécial tenu à Karine (Erzeroum), et solennellement
consacrée par la célébration d'une messe (632)
où communièrent ensemble Grecs et Arméniens.
Cependant la soumission du patriarche à la volonté de
l'empereur, avait irrité l'épiscopat et le peuple
arméniens. Une vive animosité s'était
déchaînée contre Yezr; mais, quoi qu'on pût
faire, on n'arriva pas à le faire déposer;
néanmoins le sentiment d'indignation, qu'excita sa conduite,
s'est conservé à travers les siècles, au point que
son nom figure encore sur la liste des patriarches avec l'initiale
renversée. Cependant, pour être juste, il faut ajouter que
Yezr ne pouvait guère être plus chalcédonien que
Héraclius, défenseur de la doctrine monothélite et
protecteur du patriarche Serges, qui était l'auteur de cette
doctrine. Le monothélisme, sous un aspect différent,
était la reprise de la doctrine monophysite du concile
d'Ephèse, que les Arméniens avaient soutenue avec
acharnement. Ne pouvant revenir sur la question du concile de
Chalcédoine, dont la sanction avait été
approuvée par le concile de 553, les monothélites
cherchaient à en détourner les effets, soit par la
condamnation des Trois-Chapitres, soit en soutenant l'union des
volontés en Christ, au lieu de l'union des natures. Nous nous
arrêterons un instant sur la personne du patriarche Nersès
III d'Ischkhan, surnommé Schinogh (l'Edificateur), à
cause de l'activité qu'il déploya au cours de son
administration. Cet ancien militaire était monté sur le
trône au commencement de l'invasion des Sarrasins (641).
L'Arménie perplexe ne savait si elle devait se déclarer
pour ses anciens dominateurs, ou pour les nouveaux envahisseurs.
Nersès, lui, était favorable à la domination
grecque, mais outre que les grecs étaient inactifs et
impuissants, les chefs militaires de la nation, Sembat Bagratouni et
Théodoros Rischtouni, se voyaient obligés de faire leur
soumission aux Sarrasins. L'empereur Constantin IV voulut tirer
vengeance de la défaillance des Arméniens, et à la
tête de son armée tenta encore de les soumettre à
son autorité religieuse. Le patriarche Nersès III
réussit à calmer l'empereur; mais après la
retraite des Grecs, un nouveau concile, convoqué à Douine
(645), proclamait hautement la résolution de n'admettre que les
trois premiers conciles, et de rejeter tout ce qu'on y avait
ajouté postérieurement. Mais la question politique mit en
opposition le patriarche Nersès et le grand satrape
Théodoros, qui était toujours du côté du
plus fort. Le patriarche se retira alors des affaires jusqu'à la
mort de Théodoros, qui eut lieu six ans après. Alors
seulement l'influence grecque reprit avec Nersès, mais toujours
faible et hésitante. Cette situation continua après la
mort de Nersès (661) dont les successeurs furent Anastase
d'Akori (661-667), Israël d'Othmous (667-677) et Sahak III de
Tzorapor (667-703). Pendant le pontificat de ce dernier, la domination
arabe s'établit définitivement en Arménie, et par
la même occasion les querelles gréco-arméniennes
perdirent de leur importance. Au surplus, les califes avaient
intérêt à voir ces derniers régler leurs
affaires religieuses dans un sens opposé aux idées
grecques. Le patriarche Sahak III avait entrepris un voyage à
Damas pour aller rendre visite du calife, lorsqu'il mourut en route.
Toutefois sa démarche aboutit à un résultat, car
le calife accorda la plupart des privilèges religieux qu'il
était venu lui demander. Le fait le plus saillant du patriarcat
d'Eghia (Elie) d'Ardjesch (703-717), son successeur, fut le zèle
qu'il déploya pour maintenir l'Albanie Caspienne dans la
communion de l'église arménienne. Leur patriarche,
Nersès Bakour, tenté par l'exemple de Kurion, penchait du
côté de la communion de l'église grecque. Il fut
destitué immédiatement et remplacé par
Siméon. Eghia fit aussi preuve d'énergie contre quelques
théologiens arméniens, élevés aux
écoles de Constantinople, qui voulaient prendre la
défense des décrets de Chalcédoine. Le patriarche
Hovhannès III d'Otzoun, surnommé Imastasser (le
Philosophe), esprit cultivé, savant et diplomate à la
fois, est la figure la plus éminente de l'époque. Ses
écrits contre les erreurs, ses réformes disciplinaires et
liturgiques, témoignent d'une profonde érudition. Il est
l'auteur des collections des canons ecclésiastiques et des
lettres chroniques, lesquelles forment un code de droit-canon. A
remarquer qu'elles sont antérieures à la collection
pseudo-isidorienne de l'église romaine. Ses relations avec les
califes, les privilèges, ainsi que les concessions qu'il en
obtint au profit de l'église et de la nation, font honneur
à ses qualités administratives. Dans l'ordre religieux,
il réussit à trancher la grosse question de la
corruptibilité du corps du Christ, soulevée par les
orthodoxes monophysites. Elle avait donné naissance aux sectes
des Julianides et des Sévériens, et
déterminé une scission entre les églises syrienne
et arménienne. Le conci!e de Manazkert, convoqué (726)
sous la présidence de Hovhannès, composé
d'évêques arméniens et syriens, adopta dix canons,
où l'on s'attacha à éliminer les
exagérations des deux sectes. La doctrine saine sur l'origine et
les qualités naturelles du corps du Christ y fut
approuvée, tout en sauvegardant la vénération pour
le corps du Verbe Incarné, non assujetti au péché et destiné à ne pas périr. Hovhannès
finit glorieusement ses jours (728), et sa mémoire a été sanctifiée par
l'église arménienne. Il y a peu de chose à dire sur la période qui suivit
(728-755), durant laquelle douze patriarches se succédèrent dans les conditions
pacifiques, faites à l'église arménienne par les califes. On peut signaler
seulement que lorsque ces derniers eurent doté l'Arménie de principautés
vassales (862), et que les Arméniens eurent commencé à jouir de leur autonomie
administrative, le patriarche Photius de Constantinople tenta une fois encore
d'établir des rapports avec l'église arménienne. II cherchait dans ce
rapprochement un point d'appui, qui devait lui servir dans ses querelles avec
l'église romaine. II écrivit donc au patriarche Zakaria de Tzak (855-878), et
au prince Aschot Bagratouni, des lettres, pour les inviter à accepter les
décrets de Chalcédoine; mais les réponses décisives qu'il reçut du patriarche
ne laissèrent aucune prise à la controverse, et la tentative de Photius
n'aboutit à aucun résultat.
XII. PÉRÉGRINATIONS PATRIARCALES
Le
patriarcat arménien n'a jamais emprunté son appellation
à une résidence déterminée; il a toujours
été appelé Patriarcat de Tous les Arméniens
(Aménaïn Haïotz). Ce titre lui a permis de
s'établir toujours au centre de la nation, quelle qu'ait
été la capitale de l'autorité politique du pays.
Etchmiadzine, résidence primitive et contemporaine de la
proclamation du christianisme comme religion officielle, n'était
au commencement du IVe siècle que la capitale de Vagharschapat.
Après la disparition du royaume et les agitations qui suivirent
cet événement, un satrape arménien s'installait
pacifiquement à Douine, en même temps que le patriarche
Hovhannès I Mandakouni (484). C'est là, au pied de
l'Ararat, non loin d'Etchmiadzine, que se sont fixés les
patriarches jusqu'à Hovhannès V de Draskhonakert (899-93
I) . Les concessions politiques, consenties aux Arméniens par
les califes, furent loin d'être avantageuses à la nation.
Car les principautés se multiplièrent, sous leur
autorité et les chefs prirent les titres des rois d'Ani, de Van,
de Kars, de Gougark, ce qui donna lieu à toutes sortes de
troubles et de compétitions. De plus, la création de ces
trop nombreuses principautés n'empêcha point la
présence permanente parmi elles de hauts commissaires arabes,
qui percevaient le tribut et surveillaient l'administration de ces
rois, sur lesquels ils avaient droit de vie et de mort. Nous ne voulons
pas entrer dans le détail des conséquences
fâcheuses qui furent le résultat de cette situation
anormale. La ville de Douine, résidence des rois Bagratouni
avant leur installation à Ani, continua d'être le
siège patriarcal jusqu'au moment où elle fut envahie et
saccagée par le commissaire Youssouf. Le patriarche
Hovhannès V, qui s'était rendu comme parlementaire
auprès de lui, fut gardé comme otage, Ayant obtenu sa
liberté contre rançon, il dut errer longtemps dans le
pays, sans pouvoir regagner sa résidence, qui d'ailleurs
n'existait plus, la ville ayant été saccagée et
ruinée en totalité. C'est seulement vers la fin de son
pontificat qu'il se décida à s'établir à
Van. Il résida d'abord dans le monastère des Tzorovank
(Salnapat), situé à proximité de cette ville; il
suivit ensuite le roi dans l'île d'Aghthamar, qui devint ainsi
résidence patriarcale. C'est là que ce patriarche,
surnommé Patmaban (l'Historiographe), termina ses jours (931),
après avoir été, trente-deux ans durant,
témoin de pénibles événements. Trois de ses
successeurs, Stépanos II (931-932), Théodoros I
(932-938), et Yéghisché I (938-943), ont
résidé à Aghthamar, à côté des
rois de Van. Mais Anania de Moks (943-967) trouva plus avantageux
d'abandonner la solitude de l'Ile et de s'établir au centre du
pays, sous la protection des rois d'Ani. Il se fixa provisoirement dans
la petite ville d'Arkina, près d'Ani, jusqu'au moment où
furent construits dans la capitale même un palais et une
basilique patriarcale (992). Anania se distingua dans les affaires
religieuses et politiques du pays, et son administration intelligente
contribua à assurer à l'église un calme relatif.
Vahan Suni, qui lui succéda (967-969), devint suspect, parce
qu'il chercha à adopter divers rites grecs et faire
prévaloir les principes chalcédoniens. L'épiscopat
arménien, ému, se réunit en concile à Ani,
destitua Vahan, qu'il remplaça par Stépanos III de
Sévan (969-971) . Ce dernier avait pour appui le roi d'Ani,
tandis que le roi de Van prit parti pour Vahan, et des troubles
résultèrent de
ce conflit, qui bouleversa le pays jusqu'à la mort de
Stépanos et de Vahan. Khatchik I Arschakouni (971-992), homme de
mérite et d'action, fut élu d'un commun accord. Il
réussit non seulement à rétablir la paix entre les
diverses principautés arméniennes, mais il
défendit avec succès ses coreligionnaires des provinces
byzantines, qui étaient sollicités d'entrer dans le giron
de l'église grecque. C'est Khatchik qui, le premier, consacra
des évêques arméniens pour ceux de ses
coreligionnaires qui habitaient les diocèses grecs. Jusqu'alors
il n'y avait eu, conformément à l'usage primitif, qu'un
seul évêque par diocèse. C'est, en effet, à
partir de cette époque, que les évêques se
multiplièrent suivant les rites et les professions de foi.
Khatchik, après avoir construit la basilique et la
résidence patriarcale d'Arkina, entreprit la construction
à Ani d'une nouvelle résidence, mais il n'en jouit point.
Elle fut inaugurée par son successeur, Sarkis I de Sévan
(992-1019). Cependant elle ne fut pas longtemps habitée, car
bientôt elle était abandonnée par son successeur,
Petros I Guétadartz (1019-1054), à la suite de la prise
d'Ani par les Grecs (1046), L'événement le plus marquant,
qui se soit produit sous l'administration de ces deux patriarches fut
la mesure prise contre la secte des Thondrakiens, sorte de pauliciens,
ennemis de tout culte extérieur, et que caractérisaient
leur exaltation et leur audace. Hacob, évèque de Hark,
prit leur parti, et entreprit de gouverner l'église
d'après les principes de la secte, sans toutefois rompre
ouvertement avec la profession orthodoxe. Hacob, sommé de
comparaître par deux fois devant un concile épiscopal,
avait pu se justifier. Mais on parvint à recueillir des preuves
certaines de ses agissements, et il fut condamné et
dégradé par le partriarche Sarkis. A Kaschi, un groupe
affilié à cette secte, avait détruit la grande
croix du village de Khatchguhe. On rechercha les auteurs de ce
sacrilège, qui furent arrêtés et punis d'une
manière sévère. On eut recours aux peines
corporelles, qui ne sont point, à vrai dire, d'un usage
ordinaire dans l'église arménienne. Mais, en cette
circonstance, on crut devoir prendre exemple sur les Grecs, qui se
signalaient par leur extrême sévérité contre
les Pauliciens, dont les actes audacieux, il est vrai,
dégénéraient en crimes de droit commun. La prise
d'Ani et la dispersion de la dynastie Bagratouni se rattachent à
la mémoire du patriarche Petros. Ce dernier, neveu du patriarche
Khatchik, avait été nommé du vivant de Sarkis, qui
avait abdiqué spontanément (1019). Il mourait peu
après (1022). Le roi Gaguik d'Ani en mourant (1020) avait
laissé comme successeur son fils aîné
Hovhannès-Sembat, esprit faible et indolent, qui pensa
consolider sa domination en stipulant avec l'empereur Basile II la
cession de son royaume après sa mort. Le patriarche Petros
lui-même se rendit à Trébizonde (1022) pour
régler cet accord avec l'empereur. Au retour, il
s'établit à Sébaste (1023), où
régnait alors Sénékérim, qui avait
échangé avec les Grecs son territoire de Van contre la
province de Sébaste. De cette ville il passa à Tzorovank
de Van (1029). De retour à Ani (1036), il fut
déposé par le roi et remplacé par Dioskoros de
Sanahine; mais l'opposition du clergé et du peuple chassait
Dioskoros l'année suivante ( 1037), et Petros reprenait
possession de son siège, qu'il garda une dizaine d'années
encore. Le roi Hovhannès-Sembat étant mort (1042) sans
laisser d'héritier direct, la succession revint à Gaguik,
fils de son frère Aschot, enfant de quinze ans, mais on chercha
à l'éliminer. Petros connaissait l'accord de
Trébisonde, dont le traité se trouvait entre les mains de
l'empereur Michel IV le Paphlagone. West-Sarkis, le premier ministre du
roi défunt, cherchait à recueillir la succession à
son profit; Vahram Pahlavouni, qui commandait l'armée,
était pour le droit et pour l'indépendance nationale. Les
Grecs, les Tatares et le roi de Gougark, se disputaient la possession
d'Ani. Vahram réussit à repousser tour à tour les
assauts des ennemis, et durant plusieurs années à
résister à leurs forces, et aux intrigues de Petros et de
Sarkis; mais il dut céder enfin, et la ville capitula aux mains
des grecs (1046). Le patriarche fut d'abord l'objet de toutes sortes
d'attention et d'honneurs de la part de ces derniers, qui le
déportèrent ensuite à Constantinople, où il
séjourna pendant trois ans. Il fut enfin envoyé à
Sébaste, où il finit ses jours (1054), dans l'exercice de
ses fonctions, bien qu'il se fut adjoint en qualité de
coadjuteur son neveu Khatchik, qui géra le patriarcat pendant
les absences de Petros, auquel il succéda a sa mort. Khatchik II
d'Ani fut aussi appelé à Constantinople où il fut
soumis à toutes sortes d'épreuves, non seulement pour lui
faire révéler les trésors de Petros, mais pour le
convertir à la profession de foi de l'église grecque.
Mais sa constance ne se démentit point en dépit des
souffrances endurées. Au bout de trois ans (1054-1057) il fut
relégué à Thavblour, près Tarantia
(Darendé) en Asie-Mineure, où il resta jusqu'à sa
mort (1060).
XIII.
LA
RÉSIDENCE EN
CILICIE
Les
Grecs, maîtres du pays, voulurent mettre obstacle à
l'élection du nouveau patriarche dans le but de faciliter la
soumission des Arméniens à la confession de
l'église grecque, Mais l'inutilité de leurs manoeuvres,
les plaintes qu'elles provoquèrent, et l'attitude de Gaguik, roi
de Kars, qui venait d'échanger son royaume contre le district
d'Amasia, décidèrent enfin l'empereur Constantin Ducas
à approuver (1065) la nomination de Grigor-Vahram, fils de
Grigor le Maguistros, gouverneur général au service de
l'empire. Le fils lui-même avait rempli cet office. On mit pour
condition à cette nomination, que le nouveau patriarche, Grigor
II Vikaïasser (le Martyrophile), ne s'établirait point en
Arménie. Il dut par suite fixer sa résidence à
Zamintia, dans le nouvel état du roi Gaguik de Kars. Son
patriarcat dura quarante ans (1065-1105). Il avait de
l'érudition et du mérite, mais sa gestion ne se signala
par aucun fait remarquable, à cause, sans doute, de la
répugnance qu'il ne cessa de manifester pour sa charge. On peut
affirmer, qu'il ne l'avait acceptée que pour mettre un terme
à la vacance du siège patriarcal, et non pour en exercer
les fonctions. Il se partageait entre les études
littéraires et des pèlerinages en Palestine et en
Égypte, abandonnant tous les soucis de l'administration aux
vicaires, qu'il s'était attachés comme coadjuteurs et
auxquels il avait conféré pleins pouvoirs. Parmi ces
derniers, Guévorg III (Georges) de Lori (1069-1072), n'ayant pas
été à la hauteur de la tâche, fut
déposé; mais Barsegh I (Basile) d'Ani, neveu de Grigor
II, fut un vicaire actif et prudent, qui assuma toutes les
responsabilités et les droits de la charge (1085),
jusqu'à la mort de son oncle, auquel il succéda sans
contestation (1105). la résidence patriarcale pendant cette
période était censée être fixée a
Zamintia, près Amasia, mais le séjour qu'y firent le
patriarche et ses coadjuteurs ne fut que provisoire. Barsegh
résidait, tantôt à Ani, tantôt dans
la Cilicie
et
la Comagène
,
où commençaient à émigrer les Arméniens, fuyant les incursions des Tatares . Le
monastère de Schoughr, centre de la vie monastique, qui commençait à fleurir
dans les montagnes de Seav-Ler (Amanus), fut choisi pour résidence ordinaire,
parce qu'il était situé sur le territoire de la principauté arménienne de
Cilicie. Cette principauté avait été créée par Rouben, issu des rois d'Ani, et
par son fils Constantin (1095-1110), prince auquel succéda Thoros, qui fut
puissamment soutenu par Barsegh, dans sa tentative pour donner une forme
politique et une plus vaste étendue à sa principauté. Barsegh mourut d'accident
à la suite de la chute d'un toit (1113). Il fut remplacé par le jeune Grigor
III Pahlavouni, âgé de vingt ans seulement, mais dont la candidature avait été
recommandée par Grigor II, en raison des preuves éclatantes de capacité qu'il
avait données. L'inertie administrative de Grigor II avait donné lieu aux
proclamations antipatriarchistes de Sarkis de Honi, de Théodoros Alakhossik et
de Poghos de Varak. Ils durent céder néanmoins devant l'énergie de Barsegh I.
La jeunesse de Grigor III servit de prétexte à l'archevêque David Thornikian
d'Aghthamar pour se faire proclamer patriarche. Depuis que le siège avait été
transféré d'Aghthamar à Arkina, sous Anania de Moks, les archevêques
d'Aghthamar exerçaient des prétentions exceptionnelles, qu'on s'habituait
pourtant a tolérer. David Thornikian, doué de la plus grande activité, voulant
donner corps à ses prétentions, profita de la jeunesse de Grigor III pour
déclarer illégale son intronisation et s'approprier le pouvoir suprême (1114).
Une assemblée extraordinaire composée de deux mille cinq cents ecclésiastiques,
assistés des princes de Cilicie, condamna David; mais, malgré cette décision,
les antipatriarches d'Aghthamar gardèrent leur siège jusqu'à nos jours, en se
réconciliant avec l'église mère. La résidence patriarcale, jusqu'alors si
instable, se trouvait encore à Seav-Ler, quand Grigor III prit le pouvoir
(1113). Douze ans plus tard, il s'installait au château de Dzovk (Dulouk), qui
appartenait à sa famille et où il résida pendant vingt-deux ans (1125-1147).
Mais désireux d'avoir une habitation pIus convenable, il réussit à entrer en
possession du château de Rhomkla (Roumkalé), que lui céda, à prix d'argent, le
fils du comte Josselin, seigneur de Germanicie (Marache). Les patriarches
arméniens s'y fixèrent pendant un siècle et demi (1147-1293), jusqu'au moment
de la prise du château par les Égyptiens. Ensuite ils s'établirent à Sis,
capitale du royaume de Cilicie, où ils siégèrent l'espace d'un siècle et demi
encore (1293-1441). Puis la résidence patriarcale revint encore une fois à
Etchmiadzine. La durée totale de l'absence, depuis l'éloignement de Douine
jusqu'au moment du retour au siège primitif, avait été de 540 ans (901-1441).
XIV. LES EFFORTS VERS L'UNION
On
pourrait à bon droit être surpris de la persistance des
tendances unionistes de l'église arménienne et de sa
conduite en apparence paradoxale, si on ne connaissait son esprit
essentiellement tolérant. Cette église a toujours
accueilli de bonne foi toutes les propositions qui lui ont
été faites dans ce sens; néanmoins elle ne s'est
jamais départie de son attitude indépendante. Les
églises, avec lesquelles elle pouvait être en relation,
étaient la grecque, la syrienne et la latine. L'église
grecque, la plus puissante et Ia plus étendue, occupait une
situation incontestablement supérieure, due en partie au
prestige de l'hellénisme dans le monde ancien et surtout
à la force politique de l'empire d'Orient. Elle a visé de
tout temps à exercer un rôle prépondérant
sur l'église arménienne. Elle s'est appliquée
à la soumettre, à l'annexer même si la chose
eût été en son pouvoir. Le peu que nous en avons
dit dans le chapitre sur les querelles successives au concile de
Chalcédoine a suffi pour édifier Ie lecteur. Les
Arméniens ne se sont jamais refusés à aucune
ouverture; mais en même temps ils n'ont jamais
adhéré définitivement à aucune proposition
positive. L'église syrienne occupant une situation plus faible,
l'accord avec elle fut obtenu sans difficulté; si, d'une part,
les Syriens ne pouvaient formuler des prétentions
exagérées; de l'autre, les Arméniens n'ont jamais
poussé loin leurs exigences. L'église latine, à
cause de son éloignement, n'entra en relation avec
l'église arménienne qu'au temps des croisades.
L'église arménienne a entendu toujours l'union dans le
sens vrai et strict du mot. Elle a voulu l'établir sur la
communion spirituelle des églises, le respect réciproque
de leurs situations, la liberté pour chacune dans les limites de
sa sphère, et la charité chrétienne dominant tout.
EIle n'a jamais souffert que l'union fût changée en
domination ni se confondît avec le prosélytisme.
Malheureusement les églises grecque et latine, fortes de leur
situation politique et sociale, ont toujours été
portées à croire qu'on ne peut réaliser l'union
des églises, qu'en les asservissant. Pour être plus
précis dans notre exposé, nous devons ajouter que
l'esprit de domination primait chez les Latins, et le
prosélytisme chez les Grecs. L'Arménien ne s'est jamais
refusé aux ouvertures faites par l'une ou par l'autre, bien
qu'il ait été souvent déçu dans ses
espérances. Sans se rebuter, il a renouvelé ses
tentatives de conciliation, encore qu'il désespérât
de les voir aboutir. Nous ne saurions contredire ceux qui voudraient
voir dans cette attitude des Arméniens, des motifs
d'intérêt, plus tôt que l'expression de l'esprit
chrétien. Un examen de leur situation politique et sociale, qui
n'a jamais été forte ni indépendante, suffirait
pour justifier leurs vues intéressées. Confinés
dans les provinces intérieures, à la merci des incursions
de l'est et de l'ouest, du sud et du nord, faibles en tant que nombre,
dépourvus de moyens matériels et intellectuels, ils ont
toujours cherché un appui auprès des autres communions
chrétiennes. Mais, tout en faisant des voeux pour l'union, ils
ne se sont jamais résignés à se soumettre à
leur domination religieuse, ni à subir leur prosélytisme.
Telle est la raison pour laquelle ils sont restés à
l'écart, isolés dans leur tradition. Ils ont vu dans les
principes d'union le salut de leur intérêt social et
civil, mais ils n'ont jamais voulu lui sacrifier leur principe
religieux et chrétien. Ces efforts vers l'union n'étaient
point une nouveauté. On les a vus soigneusement entretenus
vis-à-vis des Grecs, sans qu'ils aient pourtant abouti à
aucun résultat pratique, et l'église arménienne
est restée ferme dans son attitude indépendante au moment
même où les dynasties vassales disparaissaient
successivement, sous les coups des Tatares envahisseurs. Ce fut
à cette occasion que les Arméniens entreprirent cette
émigration en masse qui a été la cause principale
de la ruine de la patrie arménienne. Une partie prit la voie du
nord, traversa le Caucase et l'Euxin, et alla peupler
la Géorgie
,
la Crimée
,
la Pologne
,
la Moldavie
,
la Valachie
et
la Hongrie. Nous
ne
suivrons pas leurs traces. Une autre partie prit la voie du sud et s'installa
successivement dans
la
Comagène
, en Cilicie, en Syrie et en Caramanie, où elle réussit
à créer d'abord une principauté, puis un royaume
arménien, à transformer enfin ces pays en une petite
Arménie. Il est de notoriété que ce n'est que la
force des événements qui a poussé les
Arméniens, chassés par les invasions de l'est, à
tourner leurs regards vers les forces chrétiennes de l'ouest.
Des documents signalent une série ininterrompue de
négociations et de démarches unionistes accomplies
pendant toute ]a durée de la dynastie Roubénienne de
Cilicie (1080-1375), avec les Grecs et les Iatins. Ceux qui veulent
voir dans ces négociations avec ces derniers, une
adhésion complète au catholicisme romain, ne doivent pas
oublier que les négociations unionistes continuaient en
même temps avec les Grecs, et que ces derniers avaient rompu avec
les Latins depuis Photius. Les Arméniens n'auraient donc pu
suivre deux négociations à la fois, s'ils avaient
été soumis à l'une des deux églises, et
s'ils n'avaient joui d'une situation indépendante. Les
premières tentatives d'union commencèrent au temps de
Grigor II, qui, au cours de ses voyages accomplis dans le but de
rechercher des actes de martyrs, essaya d'amorcer une entente avec les
églises de Constantinople, d'Alexandrie et de Jérusalem.
II est bien question, à la vérité, dans un texte
unique, d'un voyage qu'il aurait accompli à Rome dans ce but,
mais il est reconnu que cette assertion résulte d'une simple
confusion entre Rome et Roltm, la ville des Romains et la ville des
Roméens. Quoi qu'il en soit, rien d'officiel ne fut conclu
pendant le pontificat de Grigor II, malgré les relations
très intimes qu'il entretenait avec les Grecs. Il réussit
seulement à mettre un terme au régime d'oppression
inauguré par les empereurs sous le pontificat de Petros I et de
Khatchik II. Pendant le gouvernement de Lévon I (1123-1137),
Grecs et Arméniens en vinrent aux mains, à la suite de
l'occupation par Lévon de quelques villes grecques. Les
hostilités aboutirent à la captivité du prince
arménien, et à l'occupation du pays, qui dura
jusqu'à ce que Thoros II, fils de Lévon, fût
rappelé à la succession de son père (1144), A la
suite de ces hostilités, des relations s'établirent entre
la principauté de Cilicie et les principautés latines
créées par les croisades. Le patriarche Grigor III et son
frère, l'évêque Nersés, furent
invités au concile latin d'Antioche (1141), réuni pour
l'affaire de l'évêque Rudolphe, sous la présidence
du cardinal Albéric, légat du pape. Celui-ci invita le
patriarche Grigor III à l'accompagner aux Lieux-Saints,
où il lui donna même une place d'honneur dans le concile
de Jérusalem (1143), C'est en cette circonstance qu'il fut
invité par le légat à consacrer son union avec
l'église romaine, Mais il fut assez habile pour décliner
adroitement la proposition, en déclarant que rien d'essentiel ne
séparait les deux églises, On jugea inopportun de pousser
plus loin la discussion, car les Arméniens et les Latins
comptaient sur un appui réciproque. Le pape Lucius II
(1143-1144) s'empressa d'envoyer à Grigor III des
présents ecclésiastiques, Celui-ci voulant rivaliser de
générosité, envoya une délégation,
qui rencontra à Viterbe le pape Eugène III (1145-1 153).
En cette circonstance, la dispute recommença à propos des
différences doctrinales et cérémoniales entre les
deux églises. Eugène III écrivit à ce sujet
à Grigor III, pour l'inviter à se conformer aux usages de
l'église romaine. C'est ainsi que se termina cette
première phase des négociations avec les Latins.
L'évêque Nersés, surnommé Schinorhali (le
Gracieux), frère du patriarche, était de retour du
château de Lambron, ou il s'était rendu pour mettre un
terme à l'animosité qui divisait les princes Thoros et
Oschin, quand, passant par Mopsueste, il s'avisa de rendre visite au
prince Alexis, gouverneur impérial de l'Asie Grecque (1165). La
question de l'union des églises y fut agitée et
traitée à fond, le prince autant que
l'évêque, était profondément versé
dans les affaires religieuses. Nersés prépara un
exposé apologétique de la doctrine et du rite de
l'église arménienne, que le prince se chargea avec joie
de présenter lui-même à l'empereur Manuel I
Comnène (1143-1180). Grigor III se retira alors des affaires, en
abdiquant en faveur de son frère (1166, avril), mais la mort ne
tarda pas à le surprendre (1166, juillet), et c'est alors que
Nersés IV Schinorhali prit possession du siège, et publia
son célèbre Indanrakan (encyclique), dont le texte fait
encore aujourd'hui autorité dans les questions
ecclésiastiques. La réponse à l'exposé
remis au prince Alexis fut livrée à Nersés,
déjà patriarche, bien qu'elle eût été
envoyée à l'adresse de Grigor III (1167). Manuel,
nullement au courant de l'abdication et de la mort de Grigor, demandait
que Nersés fût envoyé à Constantinople pour
entamer les négociations. Ce dernier, ne pouvant s'absenter,
proposa à l'empereur de venir le voir, quand il passerait en
Asie à la tête de l'expédition, qu'il
préparait contre les Tatares. Il lui proposa encore d'amener
avec lui les délégués latins, que Rome avait
envoyés à Constantinople, et comme le patriarche syrien
était aussi présent à Rhomkla, on pourrait dans un
concile plénier établir l'union des quatre
églises, et mettre fin au désaccord existant depuis sept
siècles. Car, disait Nersés, s'il est des points que les
Arméniens doivent corriger sur les propositions des Grecs,
ceux-ci doivent à leur tour en retoucher certains autres
d'après les observations des Arméniens. En même
temps il faisait remettre à l'empereur un second exposé
dogmatique, par lequel il confirmait comme patriarche tout ce qu'il
avait écrit comme évêque.
Manuel
Comnène, empêché de se rendre en Asie à
cause des troubles survenus en Thessalie, chargea les archimandrites
Théorianus grec et Ohan Outman arménien, d'aller
auprès du patriarche Nersés (1170), pour l'amener
à accepter les conditions des Grecs. L'ouvrage connu sous le
titre de Disputations entre Théorianus et Nersés,
écrit par Théorianus après son retour à
Constantinople, met dans la bouche de Nersés des expressions que
contredisent absolument les documents incontestables qui nous sont
parvenus, ce qui prouve que Théorianus a voulu masquer sa
défaite. Deux ans après (1172) l'empereur Manuel
reprenait les négociations et proposait aux Arméniens
l'acceptation des neuf points. Nersés convoquait à ce
propos un concile général, mais avant qu'il fût
réuni, il mourait le 16 août 1173. Son neveu et
successeur, Grigor IV Tegha, répondait à l'empereur
(1175), qu'il lui était impossible d'admettre les neuf points
proposés. L'empereur Manuel ramena alors sa proposition aux deux
points, touchant le concile de Chalcédoine et les deux natures
en Christ (1177). Grigor IV invita les évêques et les
docteurs des provinces intérieures à en
délibérer ; mais ceux-ci se refusèrent tout
d'abord à prendre en considération les propositions
grecques. Les instances du patriarche et de son cousin, Nersés
de Lambron, archevêque de Tarse, eurent pour résultat la
convocation du concile de Rhomkla, qui, sans adhérer aux
propositions grecques, proposa quelques formules de transaction. Mais
avant que la lettre synodale eût été
expédiée à Constantinople, Manuel mourait (1180).
D'autre part, les troubles intérieurs de l'empire
empêchèrent la continuation des négociations. De
sorte que la tentative d'union avec les grecs se termina avec la vie de
Manuel I. Isaac Angel (1185), abandonnant les pourparlers, inaugura un
régime d'oppression contre les Arméniens établis
dans l'empire.
XV. LES TENDANCES UNIONISTES
Le
but politique des Arméniens apparaît clairement dans
toutes ces tentatives de rapprochement. A peine eurent-ils conscience
de l'inutilité des négociations avec les Grecs, et de
l'impression produite en Orient par la croisade, que rehaussait la
présence de l'empereur Frédéric Barberousse,
qu'ils se tournaient immédiatement du côté des
Latins. Ce brusque revirement était motivé par le
désir de s'assurer un appui à la fois politique et
militaire, en vue de changer leur principauté en royaume. Ce fut
là essentiellement l'objectif du prince Lévon II (1185).
Les promoteurs de cette politique étaient le patriarche Grigor
IV et l'évêque Nersés de Lambron, qui
obéissaient aux suggestions de ce prince. Mais
l'épiscopat et le clergé des provinces
intérieures, connus sous le nom de groupe des docteurs
orientaux, qui avaient accueilli avec satisfaction l'échec du
concile de Rhomkla, élevèrent des protestations contre
les efforts latinophiles de Cilicie. Grigor IV mourut sans rien
conclure. Les évêques Grigor Apirat et Nersés de
Lambron, candidats probables à la succession, suspects de
sympathies occidentales, étaient mal vus par les docteurs
orientaux. Aussi le prince Lévon crut gagner les sympathies de
ces derniers en faisant élire Grigor V Karavège, jeune
évêque de vingt-deux ans. Mais la jalousie des candidats
exclus suscita de fausses accusations contre le jeune patriarche, qui
fut déposé et enfermé dans le château de
Kopitar. On le trouva mort au pied de sa prison (1194) ; on n'a jamais
su, si sa fin devait être attribuée à un simple
accident ou à un crime. Cependant le désir d'union
dominait la situation. Entre l'intransigeance des Orientaux et les
dispositions des Ciliciens, le prince Lévon cherchait un terrain
d'entente, soucieux de ne pas perdre la couronne royale, qui lui avait
été promise par les Latins; ni l'appui des Orientaux, sur
lesquels il comptait en vue d'étendre sa domination sur les
provinces intérieures de l'Arménie. La nomination de
Grigor VI Apirat au siège patriarcat, ne fut pas reconnue par
les Orientaux, qui proclamèrent Barsegh II d'Ani. Au surplus,
ils exigèrent sa reconnaissance par les Ciliciens et
l'éloignement de Nersés de Lambron des affaires du
patriarcat (1195). Lévon ne consentit apparemment qu'à
cette dernière condition. La scission dura jusqu'à la
mort de Barsegh ( 1206) . D'autre part, le rapprochement
arméno-Iatin éveillait la méfiance des Grecs, et
l'empereur Alexis Angel en prenait occasion pour renouveler les
persécutions contre les Arméniens. Le fougueux
Nersés de Lambron fut envoyé à Constantinople
(1196) pour tenter une nouvelle réconciliation, . Mais sa
mission ayant échoué, déçu dans son espoir,
il modéra sensiblement son zèle unioniste. Alors les
négociations avec les Latins reprirent ostensiblement. Les
empereurs d'Orient et d'Occident étaient tombés d'accord,
pour concéder à Lévon la couronne royale (1197),
mais l'investiture, que le pape devait accorder traîna encore
deux ans, qui furent employés à discuter les points et
les formules de l'union. Le légat du pape témoigna d'une
telle âpreté dans ses exigences, que l'épiscopat
arménien refusa d'y souscrire. Lévon, qui n'était
dominé que par le souci de ses intérêts, proposa
son adhésion personnelle, qu'il jugeait suffisante, mais le
légat exigea principalement celle de l'épiscopat.
Lévon réussit à provoquer, sinon son
adhésion unanime, du moins celle du conseil des douze
évêques, ce qui parut satisfaire le légat
(1198). Le couronnement eut lieu le 6 janvier 1199 ; le légat
posa la couronne sur la tête du roi, et le patriarche donna
l'onction; peu après, ce dernier mourait, à l'âge
de 82 ans. Lévon, qui s'était montré si
zélé envers les Latins, une fois le couronnement fait,
parut ne faire aucun cas des conditions arrêtées en commun
pour l'oeuvre de l'union. Pendant le patriarcat de Hovhannès VI
Medzabaro (1203-1221), Lévon en arriva jusqu'à
contrecarrer les instructions du légat, et même à
chasser les religieux latins de Cilicie. Le patriarche,
également peu favorable aux étrangers, ne tint aucun
compte du pacte de 1198. Des scissions particulières
éclatèrent peu après à la suite de la
proclamation des antipatriarches, mais la mort presque contemporaine de
Barsegh d'Ani, d'Anania de Sébaste et de David d'Arkakahin
(1206) y mit fin. De leur côté les Orientaux se
rallièrent à Hovhannès, grâce à
l'intervention de Lazaré Orbélian, représentant du
roi de Géorgie, et le patriarche put terminer ses jours en paix
(1221). Le long patriarcat de Constantin I de Bartzrberd (1221 1267)
fut favorable à l'influence latine en Cilicie. La
prépondérance acquise par les Latins, grâce aux
expéditions de l'empereur Frédéric II (1228) et
celles du roi Louis IX le Saint (1248) d'une part, et de l'autre
à la tendance manifestée par les Arméniens de
mettre à profit les avantages politiques et sociaux
résultant de la prééminence des occidentaux,
influencèrent favorablement les décisions du
gouvernement. C'est à cette époque que les colonies
italiennes se multiplièrent en Cilicie; en même temps de
nombreuses colonies arméniennes se fondaient en Italie. Les
relations qui s'établirent entre les deux nations
augmentèrent cette intimité. Le roi Lévon
étant mort sans héritier mâle (1219), sa fille
Zabel fut couronnée reine à l'âge de seize ans. Son
premier mariage avec le comte d'Antioche, Philippe (1222) ne fut pas
heureux. Elle épousa en secondes noces Hétoum
(Aïton), fils du régent Constantin, prince de Korikos.
Proclamé roi (1226), Hétoum se trouva en parfait accord
avec les tendances du temps, si bien que le patriarche et ce roi
peuvent être considérés comme les principaux
instigateurs du rapprochement arméno-Iatin, tant au point de vue
politique, qu'ecclésiastique. Mais, il faut dire à leur
louange qu'ils ne sacrifièrent à cet idéal d'union
rien de leur dignité; ajoutons en passant que tel ne fut pas le
cas de leurs successeurs. C'est un point capital à noter, que
Constantin et Hétoum, tout en entretenant de bonnes relations
avec les Latins, ne cessaient de négocier avec les Grecs, par
l'entremise de l'évêque Hacob, surnommé Guitnakan
(le Savant) . Ce dernier (1267-1286) et Constantin II Pronagortz
(1286-1289), qui succédèrent à Constantin I,
secondés par le roi Lévon III (1270-1289), crurent devoir
garder leur indépendance vis-à-vis des Latins. Mais le
roi Hétoum II (1289-1305) par contre, inaugura une politique des
plus serviles. Il fit déposer Constantin II, qui lui
résistait, et lui donna pour successeur un simple
anachorète, Stépanos IV de Rhomkla, qui tomba aux mains
des Égyptiens à la prise de Rhomkla (1293). Hétoum
II et les latinophiles réussirent enfin à élever
au siège patriarcal Grigor VII d'Annvarza, ardent partisan de
leurs idées. Le nouveau patriarche commença par
préciser les changements qu'il entendait introduire dans
l'église arménienne d'après les idées de
l'église romaine. Il venait d'en entreprendre la
réalisation, quand des troubles intérieurs
l'allertèrent. Après le rétablissement de l'ordre,
il convoqua un concile à Sis pour y faire sanctionner ses
projets; mais il mourut avant la réunion de cette
assemblée (1307). Le roi réussit à faire nommer
patriarche Constantin III de Césarée et à faire
adopter le programme de Grigor VII, qui, bien que rédigé
dans une langue vulgaire, ce qui s'accordait mal avec
l'érudition du défunt, passa pour avoir été
l'oeuvre de ce dernier. A partir de ce moment jusqu'à la date du
transfert du siège de Sis à Etchmiadzine (1441), on
constate une volonté de plus en plus marquée vers
l'union. Aux rois latinophiles de la famille de Korikos,
succèdent des rois latins et catholiques romains de la famille
des Lusignans. Cependant la situation politique intérieure
était extrêmement critique, à la merci
d'éléments perturbateurs. L'entente arméno-latine
avait excité la méfiance des Tatars, des Turcs et des
Égyptiens; et tandis que les Arméniens ne cessaient de
compter sur la protection des puissances chrétiennes, l'Europe,
défaite et affaiblie, perdait pied en Asie. Les questions
religieuses étaient toujours liées aux questions
politiques, comme condition indispensable de succès ; mais alors
même qu'elles eussent reçu la solution
désirée, elles n'auraient pu, à vrai dire,
produire l'effet qu'on en attendait. Les patriarches se
succédaient animés, tantôt de sentiments
latinophiles, tantôt d'aspirations nationalistes. En tout cas ils
ne pouvaient lutter contre les rois catholico-romains de la famille des
Lusignans. L'église arménienne réussit cependant
à ne pas se laisser gagner définitivement aux principes
catholico-romains . Elle garda son indépendance administrative
et ses particularités doctrinales, bien qu'elle ne pût
prévenir le relâchement de la discipline et celui du bon
ordre. Quinze patriarches se sont succédé à Sis
depuis Grigor VII jusqu'à Grigor IX en l'espace d'un
siècle et demi (1294-1441), et l'on conviendra si l'on tient
compte des événements, dont nous venons de faire le
récit, que cette résidence n'a guère
été de bon augure.
XVI. LE RETOUR A ETCHMIADZINE
L'église arménienne était
en proie à la plus grande confusion dans la première moitié du XVe siècle. Le
royaume de Cilicie avait définitivement disparu (1375) ; Sis était tombée au
pouvoir des Égyptiens avec le roi Lévon VI; seuls quelques chefs arméniens
résistaient encore sur l'Amanus et dans les gorges du Taurus. Pour juger
combien le siège patriarcal avait perdu de sa force et de sa splendeur, il
suffira de noter que les six derniers patriarches (1377-1432) n'étaient arrivés
au pontificat qu'en faisant assassiner leurs prédécesseurs et à prix d'argent.
Pour récupérer les sommes versées, ils ne reculaient devant aucune exaction. On
ne faisait nul cas de la pureté de la doctrine, et l'on était prêt à toutes les
capitulations , pourvu qu'on y trouvât profit. La propagande du catholicisme
romain s'exerçait avec succès en Cilicie, grâce à l'activité des missionnaires
latins de l'ordre des Franciscains. En même temps l'ordre des Dominicains travaillait
à convertir
la
Grande-Arménie
, où il avait formé une congrégation
spéciale de Frères « Unitor »
latino-arménienne, patronnée par l'évêque
Barthélemy de Bologne. La colonie arménienne,
établie alors en Crimée, sous la domination des
Génois, avait noué, par l'entremise de ces derniers, des
relations directes avec Rome. Elle avait même envoyé au
concile de Florence (1439) une délégation chargée
de négocier l'union. Le siège d'Aghthamar,
séparé en 1114, s'était réconcilié
avec l'église-mère sous le patriarcat de Hacob III de Sis
(1409), par l'entremise du grand docteur, S. Grigor de Tathev, qui
s'était employé sagement à mettre fin à
cette scission. Les patriarches d' Aghthamar , en présence de la
ruine du siège de Sis, soucieux de la pureté de la
doctrine et de la tradition, voulurent réagir. Il faut ajouter
qu'il y avait là également l'intention de rehausser le
prestige de leur siège. L'institut théologique de Sunik,
qui jouissait depuis des siècles d'une réputation
justement méritée, avait dans les derniers temps
gagné un regain de vitalité sous la direction des saints
docteurs, Hovhannès d'Orotn († 1388), Maghakia de Khrim
(† 1384), et Grigor deTathev († 1410). Un nombre
considérable de leurs élèves, déplorant
l'état lamentable de leur église, avaient voulu y porter
remède. Telles furent les causes contradictoires, qui
déterminèrent la nation à prendre des mesures
radicales. Comme on s'était enfin aperçu qu'il n'y avait
ni raison ni utilité à maintenir la résidence
patriarcale éloignée de son siège primitif, on
songea à la rétablir à Etchmiadzine, à
cause de la sécurité, relativement meilleure, dont cette
ville jouissait sous la domination persane. Grigor IX
Moussabéguian, qui occupait de fait le siège patriarcal,
invité à accomplir ce transfert, s'y refusa d'abord, puis
y consentit, et une assemblée générale de sept
cents membres, entre évêques, archimandrites, docteurs,
archiprêtres, princes et notables, réunis à
Etchmiadzine (1441, mai), sanctionna cette décision. Puis, pour
couper court à tout conflit possible entre les divers candidats,
on élut Kirakos de Virap, ecclésiastique en odeur de
sainteté, et qui n'avait pris aucune part aux mouvements
antérieurs. On mettait ainsi fin aux compétitions de
Zakaria, patriarche d'Aghthamar, de Zakaria de Havoutztar, chef de
l'institut de Sunik, et de Grigor Djélalbeguian,
archevêque d'Ardaze, qui se trouvaient écartés par
cette élection. Une ère meilleure semblait s'annoncer
pour l'église. Du coup, les tendances unionistes n'avaient plus
de raison d'être, et le siège d'Aghthamar était
définitivement rallié ; des hommes capables se trouvaient
à la tête du mouvement de restauration, dont les forces
concentrées était de bon augure. Malheureusement les
passions allaient tout compromettre; l'intérêt individuel
primant l'intérêt général, l'église
ne put réaliser son idéal de paix. Le patriarche Kirakos
incapable de dominer la situation, abdiquait au bout de deux ans (1443)
; il était remplacé par Grigor X Djélalbeguian.
Zakaria d'Aghthamar, qui s'était fait proclamer patriarche
suprême après la démission de Kirakos, renversait
ce dernier et occupait Etchmiadzine (1461), mais il n'achevait pas
l'année. Grigor X revenait au pouvoir, et ceux qui l'avaient
aidé à réintégrer le siège,
étaient élevés aux honneurs du patriarcat comme
coadjuteurs avec pleins titres et pleins pouvoirs. C'est ainsi
qu'Aristakes II Athorakal et Sarkis II Atchatar furent appelés
à cette charge. C'est à partir de ce moment, et durant
deux siècles, que prévalut à Etchmiadzine le
système d'agréger au siège patriarcal des
coadjuteurs avec titres et attributions de patriarche; et cela dans le
but de satisfaire aux ambitions de certains évêques et de
se concilier la sympathie des factions. La seule conséquence
heureuse qui découla de cet état de choses, fut de
faciliter l'ordre de succession par l'intronisation immédiate du
coadjuteur doyen. Car, par suite à des troubles qui agitaient
alors le pays et de la dispersion des Arméniens, la convocation
des Assemblées électorales était devenue des plus
difficiles. Depuis les premiers siècles, la possession de la
relique du Bras-droit (Atch) de S. Grigor Loussavoritch était
considérée comme un apanage de la dignité
patriarcale; c'est avec le “ Saint Atch “ que
s'accomplissaient les consécrations, même celle du
saint-chrême. Cette relique avait suivi les patriarches dans
leurs longues pérégrinations. Par suite, le transfert du
siège de Sis à Etchmiadzine dut être validé
par la présence de cette relique. Zakaria d'Aghthamar pour
légitimer ses prétentions s'en empara, et il l'emporta
avec lui, quand il fut chassé d'Etchmiadzine (1462). La relique
resta à Aghthamar, d'où elle fut enlevée de
nouveau et portée à Etchmiadzine par
l'évêque Vertanès d'Odzop (1477), qui l'enleva dans
des conditions curieuses. Les troubles d'Etchmiadzine et la
soustraction du saint Atch encouragèrent l'évêque
Karapet de Tokat, à restaurer le siège de Sis, en se
prévalant de la pseudopossession d'un saint Atch (1447). C'est
depuis lors que fut créé le siège patriarcal de
Sis, qui se perpétue encore de nos jours, bien que
réconcilié avec l'église-mère. Le
siège d'Etchmiadzine fut en proie aux troubles extérieurs
et intérieurs, qui durèrent jusqu'à
l'élection de Movsès III de Tathev (1629). Plus d'une
trentaine de dignitaires s'étaient succédé
à titre de patriarches ou coadjuteurs, sans qu'apparut parmi
tant d'hommes un seul caractère capable de dominer la situation.
La ville d'Etchmiadzine faisait alors partie des possessions persanes,
et les gouverneurs ou khans d'Erivan, ne voyaient dans ces dissensions
qu'une occasion d'extorquer de l'argent. Ils se rangeaient
invariablement du côté du plus offrant, et quand ils ne
trouvaient pas preneur, ils soumettaient les patriarches aux tortures
corporelles pour les rançonner. Dans ces conditions rien de
sérieux ou de régulier ne put être entrepris, et
c'est un état de décadence complète qui
caractérise cette époque. Le seul patriarche digne
d'être cité, Mikaël de Sébaste
(1542-1564-1570), sut contenir les ambitions des patriarches
d'Aghthamar et de l'Albanie Caspienne. On lui doit la création
de l'imprimerie arménienne. Il envoya en Italie (1562), Abgar de
Tokat, pour en étudier les procédés; pour lui
faciliter la tâche il le munit de lettres de recommandation
auprès du pape Pie IV. Les premières éditions
parurent à Venise en 1565 sous la direction d'Abgar. Cependant
des éditions antérieures subsistent qui remontent â
1512; elles sont l'oeuvre d'éditeurs européens et de
commerçants arméniens. L'initiative du patriarche
Mikaël fut des plus heureuses; à partir de ce moment les
imprimeries arméniennes se multiplièrent à Venise,
à Rome, à Constantinople, à Etchmiadzine, à
Ispahan et à Amsterdam. L'oeuvre la plus importante et de toutes
la meilleure fut la publication illustrée de la bible par
l'évêque Oskan à Amsterdam, en 1666.
XVII. LE PATRIARCAT DE CONSTANTINOPLE
C'est
au moment ou s'effectua le transfert du siège patriarcal
suprême de Sis à Etchmiadzine, qu'eut lieu la
création d'un siège spécial à
Constantinople. Mahomet II, après la conquête de cette
ville, usa d'une mesure radicale pour s'assurer la soumission des
Grecs. La législation ottomane était toute religieuse, et
les droits individuels et sociaux s'inspiraient exclusivement des
principes islamiques. Les puissances musulmanes, en soumettant les pays
chrétiens, se trouvaient dans l'alternative, ou d'imposer leur
religion aux populations vaincues, ou bien de leur octroyer une
autonomie administrative et sociale. Aucun de ces deux cas ne pouvait
s'appliquer à Constantinople, gui venait d'être
proclamée capitale du nouvel empire musulman. Le
conquérant se crut donc obligé d'octroyer au chef
religieux des Grecs, des attributions sociales et civiles sur les
points en relation stricte avec leur religion. Ainsi toutes les
affaires concernant la vie familiale, comme le mariage, l'instruction
publique, la bienfaisance, le culte et ses ministres, l'administration
cultuelle, etc., furent abandonnées à la juridiction des
chefs religieux. C'est ainsi que le patriarche se trouva revêtu
d'une espèce de juridiction civile ou patriciat impérial
(1453). Après avoir établi de la sorte le statut
personnel des Grecs, Je conquérant s'avisa de leur opposer un
autre élément chrétien, qu'il jugeait plus
attaché à ses intérêts. Il transféra
à Constantinople une nombreuse colonie arménienne, qu'il
distribua dans les quartiers excentriques, à l'intérieur
des murs et à proximité des portes principales. En
même temps, par surcroît de précaution, les Grecs
étaient groupés dans les quartiers du centre,
éloignés des tours et des murailles. Les Arméniens
jouissaient de la confiance des Turcs, depuis Osman I Ghazi. La
nouvelle colonie fut mise sur le même pied que
l'élément grec. L'évêque Hovakim,
métropolitain des colonies arméniennes de l'Asie-Mineure,
appelé de Brousse à Constantinople, reçut les
titres, les honneurs, ainsi que les attributions qu'on avait reconnu au
patriarche grec (1461). C'est ainsi que les deux patriarches, grec et
arménien, furent reconnus comme chefs des deux grandes fractions
chrétiennes orthodoxes de l'Orient: Cette division fut
établie sur la base de la profession de foi,
indépendamment de toute considération de race ou de
nationalité. Tous les orthodoxes diophysites : Grecs, Bulgares,
Serbes, Albanais, Valaques, Moldaves, Ruthènes, Croates,
Caramaniens, Syriens, Melkites et Arabes, furent rattachés avec
leurs chefs respectifs à la juridiction du patriarche grec.
Quant aux orthodoxes monophysites, comprenant les Arméniens, les
Syriens, les Chaldéens, les Coptes, les Géorgiens et les
Abyssiniens, ils furent soumis, avec leurs chefs respectifs, au
patriarche arménien. Les Juifs ne possédaient pas alors
de situation légale, et les catholiques romains ou Levantins,
étaient considérés comme étrangers. De
sorte que ceux des indigènes qui embrassaient le catholicisme
romain, ne pouvaient pas se prévaloir de leur conversion au
point de vue de certains actes extérieurs religieux, comme le
baptême, le mariage et les enterrements, etc. Cette situation
s'est maintenue intacte pendant des siècles, et ce n'est que
vers la moitié du siècle dernier qu'on y a mis fin par la
création d'un patriarcat catholique (1830) ; création qui
en amena d'autres d'après les différences de rites et des
professions de foi. Les patriarches arméniens de Constantinople,
au cours de cette même période, se sont attachés
à centraliser, dans les limites du possible, les affaires
intérieures de la nation. Ieur action administrative s'est
progressivement étendue sur toutes les provinces de l'empire, y
compris les diocèses régis spirituellement par les
patriarcats de Sis, d'Aghthamar et de Jérusalem. L'histoire de
cette première époque n'enregistre que des conflits entre
les sièges et les diocèses, et cela au milieu de troubles
politiques et de guerres continuelles. Mais nous les passerons sous
silence, ne voulant pas charger cet aperçu historique de
récits qui nous éloigneraient de notre but.
XVIII. L'ÈRE DU RÉVEIL
Nous
avons poussé le scrupule jusqu'à l'indiscrétion
dans l'exposé de l'état lamentable où était
tombé au moyen âge la nation arménienne, et son
église. Mais, pour être juste, il faut ajouter que cette
dernière n'est point responsable de ses malheurs; car on ne
saurait lui imputer le triste état de sa condition sociale et
civile, comme certains apologistes du romanisme ont osé le
faire. La décadence de l'Occident au moyen âge, et les
abus qui s'y commettaient au nom de la religion, ne suffisent-ils pour
démentir leurs assertions ? Avant de porter un jugement
sévère sur les chrétiens d'Orient, on doit se
représenter les ruines et la désolation semées par
les hordes venues de l'est et du sud, ainsi que les persécutions
dont ils ne cessaient d'être victimes de la part des vainqueurs.
Qu'on songe aux ténèbres intellectuelles que ces derniers
se plaisaient à entretenir chez les peuples qu'ils soumettaient;
à l'absence totale de tous moyens, moral et matériel,
pour les dissiper; enfin aux énormes sacrifices, auxquels ils
durent se soumettre pour conserver même leur existence
matérielle. Et cependant, c'est encore à la nation
arménienne que revient le mérite,
la Première
en Orient, d'avoir donné le signal de la résurrection,
par les efforts accomplis pour échapper à cette
pénible situation qu'aucune amélioration sociale ne vint
jamais atténuer spontanément;
désespérément elle n'A cessé de tendre les
mains partout où elle a vu luire un espoir de salut.
La Renaissance
venait à
peine de jeter sur l'Occident ses premières clartés, que les Arméniens
s'empressaient d'accourir en Europe, avides de régénération intellectuelle. La
mission envoyée par le patriarche Mikaël, partie du fond de l'Asie au bruit de
l'invention de Gutenberg, en offre un exemple remarquable. Malheureusement
l'Occident se trouvait alors en proie au fanatisme religieux, mis au service de
la plus intolérante politique. II ne faisait rien pour ceux qui ne cédaient pas
aux avances du catholicisme romain. La condition indispensable, pour en obtenir
aide et appui, était la soumission à la papauté, suprême arbitre de l'époque.
Ceux qui érigeaient les autodafé, pouvaient- ils raisonnablement se porter au
secours des églises d'Orient? Peut-on oublier que les disciples de François
d'Assise, de Dominique Guzman et d'Ignace de Loyola, employaient leur zèle
apostolique à la conversion des anciens chrétiens d'Orient au christianisme
nouveau de l'Occident? Sans répit, ils s'efforçaient d'imposer aux dépositaires
des dogmes de l'église primitive, les innovations de la scholastique latine.
Dans ces circonstances pénibles, les Arméniens s'attachèrent à observer une
conduite, tantôt conciliante, tantôt intransigeante; conciliante, toutes les
fois que les sacrifices demandés restaient dans les limites d'une sage
tolérance; intransigeante, quand on allait au delà de ce que permet la
prudence; conciliante, quand ils en espéraient quelque profit; intransigeante,
quand le profit devait s'acheter au prix de sacrifices excessifs. II y en eut
pourtant, qui n'hésitèrent pas à pousser l'esprit de conciliation jusqu'à
l'extrême limite, emportés qu'ils étaient par l'ardeur de leurs convictions
progressistes; mais les autres se refusèrent à toute abdication, même
apparente. Ces faits ne doivent pas être perdus de vue, si l'on tient à
s'expliquer les événements, auxquels a donné lieu le désir de participer au
mouvement des esprits, qui s'opérait en Occident. Parmi les hommes qui se
vouèrent à cette oeuvre, nous devons en première ligne nommer le patriarche
Movsès III de Tathev, qui s'était consacré, bien avant son avènement, à une
oeuvre de réformes et de réorganisation. Le siège d'Etchmiadzine doit à son
zèle les restaurations qui le relevèrent d'une ruine complète. Il obtint du
gouvernement persan la fin des exactions dont l'église était victime, et même
des exonérations d'impôts, et il reprit avec succès la réforme des moeurs et
des doctrines ecclésiastiques. Son élévation au patriarcat ne fut que la
rémunération des services rendus, car son activité y fut de courte durée, de
trois ans seulement (1629-1632). Piliphos (Philippe) d'Aghbak (1633-I655), qui
lui succéda, continua l'oeuvre réparatrice de son prédécesseur. Il entreprit un
voyage en Turquie, où il contribua puissamment au règlement des affaires des
patriarcats de Constantinople et de Jérusalem. Il convoqua dans cette dernière
ville un concile ( 1651 ), pour mettre un terme au conflit qui divisait
Etchmiadzine et Sis ; il sanctionna la communion de ce dernier siège avec
l'église-mère, comme cela avait eu lieu précédemment pour le siège d' Aghthamar
. En outre, il s'attacha à améliorer les conditions matérielles du siège
patriarcal, et dans ce but il entreprit l'irrigation des terres d'Etchmiadzine
au moyen d'un ingénieux système de canalisations. Hacob IV de Djouha
(1655-I680), qui lui succéda, s'engagea dans la même voie. Mais malheureusement
de sérieuses complications venaient d'éclater à Constantinople, qui absorbèrent
son attention. Les missionnaires de Rome, sous la conduite du père Clément
Galano, venaient de gagner à leur cause un groupe d'Arméniens. Un de leurs
adeptes, Thomas d'Alep, avait même réussi à s'emparer du patriarcat, mais il
n'y resta pas longtemps; car il en fut aussitôt chassé par le peuple. En même
temps, l'évêgue Yéghiazar d'Aïntab, qui avait occupé tour à tour les
patriarcats de Constantinople et de Jérusalem, se faisait proclamer patriarche
suprême de
la Turquie
, contre Etchmiadzine. Hacob dut venir en personne à
Constantinople (1664), où il fut assez heureux de remettre un
peu d'ordre dans les affaires (1667). Mais la recrudescence des
troubles et les efforts de l'évêque Nicol pour imposer le
catholicisme romain aux Arméniens de Pologne, rendirent
indispensable un nouveau voyage à Constantinople (1679). Il
l'accomplit malgré son grand âge, mais il succomba aux
fatigues, et mourut âgé de 82 ans (1680). Il fut
inhumé dans le cimetière de Péra, où
jusqu'ici son tombeau est l'objet de la vénération des
fidèles. Le siège resta vacant pendant deux ans, à
cause des troubles soulevés par Yéghiazar. Ce ne fut
qu'après ce délai, qu'on procéda à
l'élection, et ce fut précisément sur ce dernier
que tomba le choix. Son pontificat, qui dura neuf ans (1682-1691), fut
fécond en résultats heureux. Comme ni les bonnes
intentions, ni la capacité, ne lui faisaient défaut, une
fois son ambition satisfaite, il dirigea tous ses efforts vers le bien.
Aussi a-t-il laissé une mémoire justement honorée
dans la série des patriarches suprêmes de l'église
arménienne.
XIX. PENDANT LE XVIIIe SIÈCLE
L'amour
du progrès et de l'instruction, nourri par les Arméniens,
qui ne reculait devant aucun moyen pour se satisfaire, facilita
singulièrement les efforts des missionnaires romains pour
propager leur foi. Tout un groupe de partisans actifs du catholicisme
romain s'était formé à Constantinople pendant le
XVllle siècle, Ils s'étaient laissés circonvenir
par les missionnaires de Péra, protégés et
guidés par les représentants des rois
Très-Chrétiens. Bien que les nouveaux catholiques ne
cessassent de relever officiellement du patriarcat arménien, ils
formaient un parti actif, qui ne tendait à rien moins
qu'à s'emparer de l'administration nationale. Les conservateurs
zélés de l'église, forts par le nombre et par leur
influence auprès du Divan, fidèles aux traditions,
usaient de tous les moyens pour déjouer leurs menées.
Comme les nouveaux adeptes entretenaient des relations suivies avec les
étrangers, ils cherchèrent à les rendre suspects
aux yeux du gouvernement. Telles furent l'origine et la signification
des mesures provoquées par le patriarcat et
édictées par le gouvernement contre les arméniens
catholicisants; ces mesures qui ont été taxées de
persécutions religieuses, n'étaient en
réalité qu'une arme de combat. De leur côté,
les néo-catholiques n'hésitaient pas à user de
moyens analogues contre le patriarcat, qu'ils accusaient de favoriser
les aspirations moscovites. En dehors de Constantinople le catholicisme
romain obtint quelques succès à Mardin et à Alep.
Les évêques Melcon Tasbasian et Abraham Ardzivian s'y
étaient ouvertement déclarés en sa faveur. Cette
défection ne tarda pas à leur attirer les mesures
coercitives du patriarcat. Les catholiques, à leur tour, mirent
à profit le crédit des ambassadeurs de France, pour
accabler ce dernier. On connaît l'aventure du patriarche
Avédik de Tokat, qui, sur l'intervention de l'ambassadeur du
roi, fut une première fois emprisonné aux Sept- Tours
(1703), puis, après avoir été furtivement
enlevé de Tén~dos, où il avait été
exilé, transféré en France (1700), où il
fut jugé et condamné par l'Inquisition (1711). Nous
devons également une mention spéciale à Mekhitar
de Sébaste, ecclésiastique avide de progrès, aux
idées larges, qui essaya de profiter de la domination
vénitienne en Morée, pour y fonder une maison monastique
d'instruction (1712) sous les auspices du catholicisme; mais il dut
renoncer à ce dessein par suite de l'évacuation du pays
par les Vénitiens. Alors, il prit la résolution de
s'établir dans l'ilôt de San-Lazaro à Venise
(1717). Mekhitar dut se plier aux exigences de la curie romaine pour
pouvoir se consacrer librement à son oeuvre de culture
intellectuelle; sagement il s'abstint de prendre part à l'oeuvre
de prosélytisme. Cette conduite si conforme aux
intérêts nationaux, fut de tradition dans sa
congrégation au cours du XVIIIe siècle, mais depuis,
d'autres idées ont prévalu dans son sein.
Néanmoins nous nous plaisons à rendre hommage aux
services rendus à la nation par les Mekhitaristes de Venise et
de Vienne, qui ont tant fait pour enrichir la langue et la
littérature arméniennes. Un autre institution monastique,
la congrégation Antonine, était fondée à la
même époque par Abraham Attar, sur les montagnes du Liban,
en pays Maronite. Tout en répondant au but qu'on s'était
proposé en choisissant un pays latin, la position du Liban
offrait de plus l'avantage de conserver le contact avec la nation. Les
Arméniens des provinces méridionales de
la Turquie
,
encore pénétrés des souvenirs du royaume de Cilicie, étaient plus accessibles
au catholicisme romain. Ils eurent même la témérité, avec le concours de deux
évêques et de quelques prêtres, de créer un siège patriarcal catholique de
Cilicie. Le premier titulaire fut l'évêque Abraham Ardzivian (1740), qui s'empressa
d'aller se présenter au pape Benoît XIV en qualité de patriarche suprême des
Arméniens. Ce pape, certes, savait à quoi s'en tenir sur la valeur de ces
prétentions, mais il n'eut garde de les décourager; car il y vit une occasion
de réaliser ses desseins en Orient. Il reconnut donc l'institution d'un
patriarcat arméno-catholique officiellement soumis à la curie romaine (1742).
Ces institutions catholico-romaines, entretenues par
la Propagande
de Rome et protégées énergiquement par le
gouvernement français, ont contribué puissamment à
l'extension du catholicisme parmi les Arméniens au cours du
XVIIIe siècle. Cependant on peut remarquer que les
résultats obtenus ne furent nullement proportionnés aux
efforts et aux moyens mis en ceuvre. Le contact européen, effet
direct du prosélytisme, a contribué, on ne saurait le
nier, à élever le niveau intellectuel de la nation, mais
nous pensons que ce résultat eût pu être obtenu par
des moyens différents; l'évolution naturelle des esprits
en marche eût suffi. Nous en avons la preuve dans l'initiative de
Vardan de Baghesch, supérieur du monastère d'Amlordi, qui
sut donner une vive impulsion à l'instruction publique dans les
provinces. Ses élèves, Hovhannés Kolot et Hacob
Nalian, patriarches de Constantinople, et Grigor Schikhtaïakir,
patriarche de Jérusalem, ont su rendre des services
éclatants sans se départir de leur fidélité
à l'église. C'est grâce à leurs efforts, que
le XVIIIe siècle a marqué un progrès sensible dans
la vie nationale et dans les affaires de l'église. Nous venons
de donner dans ces dernières notes, une place
prépondérante au patriarcat de Constantinople. Nous
trouverons notre justification dans ce fait que les
événements qui marquent l'histoire du patriarcat
suprême commençaient à perdre de leur importance.
Du jour où un siège patriarcal et une forte colonie se
furent installés dans la capitale de
la Turquie
, cette ville devint le centre de la nation arménienne. Les dix
patriarches suprêmes qui ont succédé à
Yéghiazar d'Aïntab, depuis Nahapet d'Édesse
(1691-1705) jusqu'à Hacob V de Schamakhi ( 1759-1763), ne se
sont signalés par aucun acte digne de mention; ils n'ont
brilllé que par leur zèle pour le bien du patriarcat.
Siméon d'Érivan (1763-1780) qui leur succéda, est
regardé comme la plus grande figure du siècle. Son
inlassable activité fut féconde en oeuvres utiles, comme
le cadastre régulier qu'il établit des
propriétés d'Etchmiadzine, la revendication des droits du
siège suprême, l'organisation d'un séminaire,
l'introduction de l'imprimerie, et la création d'une fabrique de
papier. C'est encore à lui qu'on doit l'établissement des
premiers rapports avec l'empire russe, la fondation des archives
patriarcales, enfin la révision du calendrier liturgique,
lequel, malgré quelques critiques, s'est
généralisé dans l'église. Ghoukas (Luc) de
Karin, qui lui succéda (1780-1799), se préoccupa de
compléter l'oeuvre de Siméon. Il créa un conseil
permanent de six évêques pour assister le patriarche et
pour assurer le cours régulier des affai res
ecclésiastiques. Après quoi il enrichit
l'intérieur de la basilique patriarcale. Zakaria Pokouzian
(1773-1799), qui clôt la série des Patriarches de
Constantinople de ce siècle, fut le digne émule de
Siméon par son activité réformiste. Son plus grand
mérite fut de donner une vive impulsion à l'instruction
du clergé, On le vit se consacrer personnellement à
l'enseignement, pour former des élèves capables; puis une
fois préparés, il les plaça à la tête
des oeuvres scolaires et dans l'administration. Le séminaire
d'Armache, qui a donné à l'église tant de
patriarches et d'évêques distingués, fut une
création de Bartholoméos Kapoutik et de Poghos Karakotch,
élèves de Zakaria.
XX. PENDANT LE XIXe SIÈCLE
Ghoukas et Zakaria étant
morts la même année (1799), le XIXe siècle commença par des luttes électorales,
qui furent vives. Il s'agissait de pourvoir aux vacances des sièges
d'Etchmiadzine et de Constantinople. La grande révolution, qui alors
bouleversait l'Occident, ne fut pas sans exercer quelque influence sur l'esprit
des Arméniens. Hovsep Arghoutian, David Gorganian et Daniel de Sourmari se
disputaient le siège d'Etchmiadzine, et chacun avait ses partisans. Le premier
l'emporta, mais il mourut avant de prendre possession du trône patriarcal. Son
compétiteur parvint à s'y maintenir durant quelques années; mais ayant été
chassé, il fut remplacé par le troisième (1804-1809). Ce ne fut qu'alors que la
tranquillité put être rétablie à Etchmiadzine . A Constantinople, les chefs de
l'église se succédaient avec une rapidité non moins remarquable. Daniel de
Sourmari, David Gorganian, Hovhannès Tchamaschirdjean, Grigor de Khamsi, et de
nouveau Hovhannès, se remplacèrent en l'espace de trois ans (1799-1802). Seul
ce dernier parvint à se maintenir quelque temps (1802-1813). Il sut profiter de
cette accalmie pour remettre un peu d'ordre et de régularité dans les affaires.
Le trait essentiel et caractéristique du XIXe siècle, c'est l'intervention de
la nation, dans les affaires de l'église et le concours des conseils nationaux
dans son administration. Le premier essai de ce régime fut tenté pour résoudre
dans la mesure du possible la question suscitée par les adeptes du catholicisme
romain. II s'agissait de chercher un compromis pour éviter des scissions qui
menaçaient de prendre de grandes proportions, par suite de l'attitude du
gouvernement français, soucieux d'étendre son influence en Orient. A cet effet
on forma une première commission, qui se réunit au patriarcat (1810). Plus tard
une autre la remplaça (1816), dans le but de ménager un colloque entre les
théologiens des deux confessions dissidentes. Trois ans se passèrent en
controverse (1817-1820), sans qu'on parvînt à s'entendre: les divergences ne
firent même que s'accentuer. Tandis que les uns manifestaient des aspirations
séparatistes, les autres défendaient à outrance le principe de l'union. Enfin,
après la paix russo-turque de 1829 et l'intervention des puissances
européennes, le gouvernement ottoman, pour couper court aux disputes, décida de
créer une communauté ou nationalité (millet) autonome, qu'on désigna sous le
nom de Katolik (catholique). Cette communauté comprenait tous les adeptes du
catholicisme romain sujets ottomans, sans distinction de race ou de rite
(1830). Cette solution eut pour effet d'encourager les puissances protestantes
à suivre le même exemple. Un premier missionnaire débarquait à Constantinople
un an après la création de la communauté Katolik (1831). A partir de ce moment
le prosélytisme se développa considérablement, aidé par les établissements
scolaires et par des subsides, qui permettaient d'acheter les consciences. On
travailla si bien que bientôt une nouvelle communauté ou nationalité (millet)
autonome se formait sous le nom de Protestan (protestante), laquelle comprenait
des protestants de toute race et de toute confession (1847). Ces deux
communautés séparatistes, bien que créées sur la base exclusive de la
profession de foi sans distinction de race, finirent par devenir arméniennes.
Et il ne nous coûte point d'avouer que si ces institutions eurent pour conséquence
d'affaiblir la nation, elles contribuèrent du moins à lui
procurer quelques avantages au point de vue des relations avec le monde
occidental. A cette même époque, Etchmiadzine était
le théâtre de grands changements politiques. Comme la
domination persane, exercée par des khans presque autonomes,
devenait de plus en plus insupportable, les Arméniens se prirent
à tourner leurs regards vers le czar de Russie. En attendant,
ils cherchèrent à se soustraire à ces
persécutions, en émigrant en masse sur le territoire
russe, mais on crut remédier plus efficacement à la
situation en invitant son gouvernement à s'établir au
Caucase. Comme l'archevêque Hovsep Arghoutian avait
été le promoteur de cette politique, il devint l'objet
des faveurs de Catherine II (1762-1796) et de l'empereur Paul
(1796-1801), et le titre de prince fut décerné aux
membres de sa famille. La domination russe a fait depuis son chemin et
ses invasions aboutirent à l'occupation d'Erivan et
d'Etchmiadzine, à laquelle contribuèrent les volontaires
arméniens commandés par l'archevêque Nersés
d'Aschtarak ( 1828). A cette occasion, l'empereur Nicolas I (1825-1855)
se prodigua en promesses, au point de faire luire à leurs yeux
l'espoir d'une autonomie politique. Comme gage de ses bonnes
intentions, il avait même donné momentanément le
nom d'Arménie à ses nouvelles provinces. Mais ce ne fut
là qu'une simple manoeuvre imaginée dans le but de
faciliter ses projets de domination. Une fois le pays soumis, le
gouvernement du czar chercha même à soumettre le
spirituel. C'est ainsi que le règlement (pologénia)
spécialement édicté (1836) pour établir les
rapports de l'administration patriarcale, ouvrit toutes grandes les
portes à l'intervention de l'autorité politique. Les
observations que purent faire à cet égard les
Arméniens de Russie, de Turquie et des Indes restèrent
sans résultats, et le pologenia n'a cessé d'être en
vigueur dans son intégrité. De tout temps, le patriarcat
arménien de Constantinople a été
géré par l'autorité absolue des patriarches. A
leur tour ils étaient soumis à l'influence et à la
prépondérance des amiras, qui étaient les notables
de la nation . Ces derniers n'avaient, à vrai dire, d'autres
titres à la notabilité, que ceux que leur
conférait leur fortune. Mais les abus inséparables de
cette situation anormale, jointes au mouvement des esprits, et à
l'apparition d'une nouvelle génération instruite en
France, amenèrent la participation aux affaires de toutes les
classes sociales. De ce jour la formation des conseils se fit
d'après le principe de l'élection. Tout d'abord un
premier conseil fut nommé pour la gestion financière
exclusivement (1841). Puis on en forma un autre pour l'administration
générale, composé de quatorze
ecclésiastiques et de vingt laïques (1847) ; et ce dernier
créait plus tard un conseil spécial de l'instruction
publique (1853). Comme on sentit le besoin d'un règlement pour
déterminer leurs compétences et régler leur mode
de gestion, on élabora enfin une constitution (sahmanadrouthiun)
ou statut arménien (I860). Cet acte important fut soumis ci la
sanction du gouvernement ottoman; mais son approbation ne fut pas
obtenue sans difficulté. Car ce ne fut qu'au bout de trois ans
de négociations, et après maintes démonstrations
populaires que le Divan se décida à accomplir cette
formalité (1863). Ces règlements, qui peuvent être
considérés comme une conséquence du progrès
intellectuel réalisé par la masse, ont été
à leur tour une cause de développement national,
grâce à cette évolution spontanée, qui se
vérifie dans le domaine intellectuel et social, où l'on
voit les actes en produire d'autres, qui, à leur tour,
amènent de nouveaux effets. C'est en vertu de cette loi
naturelle, que se propage le progrès dans les
sociétés humaines. Le XIXe siècle a marqué
dans l'ordre social, une amélioration notable, par la
multiplication des écoles, et le nombre croissant des
étudiants instruits dans les universités
européennes, par la propagation de l'instruction primaire, par
la fondation, en Turquie comme en Russie, de maisons de commerce et de
banques, et par l'accession des individus d'origine arménienne
aux plus hautes charges politiques et diplomatiques de leurs pays
d'adoption. L'étroite relation, qui a toujours existé,
entre la nation et son église, a fait que celle-ci, à son
tour, a largement profité de l'émancipation des esprits.
Une administration plus régulière et plus
énergique, un clergé plus instruit, des bâtisses
plus convenables, des offrandes plus abondantes, des rites plus
touchants, des prédications plus édifiantes, tels ont
été les Progrès réalisés au cours de
ce siècle. Cette ascension continuelle des esprits devait
nécessairement diriger les aspirations des Arméniens vers
un idéal plus parfait de bien-être social, et les
déterminer à faire parvenir aux oreilles du monde
civilisé le désir légitime de participer
effectivement aux bienfaits de la civilisation moderne. Maintenant que
nous sommes sur ce terrain, nous pourrions nous étendre sur les
qualités de l'élément arménien,
énumérer les aptitudes dont il a donné toujours
des preuves éclatantes dans les diverses branches de
l'activité humaine, et définir le rôle qu'il a
joué dans les pays et chez les peuples, parmi lesquels il a
vécu. Mais, pour l'instant, nous nous abstiendrons de toute
incursion dans cet ordre d'idées. Toutefois, avant de clore ce
chapitre, nous résumerons notre pensée en disant que les
mouvements de civilisation, de progrès et de liberté, qui
se sont produits au sein de la nation arménienne en Russie, en
Turquie, comme en Perse, depuis les temps modernes, sont dus en grande
partie à l'action de son clergé.
DOCTRINE
XXI. LES PRINCIPES DES DOGMES
Si,
d'une part, il est vrai que toutes les branches et dénominations
du christianisme plongent leurs racines dans les évangiles, que
sont venus compléter d'abord les épîtres du Nouveau
Testament, et, en second lieu, les livres du Vieux Testament, nous
voyons, d'autre part, les diverses communions, qui le composent, non
seulement différer entre elles sur des points essentiels, mais
se trouver souvent en contradiction flagrante dans les questions de
doctrine. Et pourtant, en dépit de ces dissentiments, aucune
d'elles ne renonce à la base des évangiles; toutes
unanimement prétendent puiser leurs doctrines à cette
même source. Le phénomène est à la fois
étrange et réel. La cause, il faut la chercher dans la
teneur et dans le style de ces livres, qui ne présentent qu'une
doctrine à l'état primordial, et, s'il nous est permis de
nous servir d'une expression usuelle, à l'état de
matière première, de matière brute, susceptible de
prendre la forme que l'artiste entend lui donner. On ne saurait
cependant, en matière de doctrine, laisser libre cours à
l'arbitraire ou au caprice individuel ou collectif, pour énoncer
telle ou telle proposition doctrinale . Une pareille liberté a
été pourtant tolérée par les
réformateurs protestants, dont les principes ont glissé,
par une pente insensible, jusqu'au rationalisme absolu, si bien
qu'à l'heure actuelle c'est à peine si l'on parvient
à distinguer dans leurs croyances les traces du christianisme
révélé. Leur doctrine, à proprement parler,
se réduit à une conception purement philosophique.
Disciples fidèles de l'église arménienne,
attachés avec ferveur aux traditions anciennes, nous n'avons
garde de nous engager dans une pareille voie; nous entendons nous fixer
sur le terrain positif et traditionnel, et ne raisonner que
conformément aux principes admis par l'autorité reconnue.
Les dénominations chrétiennes se rapportent à deux
grandes branches dont l'une est constituée sur les bases de Ia
hiérarchie et du ritualisme. Toutes les églises anciennes
se rattachent invariablement à cette branche. Les autres
rentrent dans la catégorie des églises issues de la
réforme du XVle siècle. Parmi ces dernières, seule
l'église épiscopale anglicane, qui admet la
hiérarchie et le ritualisme, peut être rangée dans
la catégorie des églises anciennes. Dans le
système propre à la première catégorie,
c'est aux conciles oecuméniques qu'appartient exclusivement le
pouvoir d'extraire la doctrine précise de la matière
première des livres saints, et de formuler les propositions
dogmatiques. Cependant ils ne sauraient s'écarter des
données de la tradition, ni s'arroger la liberté de
suivre leurs propres inspirations, ni les raisonnements purs et simples
de l'entendement individuel. Pour mieux nous faire entendre,
établissons tout d'abord, qu'il convient de distinguer entre un
dogme et une doctrine. Le dogme est une proposition tirée des
livres saints et énoncée en une formule claire et nette.
Elle doit être acceptée par les fidèles d'une
église donnée, sous peine de s'éloigner du giron
de cette église. La doctrine est une énonciation ou
explication, tirée également des livres saints et
corroborée par la tradition. Par suite, elle peut être
admise comme une assertion saine et certaine ou quasi certaine; mais
rien n'oblige les fidèles a s'y soumettre absolument. Dans tous
les cas, ils ne sauraient être exclus de l'église, s'ils
la rejettent. Le dogme, c'est l'enseignement de l'église, la
doctrine ne relève que de l'école. Les dogmes
,appartiennent à la religion, les doctrines à la
théologie. Ies églises anciennes ont recouru à
l'autorité des conciles oecuméniques, toutes les fois
qu'il s'est agi de trancher une difficulté soulevée
à propos d'un dogme. Cette règle n'a jamais cessé
d'être rigoureusement observée depuis les premiers
siècles jusqu'à nos jours. Seule l'église romaine
a cru devoir, dans la seconde moitié du XIXe siècle,
enlever cette prérogative aux conciles, pour l'attacher à
la personne du pape. Mais, pour arriver à justifier cette
usurpation, elle n'a pu faire moins que de recourir à cette
même autorité, qu'elle dépouillait, l'obligeant
ainsi à un suicide moral. Mais n'insistons pas. On sait que
l'autorité des conciles oecuméniques dans la formulation
des dogmes, dérive en premier lieu de la promesse de
l'assistance divine; c'est-à-dire, qu'elle est basée sur
l'appui spirituel promis à l'église. D'autre part, elle
résulte aussi de la force dialectique, puisée dans la
généralité et dans la proximité des
traditions. C'est pourquoi, dans les conciles oecuméniques,
c'est moins le nombre des individus qui fait autorité que celui
des églises qui y sont représentées. Il s'ensuit
donc que les membres d'un concile qui n'appartiennent qu'à une
seule église, seraient-ils au nombre de mille, se trouvent
représenter que la tradition de cette église. Tandis que,
s'ils représentent diverses églises, ils expriment
l'opinion dominante de l'église universelle. De même, s'il
y a proximité de temps entre l'origine de la tradition et son
attestation, la force du témoignage s'impose. Peut-on
raisonnablement donner quelque valeur à un témoignage qui
se rapporte à des faits ou à des propos vieux de dix-neuf
siècles ?
XXII. LES DOGMES DE L'ÉGLISE ARMÉNIENNE.
Nous
avons dit que les conciles oecuméniques étaient la source
officielle des dogmes des églises anciennes . L'église
latino-catholique, alias romaine, est celle qui a su le mieux tirer
parti de cette tradition. Elle admet vingt conciles
oecuméniques, en commençant par celui de Nicée au
quatrième siècle, pour finir par le concile du Vatican au
dix-neuvième. L'église byzantine, ou église.
gréco-orthodoxe, s'est arrêtée plus tôt dans
la voie des définitions dogmatiques. Elle n'en admet que sept,
le second concile de Nicée, qui eut lieu au huitième
siècle, ayant clôturé la série.
L'église arménienne est encore plus radicale à cet
égard. Elle ne reconnaît pour légitimes que les
trois premiers, qui sont également reconnus par les Latins et
les Grecs. Elle dénie le caractère
d'oecuménicité aux quatre autres, contrairement à
l'opinion des Grecs et des Latins, et aux treize admis par les Latins
seuls. Les conciles des Arméniens sont ceux de Nicée et
de constantinople, tenus au quatrième siècle, et celui
d'Ephèse au cinquième. Nous avons relaté, dans la
partie historique, les querelles qui furent soulevées a propos
du quatrième concile de Chalcédoine. Force est de
reconnaître que chaque dogme avec ses mystères constitue
une difficulté pour l'intelligence humaine. Et puisque la
religion chrétienne, que nous professons, lui impose ce
sacrifice, auquel on doit se soumettre, il n'est que prudent de ne
point en abuser. II n'est point prudent, affirmons-nous, d'augmenter
inutilement le fardeau des mystères, ni le nombre des dogmes, ni
celui des conciles. Personne ne nous contredira sur ce point surtout
à cette heure critique que traverse la foi. Si l'on voulait
exprimer la différence qui existe dans le nombre des dogmes
adoptés respectivement par les églises arménienne,
grecque et latine, par une formule d'aspect mathématique, on
pourrait établir la proportion suivante :
ARM: 3
GRC : 7
LAT : 20.
Visiblement,
elle est tout à l'avantage de l'église arménienne.
Nous pensons qu'elle serait appréciée comme il convient
si elle était suffisamment connue par ceux qui s'occupent de
questions ecclésiastiques. Ainsi, nous avons eu l'occasion de
soumettre le cas à un diplomate européen. Lui ayant
demandé ce qu'il en pensait, il ne fit aucune difficulté
de reconnaître qu'il y avait avantage à en avoir le moins
possible. Nous pensons que ce témoignage en faveur de
l'église arménienne sera confirmé par tout homme
de sens. Si, par un heureux hasard, les principales églises
anciennes arrivaient jamais, je ne dirai pas à fusionner dans
une union complète, mais au moins à établir entre
elles un accord mutuel, elles ne pourront, certes, trouver de meilleur
terrain d'entente que celui ou se place cette église. Un
rapprochement n'est possible que lorsqu'il s'appuie sur un point
incontesté; un minimum de clauses aide à éliminer
les discordances. Le petit nombre de dogmes qui caractérise
l'église arménienne ne doit pas être
attribué à un cas fortuit ou à un
événement inconsidéré. Il résulte
uniquement d'un principe sage en matière d'économie
doctrinale. Nous avons émis le principe que la principale base
de l'autorité des conciles oecuméniques réside
dans l'unanimité des diverses églises; car c'est par elle
que s'exprime effectivement et réellement l'opinion de
l'église universelle. Cette unanimité a été
pratiquement réalisée dans les trois conciles,
convoqués de 325 à 431, c'est-à-dire, au cours du
siècle qui suivit son triomphe. Pendant cette période,
toutes les grandes églises ont été unanimes dans
leur manière de concevoir les dogmes, Les opinions contraires,
quoique nombreuses, comme dans le cas des Ariens, n'ont jamais
été~ qu'individuelles, et n'ont jamais
entraîné l'opinion générale d'une
église donnée. On remarquera également que pendant
cette première période, aucune querelle de
préséance ou d'influence ne surgit entre elles. La
situation changea cependant du tout au tout après le
troisième concile, quand l'antagonisme des sièges
patriarcaux commença il former le fonds des questions
dogmatiques. Chaque patriarcat, tour à tour, convoquait un
concile général contre un autre. Tel fut le cas, quand
fut soulevée la question relative à la nature du Christ.
L'opinion, basée sur la tradition de l'église alexandrine
entière, fut réprimée par les patriarcats romain
et byzantin alliés et qui avaient l'appui de l'empereur Marcien.
Un demi siècle durant se firent jour les déclarations les
plus contradictoires sur l'autorité du concile de
Chalcédoine, le quatrième oecuménique des Grecs et
des Latins. Ce n'est donc pas sans raison que l'église
arménienne a cru devoir considérer le concile
d'Ephèse de 431, comme le dernier où s'affirma
l'unanimité des églises, dans la conviction qu'elle
formait la base de la vraie tradition de l'église universelle.
Une autre raison du rejet des conclusions du concile de
Chalcédoine fut l'objet même de la définition
dogmatique. Cet objet devait être l'affirmation, et non
l'explication, d'une vérité donnée. Les trois
premiers conciles se sont conformés à cette règle
en proclamant la divinité de Jésus-Christ, la
divinité du Saint-Esprit, et l'union de la divinité
à l'humanité en Christ, Les vérités
essentielles, qui forment l'économie dogmatique des
mystères du christianisme, c'est-à-dire,
la Trinité
, l'Incarnation et
la Rédemption
, traient
complétées par les définitions des trois conciles. Rompant avec cette règle, on
vit le concile de Chalcédoine entrer dans la voie des explications et chercher
il déterminer les circonstances ou les modalités de l'incarnation, ou de
l'union de la divinité et de l'humanité en Christ. Or, à aucun moment,
l'explication d'un fait dogmatique ne peut faire l'objet d'une définition ou la
matière d'un dogme. Les explications ne servent qu'à fournir la matière des
études. C'est aux écoles et aux docteurs, et non pas aux conciles oecuméniques,
qu'incombe le soin d'expliquer les dogmes. L'autorité de l'église universelle
ne peut exercer le rôle d'une faculté scholastique.
XXIII.
LA
PROFESSION DE
FOI
Dès les premiers siècles,
la profession de foi de chaque église s'énonça par une formule officielle: le
symbole ou credo. L'église latino-catholique conserve encore dans sa liturgie
un symbole bref, connu sous le nom de symbole des apôtres, mais dénué de tout
caractère de déclaration officielle en matière de foi. Les conciles et les
papes l'ont remanié plus d'une fois, à seule fin de l'adapter aux dogmes qu'ils
ont créés au fur et à mesure de leurs besoins. Le concile du Vatican, en 1870,
y a même ajouté de nouvelles expressions. Mais c'est surtout le concile de
Trente, qui a élargi le plus le domaine des canons dogmatiques. Il a fait de
toutes les opinions théologiques et scholastiques, autant de dogmes rigides,
qu'il a imposés, et auxquels on est tenu de croire sous peine d'anathème; et
tout cela dans le but exclusif de renforcer l'autorité papale. De sorte que le
catholique l'omain, encerclé de tous côtés, ne peut aujourd'hui trouver ni une
issue, par ou peuvent se faire jour ses opinions personnelles, ni un champ
libre pour élargir l'horizon de ses études. Que dis-je ? la pensée même lui est
interdite. Il doit renoncer au raisonnement, voire même à l'exercice naturel de
son intelligence, car il ne peut faire un pas sans rencontrer, en chemin,
l'inévitable canon dogmatique, qui l'arrête dans ses recherches, Le récent
syllabus, dirigé contre les Modernistes, n'est que la mise au point de cette
situation sans issue. Sous le nom de modernistes, il frappe tous les hommes de
science ainsi que les ecclésiastiques érudits, qui cherchent à rompre le cercle
étroit des canons concilaires et des décisions papales. On peut dire que la
dernière encyclique de Rome a prononcé définitivement le divorce entre son
église et la science. Or, rien de tout cela ne pouvait avoir lieu au sein de
l'église arménienne. Certes, elle a eu, elle aussi, ses conciles nationaux, et
les décisions en matière doctrinale ne lui ont pas fait défaut, Toutefois, elle
n'a jamais émis la prétention de leur donner force de dogmes, ni de condamner
comme hérétiques et schismatiques ceux qui ne se conformeraient pas à
l'enseignement de ses doctrines. Tous les points doctrinaux, qui établissent
une ligne de démarcation entre l'église arménienne et les autres églises, et
qui ne.cherchent point à empiéter sur ces dernières, sont autant d'exemples qui
corroborent notre assertion, L'église arménienne ne reconnait qù'aux conciles
effectivement oecuméniques, l'autorité de prononcer des définitions
dogmatiques, c'est-à-dire aux assemblées où toutes les branches du
christianisme réunies tombent d'accord sur un principe révélé. Cette unanimité
ne s'est plus reproduite depuis la scission du cinquième siècle, et nous devons
ajouter qu'elle ne pourra se renouveler aussi longtemps que dureront les
contestations qui divisent les églises. Le symbole adopté par l'église
arménienne, celui des offices, est la formule athanasienne, qui vit le jour
pendant le concile de Nicée, Il contient presque exclusivement le dogme de
l'incarnation qui s'est conservé sans modification ni addition. Cependant cette
même église possède un second symbole, rédigé plus tard, qui figure dans le
rituel. Il est prononcé par les ministres du culte à l'occasion de leur
ordination; mais il ne diffère du premier que par des formules paraphrasées,
dont la principale concerne les natures en Jésus-Christ. Cette formule a été
jugée nécessaire pour repousser l'imputation d'eutychianisme, jadis forgée
malicieusement ou inconsidéremment contre l'église
arménienne. La paraphrase en question consiste dans l'expression
une nature unie (en arménien: Miavorial mi bnouthiun).
Eutychès parlait du mélange et de la confusion des deux
natures, pour aboutir à l'unité individuelle du Christ ;
tandis que l'unité de nature ou le monophysitisme, admis par
l'église arménienne, est identique à la formule
cyrillienne ou éphésienne: Une nature du Verbe
incarné. Si dans le mystère de l'incarnation, la
divinité et l'humanité, c'est-à-dire les deux
natures, avaient conservé la dualité, cette circonstance
eût fait perdre à la passion de Jésus-Christ son
caractère théandrique, et à la rédemption
sa raison suffisante. Dès lors, on serait tombé dans la
doctrine de Nestor. De toutes les espèces d'unions qui peuvent,
je crois, servir de comparaison à l'union surnaturelle en
Christ, celle de l'âme et du corps satisfait le mieux notre
esprit. Car on ne saurait nier l'unité de la nature humaine,
malgré la distinction de l'âme et du corps. C'est donc le
monophysitisme du concile d'Éphèse, bien différent
de celui d'Eutychès, que soutient l'église
arménienne. Le nom de ce dernier est officiellement et
solennellement anathématisé par l'église, au
même titre que les noms d'Arius, de Macédon et de Nestor.
On ne saurait donc l'accuser d'eutychianisme, sans encourir le reproche
d'ignorance ou de mauvaise foi. En ce qui concerne les
différences qui séparent l'église
arménienne de l'église gréco-orthodoxe, elles
résident uniquement dans le rejet par la première du
concile de Chalcédoine et dans la non-reconnaissance des
conciles suivants. Sur tous les autres points dogmatiques, les deux
églises sont en parfait accord. Car il convient de faire
remarquer que si les conciles dont il s'agit n'ont point
été reconnus par cette église, néanmoins
les points qui y ont été définis ne furent pas
rejetés ipso-facto. Ainsi, la condamnation des Trois-Chapitres
prononcée par le cinquième concile, qui n'était
qu'un retour aux décrets d'Éphèse, peut être
considérée comme favorable à la doctrine de
l'église arménienne. La question du monothélisme,
traitée au sixième, fut par contre une
répétition du système chalcédonien. Le
culte des images, traité au deuxième concile de
Nicée ne visait qu'un point ayant plutôt un
caractère cérémonial que doctrinal. Sans
être absolument banni par l'église arménienne, ce
culte a touiours été limité dans une
étroite mesure. Les statues en sont exclues, en souvenir de
l'antique idolâtrie. Pour ce qui concerne les peintures et les
bas-reliefs, on les soumet à la bénédiction et
à l'onction du saint-chrême, afin de les
différencier des objets d'art ordinaires; et ce n'est
qu'après leur consécration qu'ils sont placés sur
les autels. Contrairement à l'usage des autres communions, qui
ornent d'icônes l'intérieur de leurs maisons,
l'Arménien n'a chez lui aucune image de sainteté. Quant
à l'expression des dogmes, cette église s'en tient
strictement aux formules anciennes; elle n'admet donc pas plus
l'addition du Filioque, le jugement particulier, les peines de
purgatoire, la vision béatifique immédiate, que la
transsubstantiation, les indulgences et la théorie papale.
Toutes ces innovations n'ont pu prévaloir dans le monde latin
que par une interprétation abusive des usages de l'église
primitive. C'est la simplicité et un minimum de charges que
l'église arménienne préfère en
matière de dogmes. Le grand principe énoncé par un
des docteurs de l'église occidentale, mais qu'elle a
oublié, a été et reste toujours le mot d'ordre de
notre église. La formule Unitas in necessariis y est
réduite à la plus stricte nécessité;
la Libertas
in dubiis y est appliquée dans sa plus large acception; et ce n'est que sur ces
bases indiquées par le bon sens qu'il serait possible, pensons-nous, d'assurer
à l'église universelle
la Charitas
in omnibus.
XXIV. L'ESPRIT DE TOLÉRANCE
L'église
latino-catholique, dont l'esprit d'exclusivisme est connu, proclame cet
axiome intolérant, que hors de l'église romaine il n'y a
point de salut éternel. L'église gréco-orthodoxe,
de son côté, refuse d'admettre les sacrements
administrés en dehors de ses usages, si bien qu'elle en est
arrivée à recourir au rebaptême et à la
réordination. De sorte que ces deux églises, qui ont
adopté les noms pompeux de catholique et d'oecuménique,
comme preuve de leur universalité, sont, par le fait,
isolées et retranchées dans le cercle de leur
individualité. Cette intolérance n'est nullement dans
l'esprit de l'église arménienne, qui ne saurait admettre
qu.une église particulière ou nationale, si vaste
soit-elle, puisse s'arroger le caractère d'universalité.
Elle soutient, que la véritable universalité ne peut
exister que dans le groupement de toutes les églises, autour du
principe: Unitas in necessariis, où se résument les
principes fondamentaux du christianisme. Cette condition une fois
admise, chacune est libre de varier sur les points secondaires. Ces
principes, l'église arménienne les réduit il la
plus stricte signification. Elle n'admet comme nécessaires que
les définitions dogmatiques des trois premiers conciles
cecuméniques, définitions qui remontent à une
époque, où les églises particulières
gardaient encore entre elles leur unité et leur communion
respective. De sorte que toute église qui reconnaît les
dogmes de
la Trinité
, de l'Incarnation et de
la Rédemption
, peut, suivant son opinion, faire partie de l'église
universelle, et, à ce titre, elle confère à ses
fidèles le droit au salut éternel. Toutes conservent
entre elles la communion in Spiritualibus, où s'exalte l'union
de la foi et de la charité, réclamée pour
l'unité du christianisme. Les autres points, concernant la
doctrine ou la croyance, peuvent être admis ou rejetés,
soit à la suite de la décision d'un concile particulier,
soit en vertu de l'autorité des docteurs, sans qu'il en
résulte aucun inconvénient pour l'intégrité
de l'unité universelle. Car tous ces points ont un
caractère secondaire, comme nous l'avons déjà dit.
Ils n'ont que la valeur de simples articles de doctrine,
dénués de force dogmatique, et par suite relevant du
libre examen. Il suffit, que l'opinion adoptée ne soit pas en
contradiction avec les dogmes sanctionnés par les trois
conciles. Les églises particulières, en suivant des
systèmes différents, ne sauraient donc être exclues
de l'unité universelle; on ne saurait non plus leur
reconnaître le droit d'imposer aux autres leurs doctrines. Notre
dessein en écrivant ces lignes, où s'affirme avec
éclat le libéralisme théologique et
ecclésiastique de l'église arménienne, est de
préparer au christianisme une voie pour l'avenir. Cette
prétention apparaîtra légitime, si l'on songe que
son esprit est conforme à celui des temps présents; c'est
ce que reconnaîtra tout homme de bonne foi. On ne saurait nier
que ces principes ne forment l'unique moyen de réconcilier avec
les tendances de notre époque, l'éternel héritage
du Christ. Il convient d'ajouter que l'esprit de tolérance et de
libéralisme, qui fait le fond de l'église
arménienne, s'est souvent tourné contre elle. Il a
facilité le prosélytisme étranger parmi ses
fidèles. Ce fait a été constaté, non
seulement à l'époque du moyen âge, mais
également de nos jours. On sait quel a été le
succès des missionnaires catholiques et protestants, qui sont
arrivés à créer parmi les Arméniens des
communautés séparées. Comme on l'a vu dans la
partie historique, cette facilité de passer d'une communion
à l'autre est due à l'éducation spéciale de
l'Arménien, nourri dans le respect des croyances d'autrui. Dans
son enfance il n'a jamais entendu dire que l'humanité, qui vit
hors de son église, doive pour cela être privée du
salut éternel; il n'a jamais été menacé des
châtiments de la vie future, dans le cas où il romprait
avec l'église nationale, Pour s'assurer le salut éternel,
il sait qu'il suffit que ses oeuvres soient bonnes, et sa conduite
conforme à la morale évangélique. Cette large
compréhension de l'idée chrétienne l'a induit,
plus d'une fois, à embrasser indifféremment des
professions de foi étrangères, toutes les fois qu'il a
jugé que ses intérêts matériels pouvaient se
concilier avec celui de son salut. C'est en profitant de cet
état d'esprit que les missionnaires étrangers sont
arrivés à ébranler l'édifice de
l'unité arménienne. Ce n'est pas que l'ég]ise ne
se soit aperçue des facilités, qu'elle donnait ainsi au
prosélytisme étranger. Elle s'est rendu compte des effets
désastreux qui découlent de ses principes de
iolérance ; mais, malgré cette amère
expérience, elle a voulu rester fidèle à ses
maximes sacrées de libéralisme théologique et
ecclésiastique; elle les a gardées et les gardera
intactes dans l'avenir. Ce sera pour elle un beau titre de gloire, si
jamais elle offre au christianisme la possibilité d'une
réconciliation toujours probable.
XXV.
LA
DOCTRINE SACRAMENTAIRE
C'est
un fait acquis dans l'histoire ecclésiastique, que le nombre des
sacrements n'a été fixé au chiffre de sept qu'au
milieu du XIIe siècle, et cela par le fait des scholastigues,
qui se sont évertués à faire prévaloir ce
nombre. Cependant ni les saints-pères ni les docteurs anciens
n'en font mention. Les plus anciens ne parlaient que de deux
sacrements; successivement on les a fait monter à douze. La plus
ancienne définition fixant ce chiffre de sept remonte au concile
de Florence, au xve siècle. Les Arméniens en ont eu la
révélation par les missionnaires latins. Il est donc
évident que les sept sacrements constituent moins un dogme qu'un
simple article de doctrine. Il est bien quelque peu question aussi chez
les Arméniens de sept sacrements, mais d'une manière si
vague, qu'ils auraient quelgue peine à les préciser tous,
s'ils le tentaient. Ce qu'on appelle extrème-onction n'est point
en usage; les quelques tentatives qui ont été faites pour
l'introduire dans l'église, n'ont guère eu de
succès. La prétention, émise, de remplacer
l'onction par les prières des agonisants, ne saurait satisfaire
raisonnablement aux conditions essentielles exigées pour les
sacrements. On voit donc que la doctrine des sept sacrements ne saurait
être adoptée par les Arméniens. Sauf
l'extrême-onction, tous les autres sont administrés dans
l'église arménienne. Voici quelques renseignements a ce
sujet. Le baptême est donné aux enfants par immersion
complète et horizontale ; cependant, dans le cas de force
majeure, la validité du baptême par infusion n'est pas
exclue. La confirmation, ou saint-chrême, est administrée
conjointement avec ce sacrement par le prêtre baptisant et
l'enfant baptisé est admis immédiatement à la
communion labiale. c'est-à-dire, gue la sainte particule est
mise en contact avec la langue. Ces trois sacrements sont
administrés simultanément, et c'est dans leur ensemble
que réside l'intégrité du baptême. Ainsi, ni
l'usage de la première communion, ni celui de la confirmation
retardée et administrée par l'évêque, ne
sont connus. La communion est administrée sans distinction
d'âge, sous les deux espèces, au moyen de particules
d'hostie trempées dans l'espèce du vin. L'hostie est
faite d'un pain azyme, non fermenté, suffisamment épais,
préparé et cuit par les prêtres le jour même
de la messe; il est de forme circulaire et estampillé du signe
de la croix et de quelques ornements. Le vin doit être pur,
c"est-à-dire, sans addition d'eau. L'hostie de
consécratlon est toujours unIque, et son volume
proportionné au nombre probable des communiants. Ceux-ci se
tiennent debout, quand le prêtre dépose sur la langue des
particules détachées de l'hostie détrempée.
L'usage s'est conservé de garder dans les églises des
particules desséchées pour les malades et pour tous ceux,
qui, par exception, voudraient communier hors de la messe. Elles sont
conservées convenablement dans une niche latérale,
pratiquée dans l'abside, sans aucun apparat de tabernacles
où de lampes allumées. Le sacrement de la
pénitence ou confession a lieu suivant une formule
gcnérale, par l'énonciation des principaux
péchés, et le confesseur s'abstient d'entrer dans les
détails et surtout d'entamer un interrogatoire. Ordinairement,
on laisse passer un délai de quelques jours entre la confession
et l'absolution, afin de permettre à ce dernier de se
préparer convenablement a la communion, qui suit
immédiatement l'absolution. Le sacrement des ordres est
conféré par l'imposition des mains et par la collation
des insignes propres à chaque ordre. L'onction est donnée
au Presbytérat, à l'épiscopat et au
catholicosat.Les ordres du sacerdoce étaient autrefois au nombre
de quatre, conformément à la tradition orientale; mais
ils furent portés à sept au temps des croisades, sous
l'influence des idées de l'Occident; seulement le sousdiaconat
est regardé toujours chez les Arméniens comme un ordre
mineur, tandis que les Latins le considèrent comme un ordre
majeur ou sacré. L'épiscopat et le catholicosat sont
distincts du simple sacerdoce. Les sept ordres sont
conférés par l'évêque, l'épiscopat
par le catholicos assisté de deux évêques, et le
catholicosat par douze évêques. Le doctorat
théologique, ou grade de vardapet, revêt la forme d'un
ordre. Il se divise en deux classes: le doctorat mineur ou particulier
(masnavor), et le doctorat majeur ou suprême (dzaïrakouyn)
qui jouit de privilèges équivalant à ceux de
l'épiscopat. Les doctorats ne peuvent être
conférés que par les évêques investis du
doctorat suprême. Le rite est suffisamment long, et comprend les
épitres, les évangiles et de nombreuses lections de
prophètes. Le sacrement du mariage est connu sous le nom de
sacrement de la couronne (psak), dont le ministre compétent est
le prêtre, qui bénit sur une autorisation de
l'évêque. Le divorce est canoniquement admis et
prononcé par l'autorité catholicosale ou patriarcale. Les
cas de nullité sont réglés d'après les
principes généraux de la validité et de la
légalité des actes, à l'exclusion de toute
condition arbitrairement établie. Les cas d'empèchement
sont ceux qui ont été définis par les canons des
anciens conciles. Tels sont les points doctrinaux concernant les
sacrements; quant à ceux qui ont un caractère
disciplinaire et liturgique, ils seront traités dans des
chapitres spéciaux.
XXVI. PRÉCISION DANS
LA
DOCTRINE
On
a objecté que l'église arménienne manque de
précision dans l'énonciation de sa doctrine, et que ses
docteurs et ses livres de catéchisme se contredisent parfois.
Nous ne voulons pas examiner jusqu'à quel point cette objection
est fondée. Néanmoins nous sommes prêts à en
reconnaître la valeur. Cet aveu, loin d'affaiblir notre point de
vue, constitue au contraire un argument de plus en faveur de son esprit
libéral théologique, Nous avons déjà
prouvé que si ses dogmes sont peu nombreux, par contre son
domaine doctrinal est vaste, et que les différences doctrinales
ne sauraient créer un obstacle au point de vue de l'union, On
sait par expérience combien l'esprit du siècle et les
circonstances de temps exercent d'influence sur les opinions et
l'enseignement en général, Les opinions et les
enseignements ecclésiastiques, n'ont pu échapper à
cette règle; qu'on le voulût ou non, tous, pasteurs,
docteurs, ministres et fidèles ont dû la subir, et par
suite, la doctrine elle-même s'en est ressentie, Cette
théorie une fois acceptée, on admettra que toute doctrine
surchargée sous l'influence des circonstances actuelles puisse
éventuellement perdre tout ce qu'elle a d'occasionnel. Ne
serait-il donc pas de prudence élémentaire de laisser une
voie ouverte à l'évolution naturelle des choses.
Là serait, perisons-nous, le salut suprême de la religion.
Le principe de la distinction entre les dogmes et les doctrines, de
l'immutabilité des uns et de la mutabilité des autres,
nous conduit, par illation logique, à proclamer le
système de la voie ouverte, c'est-à-dire, d'une part
à préconiser la restriction en matière de dogme,
et de l'autre la liberté en matière de doctrine,
Grâce à ce système, l'église peut garder la
stabilité qui lui est nécessaire, sans qu'elle ait besoin
pour cela de s'opposer aux tendances du progrès intellectuel.
Elle évite ainsi l'accusation de combattre la science, et l'on
cesse de voir en elle le défenseur attitré des
idées rétrogrades . A vrai dire, on n'a que trop
justifié ce grief par le zèle à dogmatiser toute
doctrine, à réduire toute opinion en formule obligatoire,
à arrêter net toute discussion . C'est dans cette voie que
s'est engagée précisement l'église romaine,
surtout depuis le concile de Trente, où l'on a défini,
fixé et décrété toute opinion doctrinale
ecclésiastique. Cette ceuvre a été
completée par les Syllabus des papes et par les
incompréhensibles décrets du concile de Vatican, si bien
que les docteurs et les fidèles de cette église doivent
renoncer même à la faculté de la réflexion;
ils doivent se soumettre aveuglement à la pensée des
théologiens et des évêques du XVIe siècle.
Nous ne saurions cependant reprocher à ces derniers d 'avoir
été de leur temps ; leur seuI tort a été de
dogmatiser des idées et de simples opinions, de façon
à fermer à jamais à la postérité la
porte de la pensée. Il n'est pas téméraire de
croire que si ces hommes du seizième siècle revenaient
parmi nous, ils penseraient autrement qu'ils ne l'ont fait. Mais
revenons à l'église arménienne. Les
différences que l'on constate chez les docteurs et dans les
catéchismes proviennent prccisément de cette
évolution et de l'influence des circonstances. L'église
arménienne, elle même, si attachée qu'elle soit aux
traditions primitives, n'a po rester entièrement
réfractaire à ces influences. Il ne nous répugne
pas même d'avouer quelle était plus sujette qu'aucune
autre à varier , dépourvue qu'elle était depuis de
longs siècles des avantages que le progrès continu a
apportés il la société humaine. Bouleversée
par les changements politiques des pays orientaux, ballottée par
les courants contraires, elle a dû subir le choc et l'eft'et de
ces influences contradictoires. Effectivement, elle a subi tantôt
l'influence grecque, tantôt l'influence latine; elle a cté
contrainte, soit par force et prépotence, soit par illusion et
espoir, à adopter des points de vue et des enseignements qui lui
étaient étrangers. Des particularités, plus ou
moins étranges et ctrangères, se sont introduites presque
insensiblement dans ses usages, dans ses rites et dans ses opinions.
Nous ne nions point que certains patriarches et docteurs n'aient
émis des idées peu conformes à la tradition
ancienne. Toutefois ces idées n'ont engagé que leur
personne, et le désaccord, qu'elles révélaient, ne
pouvait vicier le dogmatisme fondamental de l'église, qui ne
saurait varier. Certaines opinions, autrefois admises, ont pu
être rejettes, mais comme elles n'avaient qu'une valeur tout au
plus doctrinale, elles étaient sujettes a modification. Il est
naturel qu'ayant subi les fluctuations des temps écoulés,
elles subissent encore celles des temps à venir. Cela ne saurait
empêcher que l'église ne reste invariablement identique
à elle-même dans son essence et inébranlable sur
ses bases. Telle est la situation que préfère
l'église arménienne. A y regarder de près, on
découvrira que les autres églises ne se trouvent pas dans
une situation difl:'érente ; car elles ne sont pas sans avoir
subi quelques changements. On aurait tort de croire que l'église
romaine actuelle est identique à celle des siècles des
illvestitul'es et de l'inquisition. Mais elle s'obstine à ne
rien voir. Elle subit des faits qui la gênent dans son action,
car elle est en contradiction avec elle-même. Cette obstination
à nier le fait mériterait d'Etre qualifiée d'acte
Contre la conscience, et par suite, dangereuse à la cause
elle-même. Telles sont nos explications à propos des
observations formulées au sujet de la doctrine de
l'église arméIlienne. Elles démontrent à
souhait que son système s'inspire du plus pur libéralisme
chrétien. Tel qu'il est, il offre la base d'une méthode
qui devrait être suivie et préférée par les
vrais amis de l'église du Christ. De l'isolement où elle
est et de l'état d'humiliation qui est son partage depuis des
siècles, on aurait tort de conclure contre elle. La
vérité n'est pas dans le nombre ; l'évangile est
là pour témoigner que c'est au pusillus grex que le
Père Céleste promit son héritage.
REGIME
XXVII. ORGANISATION HIÉRARCHIQUE
D'après
les principes de l'église arménienne, l'autorité
suprême réside dans les conciles oecuméniques
constitués par les corps hiérarchiques des églises
particulières. Elle s'exerce souverainement en matière de
dogmes. Les questions disciplinaires ne viennent qu'en second lieu.
Elle croit que les canons dogmatiques sont essentiellement obligatoires
pour toutes les églises; tandis que les canons disciplinaires,
gui servent de base aux rapports interecclésiastiques, sont
susceptibles de varier dans leur application à chaque
église en particulier, selon les circonstances. Elle admet
également que les églises particulières puissent
varier, touchant les points secondaires de la doctrine et la
manière d'expliquer et de concilier les dogmes. Elle professe
que l'autorité suprême des conciles oecuméniques
n'a pu s'exercer que dans les trois premiers conciles; et que cette
autorité n'a plus eu occasion de s'affirmer depuis, à
cause des dissentiments survenus cntre les églises. Elle ne
croit pas qu'elle puisse s'exercer à l'avenir à cause de
l'improbabilité d'une réconciliation. A l'occasion de la
convocation du concile du Vatican, l'église romaine lança
une invitation de pure forme; sans doute, c'était pour sauver
les apparences, car pour qu'elle fût canonique, elIe aurait
dû, au préalable, se mettre d'accord avec les autres
églises sur les points à discuter, afin de
préparer un terrain d'entente, Mais cet acte de convocation n'a
été, à proprement parler, qu'une mise en demeure
d'avoir à s'incliner devant ses prétentions, Certes, ce
procédé n'était pas de nature à faciliter
les préliminaires d'une réconciliation sincère et
loyale, Pour compléter ce que nous avons dit dans la partie
historique, à savoir, que les églises des diverses
provinces s'étaient groupées pour former des
églises nationales ou des patriarcats, nous ajouterons que ces
groupements résultèrent uniquement de la situation
politique des divers pays, Au début, les trois sièges
patriarcaux qui s'établirent dans le monde gréco-romain
furent répartis d'après la division administrative, qui
alors était en vigueur, Rome était la capitale de
l'empire et le centre administratif de toutes les provinces de
l'Occident, Les royaumes des Ptolomées et des Séleucides,
qui, à l'époque de l'expansion du christianisme, se
trouvaient incorporés à l'empire romain, étaient
érigés en préfectures et avaient pour capitales
Alexandrie et Antioche, Conformément à cette division,
trois patriarcats furent créés à Rome, à
Alexandrie et à Antioche, distincts et indépendants l'un
de l'autre. En outl'e, il y avait des préfectures mineures
à Césarée, à Ephèse et à
Héraclée pour les provinces du Pont, de l'Asie et de
la Thrace
;
parallèlement à cette division, des exarchats ecclésiastiques furent créés dans
ces trois villes. Ces derniers ne perdirent leur autonomie qu'après le
transfert de la capitale de l'empire à Constantinople, oû se forma à cette
occasion un quatrième patriarcat. Quant à celui de Jérusalem, il ne fut créé
que pour faire honneur à
la
Ville-Sainte. A
cette fin, le concile de Nicée détacha
d'Antioche les deux provinces de
la Palestine
, qu'il lui Incorpora. On croit, bien à
tort, que les quatre patriarcats de l'Orient se confondent avec l'église
grecque. Il n'en est rien. Seul le patriarcat de Constantinople représente
l'église nationale de cette nation. Le siège d'Antioche appartient à la
nationalité syrienne ; celui d'Alexandrie à la nationalité égyptienne; celui de
Jérusalem est palestinien. Il est vrai que la domillation Macédonienne avait
laissé de nombreuses traces dans ces régions, et que
la Syrie
et l'Egypte s'étaient
hellénisées jusqu'à un certain point. Mais il n'y avait là qu'un changement de
surface; car dans les couches profondes des populations indigènes l'esprit
national était resté intact. Les raisons politiques, qui avaient déterminé la
répartition des patriarcats dans le monde gréco-romain, motivèrent la création
d'autres patriarcats autonomes dans les pays qui étaient en dehors de l'empire
et qui avaient reçu la prédication apostolique comme l'Arménie,
la Perse
et l'Ethiopie.
L'église de Perse porta le nom de Ctésiphon ou de Séleucie; elle est
représentée de nos jours par le patriarcat de Babylone des Chaldéens. Celui
d'Ethiopie se trouve provisoirement incorporé au patriarcat égyptien
d'Alexandrie. Nous n'ajouterons rien aux indications que nous avons données
précédemment, concernant le patriarcat arménien. Nous les complèterons
cependant en disant, à propos de la nature et de l'étendue de sa juridiction,
que le principe politique et territorial, qui, à l'origine, avait présidé à la
constitution des patriarcats, devait nécessairement déterminer les 1imites du
siège d'Arménie, d'après celles de ce royaume, qui se composait alors de l'
Arménie Majeure. Ce qu'on devait appeler par la suite Arménie Mineure, se
rattachait alors à la préfecture du Pont, et relevait par conséquent de la
juridiction de l'archevêque de Césarée, et, plus tard, de celle du patriarcat
de Constantinople. Par contre,
la
Géorgie
et l'Albanie Caspienne, qui à l'avènement du
christianisme, étaient soumises à la domination
arménienne, passaient à la juridiction de son patriarcat.
Ce principe de stricte territorialité fut rigoureusement
appliqué par toutes Ies juridictions ecclésiastiques des
premiers temps de l'Eglise. En vertu de ce principe il ne pouvait y
avoir qu'un seul évêque par diocèse, et tous les
chrétiens, sans distinction de nation ou d'orig-ine, lui
étaient soumis. Cette règle n'a commencé à
perdre de sa force que lorsque les églises particulières,
rompant toute relation entre elles, commencèrent à se
refuser réciproquement la communion in divinis. De là, la
nécessité d'installer des prêtres et des
évêques différents dans le même
diocèse, suivant la diversité des croyances et des rites
propres à chaque groupe de population.Cet usage tendit à
se généraliser de pIus en plus du temps des croisades. A
côté des évêques grecs et syriens des pays
conquis, on vit s'installer des évêques latins. Dès
lors l'antique règle, qui présidait au système de
juridiction territoriale, fut totalement négligée ;
chaque église particulière, qui se distinguait des autres
par ses croyances ou ses rites, voulut avoir son évêque.
C'est ce qui explique cette anomalie de diocèses ayant à
leur tête jusqu'à sept ou huit évêques, qui
portent. uniformément le même titre. Par la suite, le
principe de juridiction ecclésiastique mit à profit le
droit de conquête. Les pays qui n'avaient pas reçu le
christianisme au siècle apostolique, mais qui furent
évangélisés par une église
préexistante, passèrent à la juridiction de cette
dernière. C'est par l'apostolat que l'église de
Constantinople a établi sa suprématie sur les pays
Balkaniques et sur
la Russie
; que l'église de
Rome a établi la sienne sur
la
Germanie
,
la
Bretagne
et
la
Scandinavie
, comme, plus tard, sur les deux Amériques et
l'ExtrêmeOrient. Là est la raison principale du vaste développement, à travers
le monde, de la juridiction de l'église latine, ou patriarcat de Rome, dont
l'influence agrandi en proportion du progrès social de l'Occident. Mais il est
arrivé que cette extension de puissance et d'influence a entraîné des abus qui
ont amené
la Réforme
,
et du coup une bonne partie de son domaine s'est soustrait à sa juridiction. On
doit s'attendre à de nouveaux morcellements. Les mesures de répression prises
en dernier lieu contre ceux qu'on désigne sous le nom de Modernistes lui
vaudront probablement encore de retentissantes désaffections. En dépit de
l'expérience du passé, la papauté ne cesse d'affirmer impérieusement son
ingérence intellectuelle et son intervention politico-administrative sur la
partie du monde qui relève de son autorité. Elle s'ingénie imprudemment à
restreindre de plus en plus l'action administrative des autorités subalternes,
en abrogeant ce qui reste des anciens droits des églises gallicane, hongroise,
ambrosienne, mozarabique et orientale; elle réduit les ordinaires des diocèses
au rôle de simples vicaires. Qu'il y a loin de cette conception au principe de
l'église gréco-orthodoxe, qui veut que chaque nation ou peuple, politiquement
indépendant, jouisse ipso facto des droits et privilèges reconnus aux églises
autocéphales. Ces droits confèrent l'autonomie administrative et une voix dans
les définitions dogmatiques. Anciennement, chaque église autocéphale était
administrée par un patriarche ou exarque investi de l'autorité suprême, mais
la Russie
, la première, sous
Pierre le Grand , a remplacé le sien par un synode permanent; cet exemple a été
imité par les autres états orthodoxes; de sorte qu'aujourd'hui
la Grèce
,
la Roumanie
,
la Serbie
, le Monténégro et
la Bulgarie
possèdent
chacune leur synode national. Nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons
dit de l'église arménienne à cet égard, sinon que malgré la dispersion de ses
fidèles à travers le monde et la création des sièges subalternes des deux
catholicosats et des deux patriarcats, la juridiction d'Etchmiadzine ne cesse
de s'étendre sur l'église entière.
XXVIII.
LA
HIERARCHIE ARMÉNIENNE
•L'ordre hiérarchique
comprend en général les quatre degrés suivants:
1" le patriarche
suprême ou catholicos ;
2" le patriarche ou
catholicos particulier, exarque ou primat;
3" l'archevêque ou
métropolitain;
4" l'évêque. Les
chorévêques ne sont que de simples vicaires forains.
Nous
avons dit que les patriarches suprêmes sont à la
tête des églises particulières
indépendantes. Celles de leurs parties intégrantes, qui,
par suite de certaines circonstances, ont obtenu le droit ou le
privilège de se constituer en église spéciale,
sont administrées par un chef subalterne, dont le pouvoir a un
caractère autonome, mais non indépendant. Leur situation
peut être comparée à celle d'un prince vassal
à l'égard de son suzerain. Comme nous l'avons
indiqué plus haut, leur titre varie selon les pays et les usages
locaux. Parmi eux, on peut constater une certaine différence de
privilèges et d'attributions, mais cette différence
n'affecte point cependant le caractère général de
leur situation hiérarchique. Les évêques d'une
même province ont à leur tête un
métropolitain, c'est-à-dire l'archevêque du
chef-lieu, qui ne possède d'autre attribution que de les
convoquer, quand un intérêt commun le requiert. Les
évêques portent le nom de suffragant à
l'égard du métropolitain, mais, de fait, ils jouissent de
toutes les prérogatives de la juridiction ordinaire. Appliquons
maintenant ces données générales à
l'église arménienne. Le patriarche suprême ou
catholicos de tous les Arméniens réside actuellement
à Etchmiadzine, près Erivan, où fut jadis la
résidence originaire, et où il est revenu après
maintes pérégrinations. Il possédait jadis deux
sièges de second ordre: le catholicosat de Géorgie et
celui de l'Albanie-Caspienne, qui n'existent plus. Le siège de
Géorgie s'est séparé au VIle siècle, celui
de l'Albanie-Caspienne a été aboli au commencement du
XIXe, à cause de la fusion de la nationalité
caspioalbanienne ou aghouane avec l'arménienne. Mais les
circonstances ont créé par la suite d'autres
sièges secondaires. Le transfert du siège suprême
d'Aghthamar à Ani et de Sis à Etchmiadzime a donné
lieu à la création de deux sièges, qui, à
l'origine, avaient un caractère antipatriarcal mais dont la
situation a été régularisée par la suite.
Celui d'Aghthamar exerce sa juridiction sur les districts de Gavasche
et de Schatakh dans le vilayet de Van, et sur le district de Khizan,
vilayet de Bitlis. Ce siège, vacant depuis 1895, est
administré provisoirement par un évêque. Le
siège de Sis étend sa juridiction sur les diocèses
de Cilicie et de Syrie. Actuellement, ceux-ci sont repartis entre les
vilayets d'Adana, d'Alep, de Sivas, d'Angora et de Mamouret ul azize.
Son dernier titulaire a été élu en 1902,
après une vacance de huit ans, Le patriarcat de Jérusalem
doit son origine à la vénération toute
spéciale dont les chrétiens d'Orient entourent les
Lieux-Saints. Sa juridiction s'étend sur le sandjak dont cette
ville est le chef-lieu et sur celui du Liban, ainsi que sur les
vilayets de Damas et de Beyrouth. L'Égypte et l'île de
Chypre, rattachées autrefois au patriarcat de Jérusalem,
relèvent aujourd'hui de Constantinople. Nous avons exposé
dans un chapitre spécial l'origine du patriarcat de
Constantinople, ainsi que les détails de sa juridiction
spirituelle, qui embrasse, avons-nous dit, toute
la Turquie
à l'exception des
régions relevant des patriarcats sus-mentionnés. Mais si, comme on l'a vu, son
action spirituelle est limitée, par contre son autorité administrative et
nationale s'étend sur la totalité des Arméniens sujets de
la Porte. Les
Arméniens
qui habitent les états Balkaniques:
la
Grèce
,
la
Roumanie
,
la
Serbie
, le Monténegro et
la Bulgarie
, pays qui
faisaient autrefois partie de
la
Turquie
, continuent encore à en relever spirituellement. Tels sont les
quatre sièges de second ordre, qui constituent la
hiérarchie ecclésiastique arménienne. Ceux de Sis
et d'Aghthamar portent le titre de catholicos, dont les patriarches de
Jérusalem et de Constantinople sont privés. Ce titre
comporte certains privilèges, notamment la consécration
du saint chrême et l'ordination des évêques. Il est
à noter que, de ces quatre sièges, il en est trois dont
les limites correspondent approximativement aux circonscriptions des
patriarcats de fondation gréco-romaine. Ce sont ceux d'Antioche,
de Jérusalem et de Constantinople respectivement. Il n'y a
point, à vrai dire, dans cette église de province
ecclésiastique avec métropolitain et suffragants.
Néanmoins, en Turquie, les évêchés des
villes principales portent le titre d'archevêchés et les
diocèses du Caucase, qui sont très vastes,
possédent dans les villes principales des vicaires, qui peuvent
être considérés comme des suffragants. Puis
viennent les évêques, qui se classent au quatrième
degré de la hiérarchie. Le nombre et la division des
diocèses ont été déterminés au fur
et à mesure des besoins et non à la suite d'une
distribution préconçue. En Turquie, le patriarcat de
Constantinople possède quarante-cinq diocèses ; le
catholicosat de Sis en a treize, le catholicosat d'Aghthamar deux, et
le patriarcat de Jérusalem cinq.
La
Russie
entière est divisée en six grandes éparchies,
subdivisées en dix-neuf diocèses.
La
Perse
a deux éparchies, ou sont comprises les Indes et l'île
de Java. Les colonies de l'Europe et de l'Amérique fol-ment deux diocèses
distincts. L'Égypte,
la
Roumanie
et
la
Bulgarie
sont au nombre des diocèses de Constantinople.
Ajoutons que ceux de
la Perse
,
de l'Europe et de l'Amérique se rattachent directement à Etchmiadzine. Notons,
en outre, que les chefs ordinaires des diocèses arméniens ne sont pas toujours
des évêques consacrés ; l'église admet que des archimandrites ou des docteurs
de la classe suprême assument les fonctions de chef diocésain.
XXIX. DES ATTRIBUTIONS ECCLÉSIASTIQUES.
Les attributions afférentes
à chaque grade hiérarchique et aux ordres ecclésiastiques sont organisées
d'après le régime de la décentralisation. Chaque grade ou ordre jouit sans
restriction d'une compétence réelle dans les limites de ses attributions, sauf
contrôle de l'autorité supérieure. Le contrôle se produit toutes les fois que
l'inférieur sent le besoin d'avoir des éclaircissements ou des conseils à
propos d'un doute, ou pour trancher une difficulté; quand le recours est imposé
par une ingérence étrangère; ou bien, lorsque le supérieur croit nécessaire
d'intervenir pour un motif d'intérêt général ou pour prévenir un abus. Le droit
d'appel est admis à tous les grades. L'évêque est le chef et l'administrateur
ordinaire de son diocèse, avec compétence complète pour les affaires et les
fonctions qui le concernent, Si le chef ordinaire du diocèse n'est qu'un simple
archimandrite, il peut autoriser, mais non accomplir lui-même les ordinations.
Le titre d'aratchnord (prélat), qui les distingue, est porté également par les
ordinaires, qu'ils soient évêques ou archimandrites. Sa compétence est absolue
sur le clergé, soit pour les autorisations, soit en matière de censures. Il
juge en conseil les affaires de mariage avec cette restriction qu'il n'a pas le
droit de prononcer les divorces. II accorde les dispenses suivant les cas et
sur la base du pouvoir discrétionnaire . Le patriarche de Jérusalem est le
gardien des Lieux Saints, ou pour mieux dire, des sanctuaires que les Arméniens
y possèdent. II est le supérieur de la congrégation des Saints-Jacques
(Srbotz-Hacobiantz), qui en a la garde. Les Arméniens y sont peu nombreux, et
ne forment que de petites communautés éparses dans les diocèses de Jérusalem,
de Jaffa, de Beyrouth et de Damas, bien qu'ils soient dépourvus d'organisation
diocésaine. Le patriarche de Constantinople, en sa qualité de chef de la nation
entière, exerce une action administrative sur soixante-cinq diocèses. Ceux, sur
lesquels s'étend son autorité spirituelle, sont au nombre de quarante-cinq. Le
diocèse épiscopal de Constantinople égale en étendue les limites de la
préfecture de
la Ville. Les
prélats, à tous les degrés de la hiérarchie, exercent leurs attributions avec
l'assistance de conseils spirituel et laïque, ou religieux et civil. Ils se
bornent à exécuter leurs décisions, ou bien, dans certains cas, à appliquer des
règles générales; ils s'arrogent aussi un pouvoir discrétionnaire dans certains
autres cas. Les archiprêtres sont chargés de la surveillance spirituelle des
églises paroissiales; mais ce qu' on désigne ailleurs par droits attachés aux
fonctions de curé, est commun à tous les prêtres. Chaque famille a son
confesseur attitré, Tanérets ou Dsikhater (maître du foyer), qu'elle choisit
elle même; il y remplit en même temps les devoirs de curé. Les permis de
fiançailles et de noces sont délivrés par le prélat ordinaire du diocèse. Les
fonctions dans les églises sont réglées d'un commun accord par l'archiprêtre et
par l'éphorie, qui se compose de laïques élus par le suffrage populaire. Ce
conseil administre la paroisse, ainsi que ses églises et ses écoles, et tous
autres établissements d'utilité publique. Dans l'administration du sacrement de
la pénitence ou de la confession, le système du permis spécial et des cas
réservés y est totalement ignoré. Anciennement toute agglomération paroissiale
était desservie par les prêtres de chaque église, groupés en association. Les
honoraires et les aumônes recueillis étaient centralisés dans une caisse
commune, puis répartis au pro rata entre l'archiprêtre, les prêtres, les
diacres et les clercs. Cet usage est tombé depuis longtemps en désuétude,
surtout dans les villes; aujourd'hui, chaque famille a son curé attitré, qui
appartient à la paroisse. Les attributions spéciales des catholicos consistent
dans la consécration des évêques et la bénédiction du saint chrême. La
consécration s'opère suivant les circonstances, et la bénédiction du saint
chrême a lieu tous les trois ou cinq ans. On en prépare une quantité suffisante
pour les besoins de tous les diocèses. C'est un composé à base d'huile
bouillie, avec un mélange de beaume et d'essence, où entrent quarante espèces
de plantes et de gommes odoriférantes. On y ajoute un litre environ du saint
chrême prélevé sur une préparation antérieure, pour qu'il reste quelque chose
du premier saint-chrème, qu'on prétend être celui qui fut béni par Jésus-Christ,
et qui aurait été porté en Arménie par les apôtres. Si le fait n'est pas
historiquement prouvé, on demeurera d'accord cependant qu'il ne laisse pas
d'être significatif. Ce privilège de consécration et de bénédiction est
également exercé par les catholicos de Sis et d'Aghthamar dans les limites de
leurs circonscriptions respectives. Le patriarches de Jérusalem et de
Constantinople ne jouissent point de ce privilège. Ils reçoivent la
consécration et le saint chrême du siège suprême d'Etchmiadzine. Mais il
gardent le droit de désigner eux-mêmes les candidats à l'épiscopat.
DISCIPLINE
XXX. LE CLERGÉ ET LE CELIBAT
Le
clergé se divise en deux catégories bien distinctes : le
clergé régulier célibataire, et le clergé
séculier marié. Ce dernier se compose effectivement
d'hommes mariés et pères de famille, vivant dans le
monde. Il est de rigueur que le mariage précède leur
ordination au diaconat. Une fois veufs, les diacres et les
prêtres ne peuvent se remarier qu'à la condition de
quitter l'habit et de sortir des rangs du clergé. En prenant ce
parti ils n'encourent aucun blâme, et leur honorabilité
n'en souffre aucunement. Par contre ceux qui convolent en secondes
noces, ou qui se marient à une veuve, sont exclus du sacerdoce.
Ordinairement on laisse passer un délai d'un an au moins entre
le mariage et l'ordination; les candidats doivent être
âgés de trente à cinquante ans. Les exceptions
à cette règle sont rares., Les attributions du
clergé marié embrassent tout ce qui a rapport à la
direction spirituelle des âmes. Il administre les sacrements et
assume le service quotidien des offices. Il s'occupe de l'assistance
des malades et des pauvres, fait les enterrements, etc. Chez les
Orientaux, l'obligation quotidienne de lire les offices et de
célébrer la messe n'existe point; on ne sait ce que c'est
qu'une messe basse. Les charges d'archiprêtre, de vicaire et de
membre des conseils sont les seules accessibles au clergé
marié. Le prêtre marié peut gérer un
vicariat, en cas de vacance, mais :il n'est pas admis à postuler
le doctorat, ni la dignité de l'épiscopat, à moins
qu'il n'entre dans les rangs du clergé célibataire
après veuvage. Bien que cette restriction ait acquis, de nos
jours, force de loi, elle est dénuée toutefois de valeur
canonique et d'autorité ancienne. A l'examiner dans son essence,
l'épiscopat n'est que la plénitude du sacerdoce,
voué au service des à mes, et c'est là
précisément la définition des devoirs qui
incombent au clergé marié. Jadis les évêques
se recrutaient parmi les archiprêtres, qui, alors, prenaient le
titre de kahanaïapet, c"est-à-dire chef des prêtres
du diocèse, de même que l'avaguérett
(grand-prêtre ou archiprêtre) était le chef des
prêtres d'une église donnée. Rien donc
n'empêche que l'usage actuel, si répandu qu'il soit, ne
puisse ttre remplacé par les mceurs de l'église
primitive, et qu'on n'ouvre au clergé marié
l'accès des hautes dignités ecclésiastiques. II y
aurait à cela tout profit pour la nation; car le clergé
marié sortirait d'un état d'infériorité,
que rien ne justifie, et qui tient surtout à l'exclusion qui lui
est imposée. Dans les conditions actuelles, les individus
possédant quelque instruction sont, généralement,
peu portés à embrasser une carrière pénible
où les aspirations morales et les jouissances matérielles
ne trouvent aucune satisfaction. II n'y a guère que les
individus de condition modeste et de médiocre capacité,
qui aspirent actuellement à la prêtrise. Telle est la
raison de l'état d'infériorité où se trouve
de nos jours le sacerdoce en Orient. II va sans dire, que les
fidèles sont les premiers à souffrir de cet état
de choses. Pour y remédier, pensons-nous, il suffirait de
revenir aux anciens canons sur le recrutement de l'épiscopat. En
élargissant le champ de promotion, la partie cultivée de
la nation n'hésiterait plus à entrer dans les rangs du
clergé marié. Cela contribuerait à le relever aux
yeux des fidèles, ce qui lui permettrait de remplir dignement sa
mIssIon conformément aux nécessités du
siècle. Le clergé célibataire est formé
principalement dansl'enceinte
des monastères. L'institution monastique arménienne n'a rien de commun avec le
système des ordres religieux de l'Occident. Chaque monastère forme une
communauté indépendante. Les membres, volontairement soumis aux prescriptions
d'un règlement canonique, ne se lient point par des voeux religieux. Le temps
des anachorètes et des moines contemplatifs étant irrévocablement passé,
aujourd'hui les monastères n'ont plus d'autre mission que de préparer le clergé
célibataire aux fonctions sacerdotales. Ainsi les monastères de Sévan, sur le
lac de Gueuktchaï, de Lim et de Ktoutz, sur le lac de Van, qu'on désignait sous
le nom d'anapat (désert), ont perdu leur caractère d'institution contemplative,
et se sont transformés en séminaires. Ce clergé spécial se consacre
exclusivement à la prédication et aux fonctions hiérarchiques. L'administration
des sacrements, de la confession et du mariage, ne sont pas de son ressort;
mais sa présence est requise dans les fonctions qui réclament quelque
solennité. Les différents degrés, dont il se classe, sont ceux de diacres
(sarkavak), de prêtres-moines (abégha), de docteurs particuliers (vardapet), de
docteurs suprêmes (dzaïrakouyn vardapet), d'évêques (épiscopos), et de ceux qui
comprennent les plus hautes dignités de la hiérarchie, comme les archevêques,
les patriarches et les catholicos. Il n'est pas d'usage d'employer des diacres
mariés, soit à cause des complications que pouI'rait occasionner leurentretien,
soit pour éviter le cas d'un veuvage éventuel. Mais les diacres célibataires
existent dans les monastères ou ils sont tenus ordinairement de faire un stage
de trois ans. Les prêtres moines sont consacrés à l'àge de vingt-deux ans au
moins, et c'est alors qu'on les revêt du véghar (capuchon), distinctif du
clergé célibataire. Les grades de docteur donnent droit à la prédication par la
collation de la crosse doctorale, laquelle est surmontée d'un motif
représentant deux ou quatre serpents enroulés, les têtes écartées,
s'affrontant. Les deux grades de cette dignité se subdivisent en grades de
simple apparat; le mineur en a quatre et le majeur dix, soit en tout quatorze ;
ils ne servent, d'ailleurs, qu'à accroître proportionnellement le nombre des
hymnes et des lections au cours des cérémonies de collation. L'autorisation ou le
consentement de l'ordinaire du diocèse est de rigueur pour exercer le ministère
de la prédication. Les sermons sont prononcés debout sur l'estrade de l'autel.
Seuls les évêques jouissent du privilége de précher assis. Les charges
hiérarchiques des diocèses, soit à titre ordillaire, soit à titre intérimaire,
sont réservées au clergé célibataire. Peuvent s'inscrire dans cette classe les
gens veufs, soit avant, soit après leur ordination. La promotion au grade
épiscopal est aujourd'hui exclusivement réservée au clergé célibataire, comme
nous l'avons dit plus haut. Seul il a le droit de porter la crosse et le
véghar. Rien pourtant ne pourrait empêcJler les prêtres marics de recevoir la
crosse doctorale, s'ils possédaient l'instruction nécessaire. Actuellement, ils
prononcent des prônes, mais toujours sans crosse (gava1an). Les deux degrés du
doctorat, en usage dans l'église arménienne, correspondent exactement aux
grades de licencié et de docteur en théologie, qui sont conférés dans les
universités européennes. Seulement l'église arménienne leur a donné une
signification plus religieuse. Par suite, on a commencé à faire moins état des
capacités du postulant que des fonctions qu'il occupe. C'est en raison des
exigences de ces fonctions que les membres du clergé célibataire ne sont plus
astreints à la vie strictement monastique, ni à l'obligation de résider dans
les presbytères.
XXXI. LES REVENUS ECCLÉSIASTIQUES.
On
ne connaît dans l'église arménienne ni les
bénéfices, ni les canonicats ou menses du clergé
latin. Les ecclésiastiques ne vivent que des offrandes
volontaires des fidèles. C'est surtout le cas des prêtres
mariés. Parfois cependant les ecclésiastiques
célibataires touchent une modique rétribution. Les
églises et les monastères possèdent bien quelques
immeubles, terrains ou bâtisses, mais les ressources que
procurent ces propriétés sont des plus précaires
en Turquie à cause de la législation spéciale qui
régit les biens immobiliers. Les églises, les
monastères et les écoles n'étant point, en droit
musulman, reconnus comme personnes morales, sont par suite
privés du droit de posséder. On cherche donc à
tourner la difficulté en inscrivant le patrimoine de ces
établissements sous un nom d'emprunt. Mais cet expédient
n'est pas sans dangers; car on court tout d'abord le risque de perdre
ces biens lorsque leur détenteur vient à mourir sans
laisser d'héritier direct. On doit compter également avec
la mauvaise foi des héritiers ou l'éventualité
d'une saisie judiciaire, même extra-légale. Il faut noter
que les propriétés, qui appartiennent à la
catégorie des VaCOl!/s (biens de mainmorte), ne sont
transmissibles qu'aux enfants seuls. Il est possible pourtant
d'étendre le droit d'héritage aux parents du premier et
du second degré, contre le paiement d'une indemnité une
fois versée et d'un supplément de contribution annuelle.
Un autre expédient, auquel on avait souvent recours,
était celui d'inscrire les propriétés sous le nom
d'un saint, comme s'il eût été vivant. C'est ainsi
qu'il est alï'ivé d'enregistrer les
propriétés appartenant à l'église de Sainte
Marie, sous le nom d'une femme Marie, fille de Joachim, et celles
appartenant il l'église de Saint-Jean-Baptiste, sous le nom du
clerc Jean, fils de Zacharie, et ainsi de suite. Mais si le fisc venait
il pousser les-formalités un peu loin, on s'exposait à
perdre l'immeuble. Cette situation particulière, faite au
régime de la propriété ecclésiastique, a
donné lieu en ces derniers temps aux plus graves
difficultés. Le gouvernement, qui jusqu'ici avait fermé
les yeux par esprit de tolérance, vient de changer
inopinément de tactique. Il veut mettre fin, sans compensation,
à un état de chose qu'il tolérait depuis plusieurs
siècles. Il inaugure ainsi un système de confiscation;
mais il faut espérer que la nouvelle législation y
portera remède. Pour expliquer brièvement la nature des
vacoufs, je rappellerai que les biens compris sous cette
dénomination appartiennent aux institutions pieuses ou de
bienfaisance en dominium directum. Ils ne sont cédés aux
particuliers qu'en dominium utile, c'est-il-dire à titre
d'usufruit, avec restriction du droit de succession, comme il a
été dit plus haut. Une annuité très minime,
puis des droits de transfert et de succession sont perçus par
l'institution ; enfin la propriété lui fait
entièrement retour à l'extinction de la catégorie
d'héritiers prévus par la loi. Les églises et les
institutions chrétiennes jouissent également du
même droit de propriété. Beaucoup d'églises
de Constantinople possèdent des vacoufs . Une autre source de
revenu provient des quêtes journalières faites dans les
églises pendant la messe et les offices . On fait circuler au
milieu de la foule des pnak (plats) que l'on confie aux éphores.
En outre, des troncs. sont installés dans les parvis et aux
entrées pour recevoir les dons des fidèles. Les collectes
ne laissaient pas jadis d'être assez productives,aujourd'hui
elles ne donnent plus grand'chose. Il convient d'ajouter à ces
revenus le produit de la vente des , cierges qui se pratique à
l'entrée des églises, et dont le prix est laissé
à la discrétion des fidèles. L' usage de
brûler des cierges devant les images est toujours en honneur chez
les Orientaux. L'église perçoit encore un droit
spécial à l'occasion des cérémonies
religieuses, telles que baptêmes, mariages, funérailles,
messes de requiem, etc. Il faut également tenir compte des
revenus procurés par les actes de chancellerie, tels que
certificats, légalisations et attestations. Les
libéralités et les offrandes volontaires constituent un
complément de ressources, au sujet desquelles on ne saurait
fournir d'indication précise. Et, pour tout dire, la plupart des
immeubles proviennent de legs et de donations. Les monastères
possèdent, au surplus, le droit de prélever, sur les
villages de leur district, une part fixe en nature sur le produit du
sol et sur l'élevage. Cette contribution appelée ptough
(fruit), bien que volontaire, avait un caractère fixe. Les
dévastations, dont les provinces arméniennes sont
pérîodiquement le théâtre, ont porté
un coup fatal à cette source de revenus. En principe, chague
église doit couvrir ses dépenses au moyen de ses propres
revenus. Elle doit s'attacher à le faire
fructifier au mieux de ses intérêts. Les dépenses auxquelles les églises
doivent pourvoir peuvent se ramener aux suivantes :
1° Conservation des
immeubles;
2° Entretien et achat des
ornements et des objets nécessaires au culte;
3° Entretien de l'école
paroissiale ;
4° Appointements du
personnel attaché au service de l'église et de l'école ;
5° Secours aux malades et
aux pauvres.
L'instruction
est donnée gratuitement à ces derniers : une modique
rétribution est exigée des autres. La
générosité des fidèles se charge
également de l'entretîen du clergé marié.
Une partie de ses ressources, la meilleure, lui est fournie par les
familles, qui doivent subvenir aux besoins de leurs tallérett
(curés) ; le reste provient des fonctions ecclésiastiques
qu'il remplit à l'occasion des batltêmes: des
fiançailles, des noces, des enterrements, des
bénédictions des maisons à Noël et à
Pâques, et de la célébration des messes. Les
produits des quêtes et des aumônes, destinées aux
prêtres d'une même paroisse, sont partagés entre ces
derniers. De ce qui précède, il résulte clairement
que le clergé marié vit uniquement de dons volontaires,
et que l'entretien de ses membres dépend de la somme
d'activité qu'ils déploient ainsi que de la
dévotion des ouailles. Quànd les membres du clergé
célibataire font partie d'une administration, ou sont
attachés à un supérieur,ils
bénéficient ordinairement d'une modeste pension qui leur
est assuré par le diocèse ou par l'église. A ce
pécule, il convient d'ajouter les offrandes qui leur sont faites
en raison des fonctions qu'ils sont appelés à exercer
auprès de leurs ouailles. Comme on le voit, l'existence du
clergé arménien ne laisse pas d'être
précaire. Cette situation ne lui assure ni liberté, ni
indépendance vis-à-vis de ses administrés. Au
premier abord, elle semble donc préjudiciable; pourtant elle
offre l'avantage inappréciable d'empêcher le clergé
de former une caste dans la nation. Elle contribue même à
cimenter l'union et la concorde entre ce dernier et la population, par
cela même qu'elle est obligée de veiller à ses
intérêts. De son côté, le clergé aux
prises avec les difficultés de l'existence, se voit
obligé de redoubler de zèle et d'activité.
Là est la raison pour laquelle le clergé arménien
s'est trouvé de tout temps en communion d'idées et de
sentiments avec le peuple. Ce qu'on appelle ailleurs esprit
clérical n'a jamais existé en lui depuis les origines.
XXXII. LES LAÏQUES DANS L'ÉGLISE
Chez
les Arméniens, le clergé n'est pas
considéré comme maître absolu et
propriétaire de l'église. Celle-ci, en tant
qu'institution, appartient autant aux fidèles qu'aux ministres
du culte. En vertu de ce principe, sauf les actes sacramentaires, pour
l'exercice desquels l'ordination est indispensable, rien ne se fait
dans l'administration ecclésiastique sans le concours de
l'élément laïque. La participation de ce dernier aux
affaires de l'église, s'affirme d'abord par l'élection
des ministres du culte. Le prêtre marié est élu par
la communauté de la paroisse, soit par un vote régulier,
soit par un acte de présentation. Le conseil religieux,
présidé par l'évêque, procède
à l'examen de la capacité et de l'idonéité
du candidat, et ce n'est qu'après avoir pris son avis qu'il est
procédé à l'ordination. L'évêque ne
saurait de sa propre initiative consacrer un prêtre, mais il peut
refuser l'ordination, s'il est prouvé que le candidat a des
défauts canoniques. Quant aux prêtres célibataires,
il se recrutent parmi les jeunes gens préparés au
sacerdoce dans les monastères. Leur promotion est à la
discrétion du supérieur et du chapitre, mais leur
ordination au diaconat et au sacerdoce doit être autorisée
par le patriarcat dont relèvent les institutions monastiques.
L'élément laïque n'y a aucune part.
L'élection des chefs ordinaires des diocèses appartient,
en Turquie, aux conseils diocésains, dont les six
septièmes des membres sont composés de laïques et un
septième seulement d'ecclésiastiques. Telle est la
disposition du canon ancien et général de
l'église. Cependant le bologénia russe, sans exclure
l'intervention laïque, réserve au czar leur nomination
définitive, sur la présentation de deux candidats par le
catholicos. Si l'on tenait compte de l'analogie qui subsiste entre
l'élection du catholicos et celle des évêques, on
devrait abandonner aux délégués du diocèse
le choix des candidats à l'évêché. Car
l'élection du catholicosat est du ressort de l'assemblée
électorale composée de chefs religieux et de
délégués laïques nommés par
l'universalité des diocèses. A ce vote, prennent part
également les huit membres du synode et les sept plus anciens
membres de la congrégation d'Etchmiadzine. La nomination
définitive du catholicos est réservée au czar, qui
choisit l'un dès deux candidats présentés par
l'assemblée . Les patriarches de Constantinople et de
Jérusalem sont élus par l'assemblée nationale de
la capitale dont les six septièmes des membres appartiennent
à l'élément laïque. Les catholicos de Sis et
d'Aghthamar sont élus par les conseils électoraux
composés par moitié de laïques. On voit donc, par
ces exemples, à quel point l'action de ces derniers est
prépondérante dans les promotions ecclésiastiques.
La participation des laïques dans les affaires
ecclésiastiques n'est pas moins efficace. Bien qu'elle s'exerce
sous des formes différentes, suivant les lois et les usages des
pays habités par les Arméniens, néanmoins le grand
principe de l'intervention laïque est partout respecté. En
Turquie, chaque église est gérée par une
éphorie (taghakan) entièrement composée de
laïques élus par la paroisse. Elle assume l'administration
de l'église, de l'école et des affaires
intérieures de la communauté. Sa gestion est
controlée par un conseil diocésain tintessakan
(économique), composé de laïques, qui a des
attributions fiscales. En Russie, le gouvernement tolère
l'existences des éphories, mais il a supprimé les
conseils diocésains. Les attributions de ces derniers ont
été tranférées au synode et aux
consistoires formés d'ecclésiastiques. Examinons
maintenant dans quelle mesure l'élément laïque
participe à l'administration générale des affaires
de la nation. On sait qu'elle date des origines de l'église, mais en
1860 elle subissait une réforme, à la suite de la
promulAation du Sahmalladrouthiun (règlement ou constitution),
lequel fut approuvé par le gouvernement ottoman en 1863. En
vertu de cette constitution, la haute gestion des affaires est
confiée à une assemblée nationale investie de
pouvoirs législatifs et de contrôle, et à deux
conseils, l'un religieux et l'autre civil, qui ont un pouvoir
exécutif, et qui assistent le patriarche dans l'exercice de ses
fonctions administratives. Ces conseils sont, à leur tour,
assistés de plusieurs commissions, institués pour
s'occuper séparément de toute qucstion concernant les
différends matrimoniaux, l'instruction publique, la gestion
financière, les testaments, les / monastères, et
l'institut central de bienfaisance ou hôpital national.
L'Assemblée nationale se compose de cent quarante membres, dont
les six septièmes sont laïques, élus au suffrage. Le
conseil civil comprend quatorze laïques, et le conseil religieux
autant d'ecclésiastiques de tous grades, célibataires ou
mariés. Quant aux deux conseils, ils sont élus
directement par l'assemblée; réunis ils forment le
consei! mixte, dont la compétence s'étend sur la gestion
en général. Les affaires spirituelles relèvent du
conseil religieux; les autres, comme les finances et l'instruction
publique, du conseil civil. Tous deux agissent isolément. Chague
commission se compose de sept membres; celles qui s'occupent de
l'instruction,de l'économie et de l'hôpital, sont
entièrement composées de laïques; ils n'ont que la
majorité dans les autres, qui ont pour attribution les
testaments et les monastères. La commission
préposée aux affaires judiciaires en comprend huit, dont
la moitié est laïque. L’assemblée a pour
attributions principales l'élection des patriarches et des
conseils, le vote du budget et des comptes consomptives,
l'élaboration des règlements spéciaux, et la
connaissance des conflits de pouvoirs et des difficultés
extraordinaires. Ajoutons, en passant, que la constitution nationale a
créé un impôt direct, auquel est soumis tout
particulier jouissant d'une situation lucrative, et que le droit de
vote est subordonné au paiement de cet impôt. Le produit
en est versé à la caisse du patriarcat, En Turquie,
l'administration diocésaine est calquée sur le
modèle de l'administration centrale du patriarcat. Elle varie
d'après l'importance et l'étendue des diocèses. Le
nombre des membres des conseils généraux
diocésains varie de vingt-un à soixante-dix, dans la
proportion de six septièmes de laïques. Il en va de
même pour les conseils et les commissions; aussi croyons-nous
superflu d'entrer dans les détails. En Russie,
l'élément laïque n'exerce aucun contrôle sur
la gestion des diocèses, Le synode catholicosal et les
consistoires diocésains, ou ne figurent que des
ecclésiastiques, n'y ont que des attributions strictement
spirituelles. Le gouvernement impérial n'a rien
négligé pour éloigner ses sujets de la haute
administration des institutions ecclésiastiques. Il n'a pas cru
devoir leur octroyer les privilèges, que les sultans ottomans
ont concédés. Les diocèses d'Égypte, de
Roumanie et de Bulgarie, qui relèvent du patriarcat de
Constantinople, suivent les formes de ce dernier, dans la mesure
où elles sont compatibles avec les lois du pays, Les
diocèses de Perse, d'Europe et d'Amérique, qui
relèvent du siège d'Etchmiadzine, se conforment aux
usages du Caucase, De ce qui précède, on conclura que de
toutes les communions chrétiennes, l'église
arménienne est celle où triomphe, avec le plus
d'éclat et de vérité, l'esprit
démocratique. Elle est étrangère à
l'exclusivisme sacerdotal, si néfaste à la bonne
harmonie, qui doit régner entre l'église et les
fidèles, entre le pasteur et le troupeau. Cette tradition de la
participation de l'élément laïque aux affaires de
l'église remonte aux premiers temps de son histoire, et ses
racines plongent aux sources les plus fécondes du christianisme,
Ainsi les actes des conciles nationaux témoignent invariablement
que jadis les princes et les satrapes, et, après eux, les
notables et les délégués, en un mot, les
représentants du peuple, n'ont jamais cessé de
siéger dans les conciles à côté des
évêques et des docteurs. On leur voit prendre une part
active dans toutes les discussions touchant les questions doctrinales
et disciplinaires, puis apposer au bas des actes et des canons leurs
signatures, comme membres effectifs des conciles. Cet antique principe,
prévaut encore aujourd'hui dans les usages de la nation, et
c'est par lui que se justifie la présence des laïques dans
les assemblées et dans les conseils ecclésiastiques. En
faisant à cet élément une large part dans son
administration, elle a conjuré les deux dangers qui mettent en
péril l'église d'Occident, dont l'un s'appelle le
cléricalisme, et l'autre l'indifférence en matière
de religion.
XXXIII. LE NOM DE L'ÉGLISE
Un
usage, généralement répandu, veut que chaque
église ait un nom ethnographique, en même temps qu'une
dénomination doctrinale; le premier est emprunté au pays
ou à la race, la seconde au principe doctrinal. C'est ainsi que
l'on dit: église grecque orthodoxe, église latine
catholique, église anglicane épiscopale, église
écossaise presbytérienne, ainsi de suite. Cependant, en
ce qui concerne l'église arménienne, on n.est pas
tombé d'accord sur sa dénomination doctrinale. Les
Arméniens se servent du nom ethnographique de Haï
Yéguéghétzi (église aménienne), ou
Haïastaniaïtz Yéguéghétzi (église
des Arméniens). Les locutions de sourb (saint), de
arakélakan (apostolique), de oughapar (orthodoxe), et autres
semblables, qui ont habituellement cours, n'ont en
réalité aucun caractère officiel. L'appellation
doctrinale date de l'occupation russe, quand le gouvernement du czar
voulut imposer un règlement spécial. On dut alors
préciser le nom de 1'église, le nom ethnographique seul
ayant paru insuffisant. C'est à cette époque qu'on mit en
avant la dénomination de Loussavortchagan, qui
littéralement signifie l' Illuminatorien, expression qui a
été, par analogie, traduite par celle de
Grégorien, du nom de S. Grégoire l'Illuminateur. C'est de
cette façon que la dénomination d'église
arméno-grégorienne a été enregistrée
dans le bologenia russe de I836. On la voit figurer dans les actes du
synode d'Etchmiadzine. Cependant ce vocable a été mal
accueilli par l'opinion publique arménienne. Suivant elle, il
tendrait à enlever à l'église son caractère
d'apostolicité, pour ne lui laisser que celui d'une
église qui aurait été fondée au IVe
siècle. Les catholiques romains, qui prétendent faire de
S. Grigor Loussavoritch un adepte de Rome, le répudient
égaIement, mais pour une raison différente. Leurs
scrupules leur défendent de donner à une église,
réputée par eux schismatique, le nom Id'un catholique
romain. Ils ont donc imaginé pour leur usage, le nom de
Etchmiadznakan, qu'ils ont emprunté au siège
suprême d'Etchmiadzine. Toutefois; comme on le pense bien, cette
appellation n'a rallié ni les fidèles de l'église
arménienne, ni les auteurs étrangers. Mais enfin,
puisque, on tient tant à une dénomination doctrinale, ne
pourrait-on pas adopter celle d'Église Oughapar, qui aurait au
moins le mérite de répondre à la formule grecque
d'Église Orthodoxe, et à celle d'Église Pravoslave
en russe ? Tout en conservant l'analogie, elle aurait, croyons-nous, le
mérite de caractériser la distinction des églises
par un nom emprunté à la langue propre à chacune
d'elles. Il n'offrirait d'ailleurs rien d'arbitraire, puisqu'il a paru
déjà dans l'Almanach de Gotha (I890, p.949 et 189I,p.
1012). Au reste, ce ne serait pas là une innovation, car,
l'usage de conserver les noms propres avec leur prononciation
originale, et non en traduction, est plus commun qu'on ne pense. C'est
ainsi qu'une foule d'appellations d'origine hébraïque,
grecque et siryenne, conservent leur forme native, encore que
légèrement altérée. Nous nous serions
conformés à cet usage, si nous avions adopté celle
d'Église oughapar arménienne. Elle aurait eu le double
mérite d'indiquer, à la fois, la constitution
spéciale de l'église nationale et le lien qui la rattache
au groupe des églises de l'orthodoxie orientale.
LITURGIE
XXXIV. LES ÉDIFICES DU CULTE
Comme la splendeur des
édifices du culte dépend de l'importance de la communauté, et surtout des
libéralités des donateurs, on ne peut donc s'attendre à voir rien de
magnifique, chez les Arméniens, dans cet ordre de choses. Cela ne surprendra
personne, si l'on songe dans quelles conditions sociales peu enviables a vécu
jusqu'à ce jour cette nation. Ce n’est donc pas sous ce point de vue que nous
voulons parler de ses églises. Il ne peut être question ici que de ses rites et
de ses usages canoniques. La forme habituelle de ses édifices sacrés est
ordinairement rectangulaire. Le maître-autel est invariablement placé à
l'Orient, conformément à la prescription ancienne, qui voulait que le fidèle,
en prière, se tournàt vers cette partie de l'horizon. Intérieurement, ils se
divisent en quatre parties dans le sens de la profondeur. D'abord s'offre le
vestibule, qu'un mur séparait jadis de la nef, et que remplace aujourd'hui un
haut grillage. Là se tenaient les pénitents et les cathécumènes pendant la
célébration du service divin. On y récitait aussi les offices les jours
ordinaires. Le vestibule n'a pas gardé sa signification primitive, cependant le
grillage a été maintenu, en souvenir des anciens canons. / Après, vient
l'église proprement dite, la nef, destinée au commun des fidèles. Les femmes et
les hommes y sont séparés. Autrefois cette partie de l'édifice était
exclusivement réservée aux hommes; les femmes devaient monter aux galeries, qui
étaient munies d'un épais treillis. De nos jours, ces usages sont tombés en
désuétude dans les églises urbaines, mais la séparation des sexes y est
toujours de rigueur. Dans certaines circonstances solennelles, dans les
enterrements et dans les commémorations de requiem, le clergé et les chantres
s'avancent au milieu de la nef, et chantent au milieu des fidèles. Vient après
le choeur, exhaussé d'on degré et séparé Sur toute la largeur de l'église par
un grillage à hauteur d'appui. Le clergé et les chantres, partagés en deux
groupes, y prennent place, l'un à droite et 1'autre à gauche, pour alterner les
psalmodies et les hymnes. Le fond de l'église forme une estrade, à laquelle on
accède par deux escaliers latéraux de quatre ou cinq marches. Au milieu et au
dessous de l'abside se dresse le maître-autel, qui se compose d'une colonne et
d'une table en marbre, consacrées par le saint-chrême. Il est isolé de façon à
laisser un espace libre autour. Des degrés y sont disposés pour recevoir les
candélabres et divers ornements. Au dessus, domine une sainte image,
représentant invariablement
la
Vierge
avec l'Enfant. Par exception, on la remplace, aux
fêtes de
la Résurection
et de
la Sainte Croix
, par des images appropriées à la solennité du
jour. Si l'on se conformait aux traditions nationales, les
églises devraient être ornées de coupoles et de
clochers ; mais jusqu'en ces derniers temps, les Turcs en avaient
interdit l'usage, et ce n'est que depuis peu qu'ils se sont
relâchés de leur sévérité à
cet égard. Cependant on ne saurait encore se livrer à
cette fantaisie architecturale, sans une autorisation spéciale
du sultan. La forme des coupoles est étroite, à tambour
élancé, rappelant la coiffure, dite vêB'hal-, du
clergé célibataire. Ce qui frappe surtout
l'étranger qui les visite, c'est leur aspect d'austère
simplicité qui contraste avec la profusion de quincailleries et
de dorures, des églises gréco-orthodoxes, Les images y
sont rares, quand elles ne sont pas absentes, sauf sur les autels. II
n'y a qu'un seul autel, où s'accomplit une seule messe
journalière. Les deux petits autels, qu'on voit
communément dans les bas-côtés, ne sont là
qu'à titre d'ornement. Dans les grandes basiliques, ils sont
construits de manière à y pouvoir célébrer
le sacrifice divin à certains jours de l'année; mais dans
ces circonstances, le maitre-autel reste vacant. Quand on veut avoir
plusieurs messes, on doit joindre des chapelles à la nef,
formant comme autant d'églises séparées. Toutefois
on s'attache à éviter la multiplication des messes le
même jour. On ne se sert des chapelles que pour commémorer
la fête des saints sous le vocable desquels elles sont
placées. C'est ainsi que les églises de Galata et de
Koumcapou, à Constantinople, forment chacune trois
édifices accolés absolument semblables entre eux. On
avait choisi cette disposition pour suffire au grand nombre des
fidèles, qui peuplaient naguère ces quartiers ; mais
comme ils sont aujourd'hui en partie désertés, le nombre
de messes y a été réduit au strict
nécessaire. Aussi bien le principe de la messe quotidienne a
cessé depuis longtemps d'être observé. Les canons
liturgiques ne l'interdisaient que pendant les cinq jours de chaque
semaine du carême et de l'aratchavor. L.usage en est aujourd'hui
limité aux samedis et aux dimanches, ainsi qu'aux jours de
fêtes dans les grandes églises. Dans les paroisses
rurales, la messe y est plus rare. Mais la récitation
quotidienne des offices est partout scrupuleusement observée.
Toute église doit posséder deux sacristies : celle qui
s'ouvre à dl'oite de l'édifice contient les fonts
baptismaux, celle de gauche, est réservée à la
conservation des vêtements et des objets destinés au
culte. Le trône de l'évêque diocésain est
permanent dans l'église cathédrale seule. Placé
à l'entrée du chreur, à gauche, face à
l'autel, ce n'est qu'un modeste siège exhaussé sur un ou
deux degrés. Il n'est surmonté du baldaquin que dans les
églises patriarcales et dans les cathédrales des grands
diocèses. Le clergé ne dispose ni de chaises, ni de
bancs, et s'assied à même sur des tapis ou des coussins.
Il en est de même pour les fidèles, qui restent debout,
bien que l'usage ait prévalu en Turquie d'imiter le
clergé. Mais tout récemment l'usage des bancs a
commencé à se répandre à Constantinople et
dans les grandes villes. Cet exemple ne tarder a pas, sans doute,
à être imité ailleurs. L'église est
invariablement précédée d'une cour, autour de
laquelle s'élèvent les logements destinés au
service du personnel. Il y a d'abord la pièce dite Bankal,
où se fait la vente des cierges, et où les aumônes
sont reçues. Ensuite celles destinées au conseil de
l'éphorie et à la chancellerie paroissiale. Puis viennent
les chambres des prêtres, du célébrant et du
personnel de service. L'école paroissiale est logée
ordinairement dans la même enceinte. Une fontaine et des cabinets
pour la commodité du public sont installés dans un coin.
Tous ces bâtiments sont invariablement entourés d'un mur
formant clôture. L'église et les dépendances sont
la propriété privilégiée de la
communauté ou de la paroisse.
XXXV. LES MINISTRES DU CULTE
Nous
avons déjà eu l'occasion d'entretenir le lecteur des
ministres du culte, d'abord dans le chapitre consacré aux
acrements, puis dans le bref tableau que nous avons fait de la
hiérarchie ecclésiastique. Nous allons cependant y
revenir encore afin d'expliquer certains usages de l'église
arménienne, qui ont des rapports avec la liturgie. Les
degrés de l'échelle hiérarchique du personnel
ecclésiastique sont actuellement les suivants: 1° Clercs
(depir), 2° diacres (sarlîavak), 3° prêtres (kahana
ouyéret{), 4° archiprêtres (avaguéret{), 5°
archimandrites ou docteurs (vardapet), 6° évêques
(épiscopos), 7° patriarches (patriark), et 8°
catholicos. Par clercs,on désigne les individus qui ont
reçu l'ordination des quatre ordres mineurs, à savoirles
ordres d'ostiaire, de lecteur, d'exorciste et d'acolyte, qui ne sont
plus conférés séparément. Les sacristains
et les chantres doi vent ordinairement faire partie de ces ordres, pour
être attachés au service de l'église. L'ordination
qu'ils reçoivent ne leur interdit pas de porter le costume civil
et de vivre dans le monde. A l'église ils portent le costume
ecclésiastique, qui consiste en une longue talaire
fermée, dite schapik (chemise), qui descend jusqu'aux pieds. On
la fait de toute sorte de drap, en toile ou en velours,
indifi'éremment. La partie superposée, l'humérale,
qui couvre les épaules, le dos et la poitrine, est souvent
ornée de riches broderies; elle est d'un drap plus
précieux que le reste. Trois croix ornent le dos et les deux
côtés du devant. L'huméraie doit être
appliquée sur le schapik, mais, contrairement aux
règlements, l'usage s'est introduit dans ces derniers temps de
la porter sous forme de pélerine. Les séminaristes,
dès leur entrée, reçoivent également les
ordres mineurs. Ils portent sur la soutane un long habit noir, ouvert
sur le devant, que l'on appelle vérarkou , espèce de
paletot à l'orientale à manches flottantes. Il n'existe
plus de diacres, comme nous l'avons déjà noté, que
dans les monastères, c'est-à-dire, au sein du
clergé célibataire. Leur nombre, qui est à peine
de quarante, se trouve dispersé dans les établissements
religieux. Le sous-diaconat leur est conféré en
même temps que le diaconat, et leur costume ne diffère
guère de celui des autres ecclésiastiques. Ils portent
lepakegh, espèce de calotte de drap noir, sans visière,
semblable au lîamélafka du clergé grec. Il est
seulement plus bas de forme, et la partie supérieure en est
pointue. A l'église, leur costume est le schapik, décl-it
plus haut, avec l'ourar, étole longue de plus de trois
mètres et large de dix à quinze centimètres,
ornée de trois croix. Elle se porte à l'épaule
gauche, et les extrémités descendent jusqu'aux pieds par
devant et par derrière. La même étole peut
être plus longue, et alors elle pend également sur les
deux côtés sur l'épaule gauche, après avoir
fait un tour sous l'aisselle droite. Les fonctions du diacre sont
décrétées dans les livres liturgiques. A son
défaut, le prêtre y supplée en revêtant son
costume. Ses principales attributions sont l'encensement, la lecture de
l'évangile à la messe, et le déplacement solennel
des espèces à l'offertoire. Les prêtres
mariés se recrutent dans toutes les classes de la
société, mais on donne la préférence aux
chantres et aux maîtres d'école. Cependant ils
succèdent le plus souvent à leurs pères dans la
prêtrise. On pourrait citer telle famille, où l'on compte
jusqu'à vingt et trente générations de
prêtres. Les conditions exigées des
candidats sont, outre l'élection paroissiale, des connaissances ecclésiastiques
et liturgiques une vie réglée et en général exemplaire; en outre, le consentement
de leurs femmes. Chaque prêtre est canoniquement lié à une église, et il ne
peut être nommé à une autre cure que s'il pose à nouveau sa candidature. Leur
degré d'instruction est ordinairement proportionné aux conditions sociales et
matérielles de la paroisse. Souvent le choix se fait parmi ceux. qui y sont
domiciliés. Après leur ordination ils sont astreints à un rigoureux carême
(Karassounî), qui dure quarante jours. Ils se préparent à la première messe, en
menant une vie de retraite à l'église, s'astreignant, par vingt-quatre heures,
à une nourriture végétale. Pendant ce temps, ils s'exercent aux actes de leur
vocation. De leur côté, les femmes (yéretzkine) observent chez elles le régime
maigre ordinaire. Ces dernières jouissent d'une certaine préséance dans la
société. Ia vie des prètres s'identifie absolument avec la famille, avec cette
restriction, bien entendu, qu'ils se doivent d'abord à leurs fonctions. Sous
aucun prétexte, ils ne peuvent se dispenser d'exercer leurs offices à l'église.
A cela près, ils peuvent vaquer à leurs affaires domestiques, et se livrer mème
à un travail professionnel dans la limite des convenances. Une semaine, ou
trois jours au moins, avant la célébration de la messe, ils abandonnent la
demeure conjugale, pour passer les nuits dans les dépendances de l'église.
Jadis leur costume ne différait de celui des laïques, que par le vérarh'ou
noir, qui est leur signe distinctif. Mais peu à peu le costume ecclésiastique
s'est imposé. L'exemple a été d'abord donné par les villes ; les villages l'ont
suivi. Outre cette pièce de vêtement, ils portent une soutane de couleur noire,
et le pakegh, qui est de même couleur. Dans les villages, on voit des soutanes
de diverses couleurs, car les usages ordinaires du peuple sont permis au clergé
séculier . A l'église, ils portent un simple manteau de laine noire, ou pénule
(pilon), pour les offices ordinaires. Ils sont autorisés à porter le pilon en
soie fleurie ou de couleur, à titre de récompense honorifique. Ulle autre
distinction, qui leur est conférée, est le droit de porter une croix tlectorale
unie ell bronze doré. Les habits sacerdotaux consistent en un pluvial
(schourtchar), au dessous duquel sont le schapik en toile blanche, l'étole
pectorale (porourar) ; une ceinture (goti) et des manchettes (barzpan) aux
avant-bras. Audessus du schourtchar se dresse sur les épaules un vaste col
(vakas), droit et raide. A la tête, ils portent une mître rollde (saghavart),
ceinte d'une couronne de feuillage et surmonté d'une petite croix. Pendant les
offices solennels, le schourtchar remplace le pilon. Ajoutons, à titre de
simple information, qu'on évalue à un minimum de quatre mille le nombre des
prêtres mariés arméniens. Les archiprêtres ont le pas sur les prêtres, et ce
qui les distingue de ces delïliers, c'est l'obligation de surveiller
l'administration spirituelle de l'église. Le clergé célibataire a le pas sur le
clergé marié au point que celui-ci se voit obligé de le céder au plus novice
parmi les premiers. Comme nous l'avons expliqué plus haut, il se divise en
trois grades. L'ordre d'ancienneté règle leur préséance, et ne tient nul compte
de leur grade particulier. Extérieurement, rien ne les distingue des prêtres
mariés. En ville, ils portent le pakegh de velours noir dont la partie
supérieure est violette. Ils sont libres de le porter entièrement noir. Les
vêtements sont de même couleur. A l'église, le pilon est ordinairement de soie
noire, que les vardapets particuliers portent fleurie et les vardapets de rang
supérieur en soie violette. Les vêtements sacerdotaux sont identiques à ceux
des prêtres; seulement ils ont droit à la crosse doctorale. Les croix
pectorales données en privilège sont ornées de pierreries. L'église arménienne
fait usage d'une petite croix a main, en métal, munie de quatre bras égaux et
de rayons intermédiaires, sans l'image du Christ. Elle est pourvue d'un manche
en métal enveloppé d'une pièce riche ou brodée. Une relique est logée au
milieu. Cette croix, qui est consacrée par le saint--chrême, comme cela se
pratique pour les images et les croix placées sur les autels, sert à donner la
bénédiction au cours des cérémonies. La mitre des vardabets ressemble à celle
des prêtres; quand ils sont appelés à diriger un diocèse, ils peuvent également
[,lire usage de la mÎtre épiscopale dans les limites de leur juridiction. Quant
aux fonctions et aux attributions des vardapets, nous croyons en avoir dit
suffisamment dans le chapitre des grades hiérarchiques. Le nombre total du
clergé célibataire arménien, les évêques y compris, ne dépasse pas quatre
cents. Le costume ordinaire des évêques ne diffère guère de celui des
vardapets; ils portent en plus l'anneau au petit doigt de la main droite; les
catholicos seuls le passent à l'annulaire. La mître et la crosse, toujours
ornées et riches, ressemblent à celles des Latins. L'omophorion ou pallium est
plus large et plus long, que celui en usage dans les autres rites. Long de plus
de quatre mètres et large de vingt-cinq à trente celltimètres, richement brodé,
il croise le dos et la poitrine de manière que ses extrémités tombent jusqu
'aux pieds, La croix pectorale particulière aux évêques, appelée panagué (du
grec Panaïa), est une plaque de forme ovale ornée de pierreries, où se trouve
enchassée l'image de
la Vierge
ou du Christ. Comme nous l'avons déjà indiqué,
l'usage en a été emprunté à l'église
gréco-orthodoxe. Outre le trône fixe à la
cathédrale, les évêques ont droit à un
siège mobile sur l'estrade de l'autel, pour la
prédication, ou au milieu de l'église, au cours des
offices. Hors de leurs diocèses, ils n'ont droit, qu'à un
siège mobile. Au baise-main des évêques, les
Arméniens n'admettent ni les génuflexions des latins, ni
les adorations des Grecs. La simplicité règne
uniformément dans toutes leurs cérémonies. Le
titre d'archevêque (arképiscopos) n'est qu'un titre
honorifique, qui ne confère aucun droit de
préséance; celleci ne se règle que sur l'ordre
d'ancienneté. Les privilèges extérieurs des
patriarches de Jérusalem et de Constantinople consistent dans Un
droit de préséance, qu'ils gardent même
après leur démission, et dans les honneurs
attachés à leurs charges. A la dignité des
catholicos sont attachés des honneurs spéciaux, dont ils
sont redevables à la consécration par le
saint-chrême. A remarquer que le pape de Rome et le Patriarche
oecuménique de Constantinople ne sont l'objet d'aucune
consécration, et qu'ils arrivent au pontificat suprême,
par voie de simple élection et prise de possession. Les
catholicos arméniens, comme signe extérieur, ont le
konker (épigonation), réminiscence de la besace
pastorale, qu'ils portent à la ceinture, sur le
côté gauche. Au moment de la consécration, on leur
couvre la tête d'un grand voile (kogh) de soie épaisse,
doublé et brodé. Aux jours de grande
cérémonie, il est porté solennellement devant lui.
La petite croix en brillants, que le catholicos d'Etchmiadzine attache
sur son véghar, est une décoration qui lui est
conférée par l'empereur de Russie. Les attributions des
catholicos, ainsi que leurs rapports mutuels, ont été
déjà exposés au chapitre des grades
hiérarchiques.
XXXVII. LE SYSTÈME DU CALENDRIER
Nous ne nous attarderons
point à expliquer le calendrier civil en usage chez les anciens Arméniens, ni à
analyser l'ancien calendrier de Haïka schirtchan (cycle d'Orion), qui embrasse
une période de 1460 ans, plus une année bisextile. Nous n'entendons pas non
plus expliquer son année de douze mois uniformément composés de trente jours,
avec cinq jours d'épagomènes. C'est le calendrier Julien, désigné communément
sous le nom de Vieux style, que suivent de nos jours les Arméniens de Russie et
de Turquie, et même ceux que ]'émigration a dispersés en Europe et en Amérique.
Ce calendrier est bien connu maintenant, et l'on sait qu'à partir du vingtième
siècle un retard de treize jours doit séparer les dates des deux calendriers.
Nous essaierons d'expliquer plutôt le système de la célébration des fêtes
arméniennes. Toute la chrétienté a pris pour base de ses fêtes les jours fixes
du comput solaire, de sorte que tel jour de tel mois est invariablement
consacré à la fête de tel saint. Seules les fêtes pascales suivent le comput
lunaire, mais elles sont refondues par un arrangement spécial dans le comput
général. Le calendrier arménien a adopté pour base, non les jours des mois,
mais ceux des semaines. II forme ainsi un calendrier spécial hebdomadaire. Il
n'y a dans toute l'année que quatorze jours qui soient célébrés d'après
certains jours fixes du mois, et cela depuis ces derniers siècles. Ce sont les
neuf jours de
la Théophanie
(du 5 au 13 janvier), et les cinq fêtes de
la Vierge
,
la Purification
(14
février), l'Annonciation (7 avril) ,
la Nativité
(8 septembre),
la Présentation
(21
novembre) et
la Conception
(9 décembre). Le reste de l'année est organisé
d'après l'ordre succesif des semaines et des jours de chaque
semaine. Le point de départ est le jour de Pâques,
invariablement calculé d'après le vieux style. D'abord,
en calculant avant les Pâques, on s'arrête au
dixième dimanche. Des dix semaines qui précèdent
cette fête, la première est consacrée à
l'abstinence de l'Aratchavor (primaire), les deux suivantes aux
fêtes des saints, les six autres forment le carême, et la
dixième est la semaine sainte. On compte ensuite une
période de quatorze semaines après les Pâques ; au
quatorzième dimanche se place la fête de
la Transfiguration
,
qui dure trois jours. Les premières sept semaines forment les cinquante jours
qui séparent
la
Résurrection
de Ja Pentecôte; la huitième est l'octave de
la Pentecôte
; les cinq
autres qui suivent contiennent les fêtes des saints; à la quatorzième, prend
place l'abstinence de
la Transfiguration. Cet
ensemble de vingt-quatre semaines, ou de cent soixante-onze jours,
forme la période pascale, et comprend presque la moitié
de l'année. Elle est célébrée toujours
d'une manière identique, en suivant l'ordre des jours des
semaines. Nous devons noter ici que le comput pascal des
Arméniens est identique au comput grec, avec cette seule
différence, que quatre fois dans un cycle de cinq cent trente
deux années, les deux Pâques se rencontrent avec une
semaine d'intervalle, Cet écart provient de la différence
des épactes du calendrier alexandrin d'Eas, suivi par les
Arméniens, et du calendrier byzantin d'Irion, adopté par
les Grecs, Aux quatre dates susmentionnées, la pleine lune,
d'après Irion, apparaît le samedi 5 avril, et c'est le
lendemain, le 6, que se célèbrent les Pàques ;
tandis que d'après Eas, c'est un dimanche, 6 avril, qu'elle
apparaitrait, et la fête se trouve par suite ajournée au
13 du même mois. C'est ce que les Arméniens appellent
Dzrazadik (pàques erronées). Cette différence a
toujours été une cause de conflits entre Grecs et
Arméniens, surtout à Jérusalem. Le dernier
dzrazadik a coïncidé avec l'année 1824 ; mais en
considération des liens d'étroite amitié qui
subsistaient à cette époque entre le gouvernement russe
et le siège d'Etchmiadzine, on crut devoir passer outre, et les
Arméniens célébrèrent les Pàques le
11 avril, simultanément avec les Grecs et les Russes, Cet
écart se répéterait en 2071, si la question de
dzrazadik n'était pas définitivement tranchée.
Pour revenir au calendrier arménien, notons que le reste de
l'année, hors la période de vingt-quatre semaines, forme
une seconde période extra-pascale, divisée en cinq
parties, qui sont en relation avec les points fixes, qui règlent
leur calcul, savoir: la fête de l'Assomption, le dimanche plus
proche, avant ou après le 15 août; la fête de
l'Exaltation, le dimanche le plus proche de la date du 14 septembre; le
commencement de l' Avent, le dimanche le plus proche du 18 novembre; et
la fête de
la Théophanie
le 6
janvier, C'est ainsi qu'on a cinq périodes partielles, d'une durée variant
chaque année, mais qui se compensent mutuellement. Les fêtes quotidiennes sont
réglées d'après le système hebdomadaire, c'est-à-dire, dans l'ordre des jours
de la semaine, Les variations dans le nombre des semaines de chaque période
partielle nécessitent la transposition éventuelle d'un certain nombre de fètes.
Il en est de mème pour celles qui se produisent après la fin et avant le
commencement de la période pascale. La mobilité de la fète pascale, qui
embrasse une différence de trente-cinq jours, fait que plus le commencement de
la période pascale s'approche de
la Théophanie
, autant sa fin s'éloigne de
l'Assomption, et réciproquement; et les fètes de ces deux périodes partielles
se déplacent suivant les besoins. La caractéristique essentielle du système
hebdomadaire, c'est que la nature même des fètes est réglée d'après les jours
de la semaine. Les dimanches sont exclusivement dédiés à
la Résurrection
ou à toute autre fête dominicale; les mercredis et les
vendredis sont réservés aux offices de pénitence.
Les fêtes des saints ne peuvent être
célébrées que pendant les quatre jours restants,
soit, les ]undis, mardis, jeudis et samedis. Les jours de
pénitence et ceux consacrés aux saints peuvent
ètre changés en fète dominicale, en interrompant
les offices qui leur sont propres. Les lundis, mardis et jeudis peuvent
ètre changés en office de pénitence, ce qui n'est
pas le cas pour les samedis. On voit clairement, par les indications
qui précèdent, que les fètes des saints doivent
annuellement changer de jour, et que par conséquent un
calendrier spécial s'impose pour chaque année
d'après le jour assigné aux Pàques. Comme notre
intention ici n'est que de donner au lecteur de simples notions, nous
croyons suffisant ce que nous venons d'exposer .
XXXVIII. LES FETES DOMINICALES
Le cadre restreint où nous
nous renfermons nous interdit toute digression sur les détails relatifs à la
célébration des fêtes. L'église arménienne, sous le nom de fête dominicale
(térounakan), comprend toutes les solennités en l'honneur de Jésus-Christ, du
Saint-Esprit, de
la
Sainte Vierge
, de
la Sainte-Croix
et de
la Sainte-Église. A
ces fêtes, elle n'associe aucune commémoration de saint, aucun office de
pénitence; car les offices du jour sont exclusivement consacrés au mystère
divin. Elles peuvent se partager en trois groupes, suivant qu'elles ont pour
objet le Rédempteur, sa divine Mère ou
la Rédemption
elle-même. Dans le premier groupe se
place d'abord la fête de
la
Théophanie
, où se synthétisent tous les mystères qui
précédèrent la vie évangélique du Christ. On réunit ainsi en une seule
solennité l'Annonciation,
la Noël
,
l'adoration des mages, le baptême et les révélations du Jourdain. C'est dans
cet esprit que
la
Théophanie
était jadis célébrée par les églises primitives;
et ce ne fut que plus tard que les églises syrienne, latine et grecque firent
de
la Théophanie
deux fêtes distinctes,
la Noël
et l'Epiphanie. Mais l'église arménienne a gardé intacte la tradition.
La Théophanie
y est
célébrée le 6 janvier, en y comprenant la veille, le 5, et l'octave jusqu'au
13. Vient ensuite la semaine sainte, qui forme une octave de fêtes dominicales.
Elle commence la veille du dimanche des Palmes, qui est dédié au miracle de la
résurrection de Lazare, et prend fin Je samedi saint, qui clôt la commémoration
des mystères de la rédemption, par la fête de la mise au tombeau.
La Résurrection
est
solennisée pendant trente-neuf jours et l'Ascension pendant dix jours pleins.
Le cinquantième inaugure
la
Pentecôte
et la fête du Saint-Esprit, qui dure sept jours. On
a ainsi un cycle de soixante-quatre jours consécutifs de fêtes dominicales,
durant lequel aucune autre commémoration de saints ne peut être célébrée.
La Transfiguration
coïncide avec le septième dimanche après
la Pentecôte
, qui clôture
la période pascale et le lundi et le mardi suivants. On la désigne aussi sous
le nom de Vardavar (fête des roses), d'une fête païenne qui a passé dans la
tradition chrétienne. Pour compléter cette brève revue des solennités en
l'honneur du Rédempteur, on doit noter gue les dimanches de l'année sont tous
dédiés à
la Résurrection
,
à défaut d'une fête dominicale. Aux dimanches du carême est attribué un
caractère d'attente à
la
Résurrection. Le
second groupe des fêtes dominicales se
rattache à la personne de la sainte Astouadzadzine (Mère de Dieu), à laquelle
sont appliquées les formules des offices consacrés à Jésus-Christ. La
principale est l'Assomption, prise dans le sens de dormition et d'exaltation à
la vision divine. Nous avons dit qu'elle se célèbre le dimanche le plus
rapproché du 15 août, soit dans l'intervalle compris entre le 12 et le 18 de ce
mois; elle dure neuf jours, jusqu'au second lundi inclusivement. Dès le Ve siècle,
on commença à célébrer
la
Purification
le 14 février et l'Annonciation le 7 avril.
La Nativité
de
la Sainte-Vierge
, qui
se célèbre le 8 septembre, a été inaugurée au XIIIe siècle.
La Présentation
( 21
novembre) et
la Conception
(9 décembre) ne datent que du dix septième. Les commémorations des inventions
du voile et de Ia ceinture de
la Sainte-Vierge
remontent à la fin du dix-huitième.
Elles sont fixées au sixième dimanche de
la Pentecôte
et au
troisième de l'Assomption. Au dernier groupe appartiennent le.s fêtes de
la Sainte Croix
et de
la Sainte-Église. Les
premières sont: la fête de l'Exaltation, qui tombe le dimanche compris entre le
11 et le 17 septembre et celle de l'Invention, le septième dimanche de
l'Exaltation; l'apparition à Jérusalem, en 351, le cinquième dimanche de
Pàgues, et l'Apparition à Varak, près de Van en 653, le troisième dimanche de
l'Exaltaltion. La fête de l'Exaltation dure une semaine entière, les autres, un
seul jour . On célèbre aussi les fêtes de
la Sainte-Église
, comme
signe visible de la rédemption. Elles comprennent principalement le mardi, le
mercredi et le jeudi de la semaine d'Exaltation. Figurent dans ce groupe, la
dédicace de l'église du Saint-Sépulcre (veille de l'Exaltation), celle de la
basilique d'Etchmiadzine (veille de l'Assomption), la vision de
la Descente
de l'Unigenitus,
apparue à saint Grégoire l'Illuminateur (troisième dimanche de
la Pentecôte
), la
commémoration de l'Arche d'Alliance ou du Vieux Testament (veille de
la Transfiguration
),
la Vocation
des gentils
(deuxième dimanche de Pâques), et enfin la commémoration de la première église
du Cénacle (troisième dimanche de Pàques). Voici maintenant le total des fêtes
dominicales, pendant lesquelles les offices et la messe sont entièrement
appliqués aux mystères divins, à l'exclusion de toute commémoration des saints.
9 jours
la Théophanie.
8 »
la Semaine
sainte.
39 »
la Résurrection.
10 » l'Ascension.
7 »
la Pentecôte.
3 »
la Transfiguration.
9 » l’Assomption.
7 » autres fêtes de
la Vierge.
7 » diverses fêtes de
la Sainte-Croix.
9 » diverses fêtes de
la Sainte-Église.
30 » dimanches n'ayant
aucune autre fête.
En tout, cent trente-six
jours dans l'année.
Puisque nous en sommes au
chapitre des jours, durant lesquels on s'abstient de commémorer les saints,
nous croyons à propos d'ajouter quelques mots d'éclaircissement au sujet des
périodes de pénitence ou d'abstinence liturgique (pahk). C'est encore une
spécialité propre au rite arménien, qu'à certains jours les offices et la messe
soient appliqués exclusivement aux prières de pénitence et il la commémoration
des morts. Ce sont, en général les mercredis et les vendredis de chaque
semaine, sauf coïncidence de fètes dominicales; puis les jours du carème, les
samedis et dimanches exceptés; les cinq jours des quatre semaines qui précèdent
les grandes fêtes; enfin les semaines de l'Avent et de l'Aratchavor.
Ordinairement, les offices de pénitence ou d'abstinence sont accompagnés de
maigre; mais cette règle comporte quelques exceptions. Une dispense réglementaire
est accordée pendant les mercredis et les vendredis de la quarantaine pascale
et durant l'octave de
la
Théophanie. En
dehors de cette période, le maigre des
mercredis et vendredis est de rigueur, même dans les cas de fêtes dominicales.
Le maigre de la semaine de
la
Pentecôte
est obligatoire malgré la fête dominicale du
Saint-Esprit. Les semaines consacrées au maigre de l'automne et de l'hiver et
celle qui prépare ci la grande fête de l'illuminateur, conservent la
commémoration des saints, sans interrompre le régime maigre. Il en est de mème
pour les samedis et les dimanches du carême et pour l'abstinence de
la Théophanie. Nous
avons dit ailleurs que les jours consacrés au maigre atteignent le nombre de
cent-soixante. Ils sont de cent dix-sept pour l'abstinence liturgique, y
compris le carême. En ajoutant ci ce nombre les cent trente-six fêtes
dominicales, on a un total de deux cent cinquante-trois jours; il n'en reste
que cent douze pour les fêtes commémoratives des saints, qu'on est obligé de
grouper ensemble. Bien rares sont dans le calendrier arménien les jours
consacrés à la commémoration d'un seul saint.
XXXIX.
LA
COMMEMORATION DES
SAINTS
Sans
avoir I'intention de passer en revue le martyrologe arménien, ce
qui nous ménerait trop loin, nous croyons utile de donner un
bref aperçu de l'hagiographie de son église. Aussi bien
cette étude contribuera à jeter un surcroit de
lumières sur ses relations avec les autres églises, en
précisant en même temps l'époque où ses
institutions liturgiques ont été définitivement
fixées. Pour nous conformer à l'ordre chronologique,
commençons par les esprits célestes. Une seule
fète leur est consacrée; seuls les archanges Michel et
Gabriel y sont nominativement cités. Les saints de l'Ancien
Testament figurent en grand nombre dans le calendrier. Une fète
est dédiée à tous les patriarches. Parmi ceux qui
ont vécu avant le déluge, on évoque nominalement
la mémoire d'Adam, d'Abel, de Seth, d'Enos, d'Enoch et de
Noë. Ensuite les patriarches venus après le déluge:
Melchisedech, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Aaron, et
Éléazar. De l'époque des juges on évoque
les noms de Josué, de Barac, de Gédéon, de
Jephté, de Samson et de Samuel. La liste s'accompagne de la
formule: Et les autres patriarches. Job le Juste est l'objet d'une
fète spéciale. Dans la série des prophètes
on distingue David, Elysée, Isaïe, Jérémie,
Daniel, Ezechiel et Esdras. Les douze petits prophètes sont
groupés dans une solennité collective. La mémoire
de Zacharie, l'un des douze, est l'objet d'une fête
supplémentaire à l'occasion de la translation de ses
reliques en Arménie. L'ascension du prophète Elie n'est
l'objet que d'une simple mention. On glorifie également les
martyrs du Vieux Testament, savoir: les Trois-Enfants dans la fournaise
de Babylone, le prètre Eléazar, la veuve Samounée
et ses sept fils. Parmi Ies saints contemporains de Jésus sont
cités: les Innocents de Bethléhem, Joachim et Anne,
parents de Ailarie, Zacharie, père de Jean-Baptiste, Joseph,
époux de Marie, et Jean-Baptiste, en I’honneur de qui
quatre fètes sont célébrées dans
l'année. En passant aux saints du Nouveau Testament, nous
trouvons tout d'abord la fête collective des treize
apôtres, y compris saint Paul; puis viennent celles qui leur sont
particulièrement consacrées, associés par deux.
Quant aux Soixante-douze disciples, une fête
générale célèbre leur mémoire.
Certains jours spéciaux sont désignés pour en
célébrer quelques-uns nominativement, sauf le doute
restrictif s'ils font partie de ce groupe. Nous rangerons dans cette
catégorie: Jacob et Siméon, nommés frères
de Jésus ; les évangélistes Marc et Luc; les
diacres Etienne et Philippe; les disciples Lazare, Ananie, Jean Marc et
Barnabé. On y ajoute Joseph d'Arimathée, le centurion
Longin, témoins de la passion, et le centurion Corneille. Parmi
les disciples de saint Paul, on évoque la mémoire de
Timothée, de Tite, de Silas, de Sylvain, d'Onésime, en y
ajoutant la formule: et autres disciples. On range également
dans ce groupe, les docteurs Hierothée ou Rhétée
l'Athénien et Denis I'Aréopagite. Le calendrier
consacré aussi une fête générale aux saintes
femmes myrophores (Yughaber), à la tête desquelles figure
Marie-Madeleine; une autre, aux soeurs de Lazare. A ce groupe se
rattachent la martyre Thècle, disciple de saint Paul, et la
vierge Hermonée, fille du diacre Philippe. Le calendrier
mentionne cgalement de nombreux martyrs et plusieu rs confesseurs,
vénérés par Ies autres églises ; tous
cependant sont antérieurs à l'époque qui
précéda la scission qui émietta l'église
universelle. La nomenclature de ces saints que nous allons donner,
malgré son aridité, ne laisse pas d'être utile au
point de vue de l'histoire des relations entre les églises. Pour
plus de clarté, nous garderons l'ordre des diverses
églises et des siècles, auxquels remontent ces saints.
Eglise
d'Antioche, IIe siècle : l'évêque Ignace, et la
vierge Christine; IIIe siècle : le vieillard Barlaam et
l'évèque Babylas et ses disciples; IVe siècle:
l'évêque Mélétius, les prêtres Lucien,
Théodorète, Eugène et Macaire; le diacre Cyrille;
le chantre Romanus d'Emesse, les martyrs Artémius,
Hibérique et ses compagnons, Hysichius, et Christophe, et les
femmes martyres Callinice et Acylinée; Ve siècle:
Siméon le Stylite.
Église
de Cilicie, IIIe siècle: les martyrs Callinique, Diomède,
Cosme et Damien, Taragus et ses compagnons, et la martyre
Pélagie. Église de Mésopotamie, IIIe
siècle: l'évêque Barsame d'Edesse; IVe
siècle: les docteurs Jacques de Nisibe et Ephrem le Syrien, le
cénobiarque Marcellus, les martyrs Serge et Bacchus, Gurias et
ses compagnons, et la vierge Fébronie; Ve siècle,
l'évêque Maruthas.
Église de Jérusalem, IVe
siècle: le patriarche Cyrille, l'évêque Judas-Cyrille et sa mère, et
l'anachorète Romanius; ve siècle: le patriarche Jean. Église de Chypre, ve
siècle: l'évêque Épiphane.
Église d'Alexandrie : IIe
siècle: la vierge Eugénie, ses parents et ses frères; IIIe siècle: le martyr
Antonin ; IVe siècle: les patriarches Pierre et Athanase, le diacre Absalon,
les martyrs Varus, Théophyle de Lybie, Mennas d'Egypte, Mennas d'Alexandrie et
ses compagnons, et la vierge Catherine; ve siècle: le patriarche Cyrille.
Viennent ensuite les cénobiarques Antoine et Onuphrius, et un groupe de treize
anachorètes de
la Thébaïde
,
mentionnés nominativement, avec l'addition: Et autres. Église d'Éthiopie: Ve
siècle: le martyr Kharitas et ses dix-mille compagnons.
Église de Césarée, IIe
siècle: le martyr Romulus ; IIIe siècle: les martyrs Polyeucte, Mercure et
Mamas ; IVe siècle: les évêques Basile le Grand, et Grégoire de Nysse, les
martyrs Gordius, Eudoxius et ses compagnons, Andreas et sa légion.
Église
de Sébaste, IIIe siècle: l'évêque
Grégoire de Néocésarée ; IVe siècle:
les évêques Blaise et Athénagène avec ses
compagnons, les quarante martyrs de Sébaste, les quarante-cinq
martyrs de Nicopolis, les deux Théodores, et les martyrs
Sévérien et Eustratius avec ses compagnons. Église
de Lycaonie, IIIe siècle: les martyrs Triphon, et Philictimon;
IVe siècle: le martyr Théoditon et ses compagnons, la
martyre Juliette et son fils, la vierge Marguerite.
Église du Pont, Ile siècle:
l'évêque Phocas; IIIe siècle : le martyr Acacius; IVe siècle: les martyrs
Valère, Candide et Aquilas.
Église d'Éphèse, IIe
siècle: l'évêque Polycarpe et les martyrs de Smyrne; IIIe siècle: le prêtre
Pion, le martyr Thémistocle, et les sept Dormants; IVe siècle: les évêques
Nicolas de Myre, Myron de Candie, et le martyr Adoctus .
Église de Constantinople,
IVe siècle: les patriarches Mitrophanés, Alexandre, Paul et Grégoire le
Théologue, les syncèles Marcien et Martyron, les empereurs Constantin et
Théodose, l'impératrice Hélène, la vierge Euphémie, et le confesseur Jean; Ve
siècle: le patriarche Jean Chrysostome et la vierge Euphrasie.
Église
de Thessalie, IVe siècle: l'évêque
Irénée de Sirmium, le prêtre Mocimas, et le martyr
Démètre.
Église
de Galatie, IIIe siècle: le martyr Eleuthère ; IVe
siècle: l'évêque Clément, le prêtre
Basilisque, les martyrs Platon et Thiodite, la vierge Barbara et les
sept Vierges martyres. Église de Bythinie : IIIe siècle:
le martyr Quadratus ; IVe siècle: les évêques
Antime et Théopompe, les prêtres lc:llnolaus et Clericus,
les martyrs Georges, Pantaléon, Anicète, Photin, Adrien
et sa femme, Eulampius et sa soeur, Théonas, Indus, Domnas,
Bassus et ses trois compagnons, Babylas et ses élèves,
ainsi que les vingt mille victimes brûlées vives dans
l'église de Nicomédie, et les vierges Julienne et
Basilisse.église de Rome, Ile siècle: les
évêques Pancrace de Taormine, et Irénée de
Lyon, le martyr Eustache et sa famille, la martyre Sophie et ses
filles; IIIe siècle: le patriarche Etienne et ses compagnons, le
martyr Callistrate et ses compagnons, le confesseur Alexien; IVe
siècle : le pontife Sylvestre, et l'évêque Janvier
.
Église d'Afrique, IIIe
siècle: l'évêque Cyprien, et la vierge Justine. Église de Perse, IVe siècle:
les évêques Marc, Mélèce et Acephsime, les prêtres Joseph et Buras, les diacres
Ayithalas et Sénés, les martyrs Serge, son fils et ses compagnons; ve siècle:
le diacre Benjamin, les martyrs Ormisde, Sayen et Jakovik; VIe siècle: le
prêtre Anastase, et le martyr Abdulmessih.
Nous
avons réservé pour la fin la liste des saints appartenant
en propre à l'église arménienne, parmi lesquels il
n'y a que le patriarche Grégoire l'Illuminateur qui soit reconnu
par les autres communions. L'église arménienne lui a
consacré trois fêtes, dont une de précepte. ler
siècle: l'évêque Addèe d'Edesse, le roi
Abgar, et la princesse Sandouhte. IIe siècle: les martyrs Oski
et ses quatre compagnons, Sukias et ses dix-huit compagnons. IVe
siècle: les vierges Rhipsimée et ses trente-trois
compagnes, Gaïanée et ses deux compagnes, Nounée et
Manée; les patriarches Aristakés, Vertanés,
Houssik et Nersés; les évêques Grigoris, Daniel et
Khath; le roi Tiridate, la reine Aschkhène, la princesse
Khosrovidouhte, les anachorètes Antoine et Kronidés, les
martyrs Etienne d'Ulnie (Zeytoun) et ses compagnons. ve siècle:
les patriarches Isaac et Joseph, le grand docteur Mesrop, les
évêques Isaac et Thathik, les docteurs
Élisée, Moïse et David, les prêtres
Léonce, Mouschegh, Arschène, Samuel, Abraham et
Khorène, les diacres Katchatch et Abraham, les martyrs Atom et
sa légion, Vardan et ses mille trente-cinq compagnons; les
anachorètes Thathoul, Varus et Thomas, la martyre Suzanne. VIe
siècle: les sept anachorètes Khotadjarak, et les martyrs
Grigor-Rajik et Adéodat. VIle siècle: le martyr David de
Douine. VIIIe siècle: le prince Vahan de Golthn, les satrapes
Sahak et Hamazasb Ardzrounis, le patriarche Hovhannès III
d'Otzoun. IXe siècle: les princes Isaac et Joseph. Xe
siècle: le docteur Grigor de Narek. XIIe siècle: le
patriarche Nersès IV Schinorhali, et le martyr Goharin et ses
compagnons. XIVe siècle: le docteur Hovhannès d'Orotn.
XVe siècle: le docteur Grigor de Tathev. En clôturant
cette liste, citons un rite propre à l'église
arménienne, qui a institué trois fêtes
spéciales pour commémorer les saints conciles de
Nicée, de Constantinople et d'Éphèse. On a pu
remarquer que les saints appartenant aux autres églises, et qui,
dans l'église arménienne, sont l'objet d'un culte, sont
antérieurs à la moitié du Ve siècle. Il
peuvent, à ce titre, être considérés
effectivement comme appartenant en commun à l'église
universelle. Le nombre des saints admis aux honneurs des autels
postérieurement à cette date n'est que d'une douzaine, et
seulement parce que leurs mérites sont universellement reconnus
LITTERATURE
XL. APERÇU GÉNÉRAL
Nous
avons eu déjà l'occasion de donner dans le cours du
présent ouvrage de brèves indications sur la
littérature arménienne. Sans vouloir revenir sur ce
sujet, nous nous permettrons seulement d'attirer l'attention du lecteur
sur son caractère qui est éminemment religieux. S'il est
vrai qu'une étroite corrélation subsiste entre la vie
d'une nation et l'expression littéraire de sa pensée, on
ne peut nier que le caractère ecclésiastique, dont la
littérature arménienne est pénétrée,
n'ait contribué à la conservation de la conscience
nationale. La vie politique de cette nation s'est éteinte il y a
plusieurs siècles. Par suite de ses émigrations
perpétuelles elle a perdu même l'avantage d'une existence
concentrée ; et pourtant, quoique dispersée et amoindrie,
elle est encore là gardant son nom, sa langue et ses traditions.
J'ajouterai même qu'elle donne, à l'heure où
j'écris ces lignes, des marques évidentes d'une
vitalité parfaite. Cet étonnant phénomène
de survie ne peut s'expliquer que par la vertu agissante de la langue
et de la liturgie écrites: force impondérable, qui a
résisté à l'action du temps et aux vicissitudes
des révolutions asiatiques . Les sentiments et Ies affections
sont par eux-mêmes trop transitoires et précaires, pour
assurer aux collectivités une pratique et durable. Une force
toujours active est indispensable pour maintenir la cohésion des
membres qui les composent. Cette force, l'Arménie l'a
puisée dans sa littérature. Elle lui a servi de centre de
ralliement, alors qu'elle était dépourvue de liens
politiques. Il y a quelque chose de providentiel dans ce fait, que Ies
débuts de sa littérature aient coïncidé juste
au moment où la vie politique se retirait d'elle. Il semble que
S. Sahak et S. Mesrop aient eu la prescience du danger national, quand
ils ont combiné l'alphabet arménien. C'est à ces
deux ecclésiastiques, dont la vocation témoigne de leur
ardeur spirituelle qu'est due cette merveilleuse invention dont les
conséquences ont été si fécondes. Elle a
donné d'abord à l'église une langue, des rites, et
un rituel propres, toutes conditions indispcnsables à son
existence. Elle a procuré à la race qu'elle a
groupée dans son sein les moyens de sauvegarder et d'alimenter
indéfiniment sa vitallité sociale. C'est par elle que
l'individu a pu conserver et cultiver d.une manière
énergique son identité, au point de conjurer les dangers
qui ont périodiquement menacé la natioc d.une extinction
complète. Le développement de cette littérature
n'a guère cessé de présenter le caractère
religieux qui a signalé ses débuts. Les écrivains
arméniens sont d'accord pour dire qu'elle a eu un âge d'or
et un âge d’argent; mais ils varient sur l'époque
où il convient de placer exactement ces deux âges.
Cependant ils croient pouvoir les fixer dans la période comprise
entre le Ve et le XIle siècle. Or, on remarquera que pendant ce
long espace de huit siècles, on ne compte parmi les cinquante
écrivains connus, que deux seuls laïques, le prince Grigor
Maguistros et le médecin Mekhitar de Her. On cite
également Schapouh Bagratouni, qui vivait au IXe siècle,
mais son histoire, qu'il aurait écrite en langue vulgaire, ne
nous est point parvenue. Cette littérature se compose en majeure
partie de manuels d'église, comme la traduction de la bible et
les rituels, qui sont écrits dans la plus pure langue classique,
contrairement à ce qu'on observe ailleurs, où les livres
sacrés marquent la décadence de la langue. A
côté de ce groupe d'ouvrages, on peut citer la collection
des pères de l'église. A peu de choses près, les
traductions de toutes les ceuvres d'Ignace d'Antioche,
d'Irénée de Lugdune, de Grégoire de
Néocésarée, d'Athanase d'Alexandrie, de
Théophane de Chypre, d'Eusèbe de Césarée,
de Procle de Constantinople, de Cyrille de Jérusalem, de Basile
de Césarée, de Grégoire de Nazianze, de
Séverien d'Émesse, de Grégoire de Nysse, de Jean
Chrysostome, d'Ephrem le Syrien, sont des modèles de style
soutenu. Des membres du clergé traduisaient en même temps
les livres des philosophes : Aristote, Platon, Denis, Justin, Porphyre,
PhiIon, Aristide, Piside. C'est ainsi que l'église contribuait
par ses travaux non seulement à l'édification, mais
à l'instruction générale de la nation. Les livres
d'histoire, dont le nombre est considérable, sont
également dus à la science d'ecclésiastiques, tels
que: Moïse de Khorène, Lazare de Parpi,
Élysée vardapet, Koriun Skantchéli,
Hovhannès le catholicos, Stépanos Orbélian,
Guévond vardapet, Stépanos Assoghik, et bien d'autres
qu'il serait fastidieux d'énumérer. Il en fut de
même des livres d’Agathange, de Zénob et de Fauste
de Byzance, qu'on présume être des traductions. On voit,
par ces exemples, que la meilleure époque de la
littérature arménienne est exclusivement remplie par les
oeuvres du clergé. Comme on l'a vu dans la partie historique, la
période comprise entre le XIIe et le XVIIe siècles fut
pour la nation arménienne un temps de décadence sociale.
Sa littérature se ressent de la déchéance des
esprits. Les quelques écrits qui nous sont parvenus de cette
époque, sont également dus au clergé. Celui-ci
eut, de plus, le mérite de ne point négliger
l'éducation du peupIe. Il accomplit cette tâche, dans la
mesure où les circonstances le lui permirent, car l'on sait
qu'il eut à lutter souvent contre des obstacles insurmontables.
A cette même époque vivaient le médecin Amir Dolvat
et le fonctionnaire Yérémia Keumurdjian, qui comptent
parmi les rares écrivains laïques. Malgré la
qualité inférieure de tous ces écrits, ils ne
laissent pas néanmoins d'être intéressants au point
de vue de l'histoire des moeurs et de l'esprit du temps, dont ils sont
le fidèle reflet. Ils constituent également une source de
précieux renseignements sur les événements d'une
époque encore fort peu connue. C'est au clergé que
revient également le mérite d'avoir conservé les
ouvrages des âges précédents, par le soin, qu'il
prit, d'en multiplier les copies manuscrites. Celles que nous
possédons remontent en totalité à cette
période de décadence; car les manuscrits anciens sont des
plus rares.
XLI. DERNIERS SYMPTOMES
A
partir du XVIIIe siècle, la littérature entre dans une
phase de renaissance. Mais le clergé ne cesse de tenir la
tête du mouvement intellectuel, et tout progrès, comme
toute amélioration sociale, tlartent de son initiative. Vardan,
Golod et Nalian en Orient, Mekhitar et Khatchatour en Occident,
déploient les plus louables efforts, non seulement pour
régénérer la littérature nationale, mais
pour propager l'éducation parmi le peuple et l'instruction au
sein du clergé. Ies livres se multiplient alors d'une
manière inespérée, grâce à l'usage de
l'imprimerie qui se répand de plus en plus en Orient. Le peuple
est enfin appelé à participer aux bienfaits de
l'instruction. Une multitude d'écrivains s'illustrent dans tous
les rangs des classes sociales. Fait inouï: les laïques
commencent eux-mêmes à se livrer à l'enseignement,
qui, jusqu'alors, avait été le monopole exclusif des
ecclésiastiques. Dans cette société, qui se
régénère, apparaît une classe
spéciale d'enseignants, qu'on désigne sous le titre
pompeux de Patvéli (honorable). Depuis, rien n'a ralenti cette
marche vers le progrès; l'ascension des esprits s'est
effectuée d'une manière sûre et continuelle,
suivant le mouvement général du siècle. Comme la
littérature religieuse est la seule qui nous occupe ici, nous
devons ajouter que si les ceuvres, qu'elle a données, sont
abondantes, elles sont loin d'être aussi satisfaisantes qu'on
pourrait le désirer. Le père Mikaël Tchamtchian, des
Mekhitaristes de Venise, a eu le mérite de restaurer les
études historiques, mais force est de convenir que son histoire
nationale laisse à désirer au point de vue de l'esprit
critique et de ses relations avec l'histoire généraie.
Les études sur les origines de la nation sont encore très
incomplètes. L'histoire de l'église elle-même se
ressent des lacunes de cet enseignement, qui en est encore à ses
débuts. D'autre part, les congrégations Mekhitaristes de
Venise et de Vienne, auxquelles on ne saurait refuser le mérite
d'avoir contribué efficacement au développement des
lettres, n'ont pu échapper à cet esprit de particularisme
qui les éloigne de l'église arménienne. Les
séminaires d'Etchmiadzine et d'Armache ont entrepris
récemment des travaux critiques, pour démontrer le
caractère pur et authentique de cette église que les
auteurs catholiques ont essayé de déplacer au point de la
rendre méconnaissable. Les facilités de communications
avec l'Europe moderne ont jeté les Arméniens de ces
derniers temps dans le courant des idées modernes, où se
laissent entraîner principalement les races latines de l'Europe.
Cette circonstance a donné lieu à l'éclosion
d'opinions et d'idées antireligieuses, qui se sont traduites par
des pamphlets dirigés contre l'église. Celle-ci,
obligée de se défendre, s'est engagée dans une
voie nouvelle, qui est celle de l'apologie. Il en est
résulté un plus grand effort pour arriver à
élever le niveau intellectuel du clergé, auquel incombe
le désir de combattre ces tendances audacieuses. On peut penser
cependant que ces mesures sont superflues, car l'église
arménienne se trouve sur un terrain trop solide, et son esprit
de tolérance est par trop évident pour qu'elle ait
à redouter les assauts d'une irréligiosité qu'elle
n'a pas provoquée. Ceux des Arméniens qui croient servir
la cause de la liberté par leurs opinions exaltées,
paraissent ignorer quels sont au juste l'esprit et la doctrine de leur
église. Ils ignorent que les tendances antireligieuses et
anticléricales n'ont pas naissance que dans les pays où
domine le catholicisme romain; tendances, qu'il a provoquées par
ses exagérations irréfléchies. D'une façon
générale les pays protestants sont à l'abri de ces
excès, sans doute à cause du libéralisme
professé par la religion dominante. Les Anglo-Saxons, qu'on peut
considérer comme les pionniers de la liberté, sont en
même temps sincèrement attachés à la foi.
L'exposé que nous avons fait de notre doctrine nous donne le
droit d'affirmer qu'en matière de libéralisme et de
tolérance religieuse, l'Eglise arménienne ne le
cède à aucune autre, si toutefois elle ne leur est pas
supérieure. Rien n'est plus aisé pour un écrivain
arménien, que la défense de son église en
particulier, et de la religion en général, contre les
attaques de ce qu'on appelle l'esprit moderne. Pour cela, il lui suffit
de mettre en lumière ses principes et sa doctrine,
d'éliminer tout ce qui est d'importation
étrangère, de suivre strictement la règle
tracée par ses anciens docteurs, de garder en toute chose le
sens de la tradition, et de maintenir enfin la féconde et
légitime collaboration du clergé et des laïques qui
est dans son esprit et dans ses institutions. De soi-même naitra
alors la conviction due le christianisme, qui a apporté la
lumière de la liberté au monde, ne saurait être
hostile au progrès de la raison humaine.
LE PRESENT
XLII. L'ASPECT EXTÉRIEUR
Tout ce que nous venons
d'exposer se rapporte principalement au passé de l'église arménienne. Les
lecteurs sont maintenant quelque peu renseignés sur ses débuts, son commencement
et les vicissitudes de son histoire. Jusqu'à ce jour elle était, je ne dirai
pas totalement ignorée, mais assurément fort peu connue. Après avoir raconté
son passé nous allons maintellant exposer en quelques mots sa situation
présente. La chrétienté entière se partage en quatre branches savoir: branches
catholique et protestante, en Occident branches dyophysite et monophysite, en
Orient. Nous nt ferons aucune difficulté pour reconnaître que cette dernière
n'a plus le prestige que donnent le nombre et Ia puissance. Elle ne peut plus
se prévaloir que de celui de son antiquité. l.'église arménienne, qui
appartient à cette branche, occupe la première place parmi les divers groupe
dont elle se partage. La communion dans la foi et dans Ia charité spirituelle
ne cesse de les unir entre elles; car le canons de l'église primitive n'exigent
point une centralisation d'administration. C'est ainsi que les églises syrienne
copte et abyssinienne conservent leur hiérarchie autocéphale. Il est d'usage de
comprendre aussi dans ce groupe l'église chaldéenne, bien que sa profession de
foi ne soit pas identique aux précédentes. Cette assimilation a été provoquée
par le gouvernement ottoman, qui l'a, de sa propre autorité, rattaché au
commencement au patriarcat arménien. L'église arménienne a donc un caractère
essentiellement national, suivant le type idéal ancien. Elle reconnaît pour
centre et dépositaire du pouvoir suprême le catholicos, qui siège à
Etchmiadzine, et dont la juridiction s'étend sur l'universalité des fidèles
arméniens dispersés à travers le monde; tous sont également les brebis du même
troupeau. Nous ne reviendrons pas sur une question que nous croyons avoir déjà
suffisamment traitée, savoir la distribution des diocèses et des sièges
secondaires, ni sur les questions relatives à la discipline observée dans
l'administration ecclésiastique. Nous nous bornerons à dire, à ce sujet , que
les diocèses de Russie suivent Ies dispositions du règlement de 1836, dénommé
Bologénia, lequel a été Confirmé par ukase impérial; tandis qu'en Turquie
prévalent les dispositions du règlement de 1860, connu sous le nom de
Sahmanadrouthiun, et qu'a sanctionné un iradé impérial. Ces règlements, quoique
basés sur les canons et les usages anciens, ont été mis en harmonie avec les
droits politiques modernes. Ils contiennent néanmoins divers privilèges, qui
constituent, en faveur des ecclésiastiques, autant de droits exceptionnels.
Cette situation, le nouveau régime constitutionnel, qui vient d'être introduit
en Russie et en Turquie, refuse de l'admettre, et la politique de ces deux
gouvernements s'applique à la supprimer. Il en est résulté par suite un conflit
latent entre les pouvoirs politiques et les pouvoirs ecclésiastiques de ces
deux pays. Mais ces derniers pouvoirs forts de leurs droits acquis, entendent
garder leurs privilèges aussi longtemps que
la Russie
et
la Turquie
maintiendront, l'une à l'orthodoxie et l'autre à
l'islamisme, les bénéfices d'une situation
privilégiée. Si l'on faisait état des
données historiques sur la situation de l'église
arménienne, le nombre de ses fidèles se serait
élevé jadis à une trentaine de millions, au moins.
Aujourd'hui, il n'est plus que de quatre millions. Cependant ce chiffre
n'est qu'approximatif, car aucune statistique officielle n'a pu encore
être établie par les chancelleries diocésaines. Les
émigrations et les massacres périodiques, ainsi que les
conversions et la fusion des convertis avec les éléments
hétérogènes et les races environnantes, sont
causes de cette énorme diminution. Nous comptons d'ailleurs
donner, à la fin de ce volume, une statistique approximative de
la population par diocèses.
XLIII. LES DIVERS ÉLÉMENTS
L'esprit
de tolérance religieuse, avons-nous dit, a singulièrement
facilité le passage des Arméniens à d'autres
professions de foi chrétienne. Nous passerons sous silence les
conversions à l'islamisme, dues, principalement, à
l'action directe des pouvoirs publics. Les descendants de ces
convertis, entièrement acquis à l'islamisme, ne sont plus
arméniens. Ils sont allés grossir les contingents des
populations turques et kurdes de l'empire ottoman. La plus ancienne
fraction détachée de l'église arménienne
est celle des arméno-grecs (haïhorom), dont la scission
remonte à la domination byzantine. Jadis, elle était fort
nombreuse; mais aujourd'hui elle est réduite à peu de
chose, à une dizaine de mille environ. Dispersés dans les
diocèses d'Eghine, d'Ismidt et de Keghy, ils conservent le
souvenir de leur origine, et les vieillards entendent encore la langue
de leurs aïeux. Les anciens arméno-grecs, incorporés
et fondus, au fur et à mesure, dans l'élément
grec, ne possèdent plus aucun aspect extérieur ou
religieux de leur nationalité originelle. On a pu craindre un
instant que la domination russe au Caucase n'arrivât à
grouper, par voie d'absorption, une communauté
arméno-russe; mais les essais, que le pravoslavisme a
tentés dans ce sens, n'ont eu aucun succès, à
l'exception d'un village du Caucase, et de quelques familles dans les
capitales qui se sont laissés gagner . Le prosélytisme
catholico-romain a été plus heureux. Il a réussi
à former une communauté indépendante, qui a
été reconnue par le gouvernement. Ce succès est
dû à l'ascendant politique des puissances catholiques et
aux subsides de
la Propagande. Il
a été singulièrement favorisé aussi par la
tactique de la curie romaine, qui, à quelques modifications
près, a autorisé les éléments convertis
à faire usage du rite arménien. Les premiers
missionnaires cependant avaient formé le projet de lui
substituer les rituels latins traduits en arménien; mais ils
durent y renoncer à cause de la vive opposition qu'il souleva.
La curie de Rome recourut alors à un autre expédient.
Elle publia une édition spéciale des rituels
arméniens, où le texte, en apparence respecté,
était de beaucoup altéré. Cet expédient
n'ayant guère eu plus de succès, elle s'est
résignée à introduire des interventions
arbitraires et forcées au texte primitif. Cela lui a mieux
réussi. Les débris des premières conversions, qui
remontent au XVIe siècle, vivaient dispersés en Cilicie
et en Arménie, lorsqu'au début du XVIIIe siècle
fut inaugurée à Constantinople, la vigoureuse campagne de
prosélytisme, qui partagea la nation en deux camps. Les
congrégations des Mekhitaristes et des Antonins, et un
siège hiérarchique, fondés à cette
époque, aidèrent puissamment au mouvement. Il grandit si
bien que les arméno-catholiques ont fini, grâce à
l'approbation du sultan par se constituer en Turquie en
nationalité (millet), et en hiérarchie spéciale.
En Russie, les arméno-catholiques forment une communauté
à part, mais ils sont soumis à
l'évêché latin de Saratov. On en compte
également un certain nombre en Galicie et en Hongrie; toutefois
ils n'ont aucune relation avec leurs coreligionaires d'Orient. Le
nombre total des arméno-catholiques répandus. dans le
monde peut être évalué à deux cent mille.
Environ. Les villes de Turquie, où ils comptent Je plus
d'adhérents, sont: Constantinople, Angora, Alep, Mardin et
Khotortchour; Akhalzikhé, au Caucase et Lemberg, en Galicie. La
communauté arméno-protestante est de date récente.
La prétention, qu'émettent quelques-uns des ses membres,
de descendre des Thondrakiens ou Pauliciens d'Arménie, est
purement chimérique. Il est avéré que ces vieilles
sectes n'ont point laissé de descendants en Orient. Nous
n'apprendrons rien à personne en disant, que le protestantisme
oriental n'est qu'une importation de missionnaires américains.
Ces derniers, encouragés par les succès des
arménocatholiques, ont essayé de former une
nationalité (millet) spéciale en Turquie, avec les droits
y afférents. Leur nombre, qui atteint approximati vement
quatre-vingt mille individus, forme un certain nombre de petites
agglomérations dispersées dans l'empire. Ils sont
groupés principalement autour de leurs institutions de Kharpout,
d' Aïntab et de Merzifoun, fond ées et entretenues par lies
oeuvres américaines. Leur l'rofession de foi s'inspire des
principes de l'église évangélique ; seuls quelques
rares individus appartiennent aux professions épiscopale et
baptiste. Les arméno-protestants sont aliministrés par
des missionnaires américains et vivent en partie lies ressources
que ces derniers leur procurent. Nous devons signaler également
l'existence, dans le Caucase, d'un groupe de quelques milliers de
protestants arméniens, mais comme ils n'ont pas d'existence
propre, ils se confondent avec la communauté
étrangère. Ajoutons enfin que catholiques et protestants
sont administrés en Turquie par des règlements
intérieurs, que le gouvernement ottoman n'a point
confirmés.
XLIV. LE CARACTÈRE NATIONAL
Tous
les voyageurs, qui ont étudié de près le vieil
Orient, ont porté le jugement le plus favorable sur le
caractère de l'Arménien. Tous sont d'accord pour lui
reconnaître des qualités d'intelligence et de souplesse.
Mais le trait qui le caractérise d'une manière
particulière, c'est son esprit éveillé et
entreprenant, qui lui a permis de traverser, à peu près
indemne, les situations les plus difficiles et les plus dissolvantes.
On peut résumer son histoire, en disant qu'elle apparaît
aussi obscure dans son commencement, qu'éphémère
dans sa prospérité, et, pour le reste, qu'elle n'a jamais
cessé d'être traversée de dramatiques
péripéties. Les incursions, les ravages, les vexations et
les massacres font de cette histoire un long martyrologe. Et pourtant
l'Arménien ne s'est laissé jamais abattre par le
désespoir, ni par ce qu'on appelle l'indolence orientale; il a
toujours su mettre à profit les circonstances qui s'offraient
à son activité, pour utiliser ses aptitudes naturelles ou
acquises. En dépit des obstacles et des entraves, il a su jouer
un rôle actif auprès de ses dominateurs, et
s'élever aux plus hautes situations dans les pays où il a
émigré. Il a cultivé avec un égal
succès toutes les branches de l'activité humaine. Il a
excellé dans le commerce, dans l'industrie, dans les arts et
dans les sciences. Dès la plus haute antiquité, le
commerce de l'Asie était entre ses mains; les produits de
l'industrie arménienne figuraient sur les marchés de Tyr
et de Babylone. Au Moyen Age, les villes libres arméniennes de
Pologne et de Hongrie étaient des centres d'activité et
de progrès. On ignore généralement que la
compagnie anglaise des Indes n'a fait qu'hériter d'une situation
créée par une compagnie arménienne, qui jouissait
de pouvoirs civils et militaires. D'autre part, c'est un fait notoire
que les populations arméniennes qui, à différentes
époques de l'histoire, ont été arrachées de
leur territoire pour être transportées en Turquie ou en
Russie, ont puissamment contribué à la
prospérité de ces Etats. Les plus belles ceuvres
d'architecture, les institutions les plus utiles de l'empire ottoman
sont l'ceuvre d'Arméniens. On leur doit les finances, la monnaie
la fabrication des poudres, ainsi que les services administratifs de
l'armée; ce qu'on appelle d'une manière vague l'art
oriental, si charmant dans sa fantaisie, est en grande partie le fruit
de leur imagination et de leur génie. Plus d'un Arménien
a brillé dans les emplois civils et dans les charges militaires.
Les plus grandes victoires des armées russes ont
été remportées par des généraux
arméniens. C'est à un .diplomate arménien qu'est
due incontestablement la régénération de
l'Égypte nouvelle. Le réveil de la liberté en
Orient a eu pour précurseur cette nation, qui n'a atteint son
but qu'au prix des plus grands sacrifices; on peut même dire
qu'elle en paie encore la rançon. L'énumération
des services qu'elle a rendus au monde oriental serait trop longue, si
l'on voulait passer en revue tout ce qu'elle a fait; on y verrait avec
quel zèle et quel inlassable dévouement elle s'est
attachée à servir un idéal qui n'était pas
le sien, et cela par esprit de fidélité et pour
satisfaire à un besoin d'activité et de progrès.
Malheureusement, les choses changent d'aspect, quand on
considère cette nation dans son ensemble, et qu'on examine de
près ce qu'elle a fait, ou ce qu'elle a été jadis
comme peuple. Une navrante impression de découragement se
dégage de cet examen. Certes, la cause première de ces
malheurs réside dans la situation topographique de son antique
domaine. L'Arménie, privée de débouchés
maritimes et fluviaux, exposée de tous côtés aux
incursions de ses voisins, contre lesquels elle n'a pu jamais opposer
que des forces insuffisantes, s'est trouvée à la merci de
toutes les vexations. Mais cette circonstance peut-elle excuser les
défaillances collectives ? Vainement chercherait-on dans son
histoire une trace des brillantes qualités dont les
Arméniens font preuve comme individus. Ces qualités ont
toujours été neutralisées par les pressions du
moment, faites de jalousie et d'ambitions effrénées. Les
exemples, à jamais regrettables, de ces défauts, qui ont
engendré d'inexcusables dissensions et conduit à la ruine
définitive, n'y sont que trop fréquents. Qu'on se
rappelle la fin des Arsacides, la journée d'Avaraïr, et la
dramatique chute d'Ani. Les vivacités d'esprit et l'audace dans
les desseins, souvent utiles dans les circonstances exceptionnelles,
sont généralement nuisibles, quand elles ne sont pas
dominées par la prudence; elles font avorter les plus sages
entreprises. Là est la cause de la plupart des insuccès,
dont cette nation a fait souvent la cruelle expérience. Des deux
causes, l'une physique et l'autre morale, qui ont concouru à sa
ruine, il serait bien difficile de dire quelle fut la plus active.
Assurément, l'influence des causes physiques est
indéniable; mais pour y remédier les Arméniens
ont-ils fait ce qu'ils devaient? En présence des grands dangers,
qui les pressaient de toute part, n'auraient-ils pas dû se
fortifier de prudence et de modération, faire appel à
l'union et à la concorde ? C'est par la coopération et la
cohésion de toutes les forces disponibles, qu'ils auraient pu
prévenir les calamités les plus redoutables qui aient
jamais pesé sur les destinées d'une race.
XLV. L'INFLUENCE DE L'ÉGLISE
Pour
rester fidèle à notre sujet, nous allons jeter un rapide
coup d'oeil sur l'influence exercée par l'église dans la
vie du peuple arménien. II est de mode en ce moment d'attaquer
per las et nelas les abus des ministres du culte, pour en tirer des
conclusions contre l'église elle-même. Ces
détracteurs semblent ignorer que le progrès social dont
ils sont fiers est le fruit du génie chrétien et que les
principes de liberté ont été, pour la
première fois, proclamés par la religion du Christ; que
toutes les améliorations réalisées dans le monde y
ont puisé leur principe et leur force. Ce qui est vrai pour
l'église chrétienne en général s'est
vérifié d'une manière éclatante pour
l'église arménienne en particulier. On a imaginé
d'imputer la décadence de l'Arménie à sa
conversion au christianisme. On a invoqué une coïncidence
de date pour prouver cette assertion, sans s'apercevoir qu'un
siècle et demi sépare les deux événements.
Un simple examen des faits indique que les symptômes de sa
décadence politique sont antérieurs au IVe siècle.
Ils ont eu pour point de départ la rivalité des Romains
et des Parthes, cela ne saurait faire aucun doute. De sorte qu'on peut
affirmer que l'avènement du christianisme, loin de
précipiter sa chute, eut au contraire le mérite de la
retarder d'un siècle et demi. Il n'y a là d'ailleurs rien
que de très naturel car, pour supposer le contraire, il faudrait
admettre que la barbarie est plus utile à la vie des peuples que
tout autre système. D'aucuns ont estimé que les guerres
de religion du Ve siècle auraient constitué une faute, et
que la soumission à la religion de Zoroastre eût
été plus profitable aux destinées de la nation.
Ils semblent ignorer que la tactique des Perses, en imposant leur
religion, n'avait d'autre but que d'absorber les races dont ils
faisaient la conquête. En se soumettant, les Arméniens
n'auraient pas manqué de subir le sort de celles qui
embrassèrent cette religion. Rien plus n'existe d'elles, pas
même le nom. D'autres ont essayé de prouver que la nation
aurait été favorisée d'un meilleur sort si elle
s'était convertie en masse à l'islamisme. On ne voit pas
bien clairement quel avantage cette conversion lui aurait
procuré. Depuis la conquête, le nombre des convertis a
été considérable; les uns ont passé
à cette religion par intérêt, les autres par
contrainte. Que sont-ils devenus ? Tous se sont fondus dans la masse
des populations turque et kurde. Le fait évident qui domine
toutes les arguties, c'est que le nom d'Arménien n'est
porté que par ceux qui sont restés fidèles
à la foi du Christ. On a voulu également incriminer les
Arméniens de leur attachement à l'église
nationale, pensant que leur situation se fût
améliorée s'ils avaient adopté le catholicisme
romain; ils se seraient ainsi aménagé l'appui des
puissances catholiques. Pour montrer combien grande est cette erreur,
on n'aurait qu'à invoquer les événements qui
marquèrent les derniers jours du royaume de Cilicie. Ils
démontreraient que sa chute doit être
précisément attribuée au rapprochement qui
s'était opéré avec les Latins. Il n'est pas
difficile de s'apercevoir également que les Arméniens,
qui ont passé sans restriction au catholicisme romain, ont fini
par oublier leur origine ; que les arménocatholiques de Turquie,
eux-mêmes, qui jouissent du bénéfice d'une
communauté autonome, ne cessent de vivre en lutte ouverte avec
la papauté, qui vise à altérer le caractère
de leur nationalité. Tous ces faits témoignent, d'une
manière absolue, que l'église nationale a
été le seul lien qui a uni en un faisceau indestructible
les débris dispersés de la race de Haïk. Elle lui a
donné, indiscutablement, non seulement des
éléments de vitalité intérieure, mais les
moyens de les extérioriser et de les entretenir par la pratique
et l'exercice. Elle a fait d'eux un corps distinct, toujours identique
à lui-même à travers l'espace et le temps.
Dépourvue, depuis pIusieurs siècles, de vie politique, la
nation s'est attachée à elle, comme à une ancre de
salut, et c'est ainsi qu'elle a pu triompher des difficultés qui
l'ont assaillie, bien qu'elle sorte de cette lutte affaiblie et
diminuée, Cette force, qui a exercé dans le passé
une action si efficace sur ses destinées, ne cesse d'agir. Elle
agira aussi longtemps que les circonstances lui en feront une loi.
L'expérience prouve qu'à défaut de lien politique,
l'église nationale est seule capable de suppléer à
tout. Elle est l'âme visible de la patrie absente, la
dispensatrice des suprêmes satisfactions. En ces dernières
années il n'a été bruit en certains milieux que de
prétendues manoeuvres arméniennes qui tendraient à
revendiquer une autonomie politique. Les deux empires voisins,
où les Arméniens se trouvent disséminés, en
ont pris prétexte pour user d'une impitoyable rigueur à
leur égard. En bonne justice, peut-on blàmer cette nation
de nourrir des aspirations de ce genre ? Tout désir
d'amélioration n'est-il pas naturel et imprescriptible ? Mais,
si le sentiment est spontané, la raison est là pour le
guider. Les Arméniens ont un sentiment trop net des
réalités pour s'égarer dans de dangereuses
utopies. Peuvent-ils ignorer que le sol de leur patrie se trouve
partagé entre trois puissances, et qu'ils sont eux-mêmes
dispersés dans tous les coins du monde? Que leur centre
intellectuel, financier, en un mot, leurs moyens d'action se trouvent
partout, excepté aux lieux où ils pourraient s'employer
utilement? Etant donné ces difficultés, peuvent-ils se
faire illusion sur la possibilité de réaliser des vues
politiques, de quelque nature qu'elles soient? On ne saurait le
supposer sans faire injure au bon sens de la race. L'Arménien
peut supporter, à la rigueur, qu'on l'accuse de tendances
libérales, voire patriotiques, encore que ces accusations soient
sans fondement, mais il ne tolère point qu'on le taxe
d'ignorance ou d'imbécilité. A vrai dire, tout bon
Arménien n'est dominé que par l'unique désir de
vivre en paix avec ses voisins. Ce qu'il demande, c'est qu'on n'attente
point à sa vie, à son honneur, à ses biens,
à son travail; comme le reste des hommes, il entend jouir en
paix du fruit de son activité et des avantages naturels qu'on
reconnaît aux peuples au milieu desquels il vit. A ce
désir légitime, il joint celui de garder son
identité de race, sa langue et sa littérature. C'est pour
s'assurer la possession de ces biens, pieux héritage de ses
ancêtres, qu'il s'est réfugié au sein de
l'église nationale, qu'il veut intangible avec ses institutions,
ses attributions et l'intégrité des privilèges
acquis. Il a la conviction que l'église, qui l'a
protégé dans le passé, le protègera dans
l'avenir.
APPENDICE I - CHRONOLOGIE DES PATRIARCHES SUPREMES
(N. B. Les dates sont
d'après le vieux style).
I. S. THADÉE, évangélise
l'Arménie en y pénétrant par le nord. Il est martyrisé à Ardaze vers l'an 50.
Son tombeau est vénéré à Magou. L'histoire de Thadée Dydimus, venant d'Edesse,
soulève des difficultés critiques.
II.
S. BARTHÉLEMY, apôtre, évangélise
après Thadée; martyrisé, à Albacus, vers
68. Son tombeau est vénéré à
BaschkaIé .
l I I. S. ZAKARIA, discipIe
de S. Thadée, devient le chef de l'église après ces deux apôtres; martyrisé
vers 76.
IV. S. ZÉMENTOS, disciples
des mêmes apôtres, gouverne pendant 4 ans; décédé vers 81.
V. S. ATIRNERSEH, gouverne
pendant 15 ans, martyrisé vers 97 .
VI. S. MOUSCHÉ, passe du
siège de Sunik à celui d'Ardaze ; il gouverne pendant 30 ans; décédé vers 128.
VII. S. SCHAHEN, gouverne
pendant 25 ans; décédé vers 154.
VIII. S. SCHAVARSCHE,
gouverne pendant 20 ans; décédé vers 175.
IX. S. GHEVONDJOS, gouverne
pendant 17 ans; martyrisé vers 193. Les noms de ses successeurs ne nous sont
pas parvenus, mais la succession est prouvée par la tradition du siège de
Sunik.
X. S. MEHROUJAN, aurait
occupé le siège d'Ardaze entre 230 et 260.
1. S. GRIGOR I.
Loussavoritch, évangélise en 301, consacré en 302; fondation d'Etchmiadzine en
303, décédé en 325, à l'âge de 86 ans environ.
2. S. ARISTAKES I. Parthev,
coadjuteur de son père depuis 306; est présent au concile de Nicée en 325; au
retour succède à son père; martyrisé en 333.
3.
S. VERTANÉS I. Parthev, fils aîné de S. Grigor,
succède à son frère en 333;
décédé en 341, à l'âge de 80 ans. S.
Grigoris, fils de Vertanés, exarque de l'Albanie Caspienne, est
martyrisé en 337.
4.
S. HOUSSIK I. Parthev, fils de Vertanès, succède à
son père en 341; martyrisé en 347. S. Daniel,
préconisé à la succession, est martyrisé en
347, avant d'occuper le siège.
5. PAREN I. d'Aschtischat,
parent de S. Grigor, succède à la suite du refus des fils de S. Houssik, en
348, gouverne 4 ans, décédé en 352. Après lui, Schahak de Manazkert, administre
comme gérant pendant un an.
6.
S. NERSÉS I. le Grand, petit fils de Houssik, est élu en
353, à l'âge de 27 ans. Pendant 4 ans, de 359 à
363, il se retire des affaires, qui sont gérées par
Schahali de Manazkert, alias Tchonak ; Nersés gouverne pendant
20 ans; décédé le 25 juillet 373. 7. SCHAHAK I. de
Manazkert, de la famille d'Albianus, l'administrateur
susmentionné, occupe le siège en 373; il est nommé
aussi Houssik ; décédé en 377.
8. ZAVEN l de Manazkert,
parent du précédent, élu en 377, gouverne pendant 4 ans; décédé en 381.
9.
ASPOURAKÉS I. de Manazkert, succède à son
frère en 381, gouverne pendant 5 ans;
décédé en 386. Vacance du siège pendant un
an.
10. S. SAHAK I. le Grand,
élu à l'âge de 39 ans en 387. Invente avec S. Mesrop l'alphabet arménien en
414. Exilé en 428. Sourmak de Manazkert, nommé antipatriarche en 428, expulsé
un an après. Birkischo le syrien, appelé à le remplacer, expulsé en 432.
Schimouel le syrien, nommé antipatriarche, décédé en 437. S. Sahak, rappelé
d'exil, s'installe à Blour en 432, gouvernant au spirituel. Sourmak réélu
antipatriarche en 437. S. Sahak décède le 7 septembre
439. L
'administration
spirituelle est gérée par S. Mesrop, décédé le 17 février 440 .
11. S. HOVSEP I. de
Hoghotzim, succède à l'administration spirituelle en 440. Est reconnu par le
gouvernement à la mort de Sourmak en 444. Préside le concile de Schahapivan en
445, et celui d'Artaschat en 450. Exilé en 451; démissionne en 452; martyrisé
le 25 juillet 454.
12. MÉLITÉ I. de Manazkert;
élu en 452, décédé en 456.
13. MOVSÈS I. de Manazkert,
éJu en 456, décédé en461.
14.
S. GÜT I. d'Arahèze, élu en 461, exilé en
471, retiré à Othmous en472, décédé
en 478. Le nom de Kristapor I. Ardzrouni, mentionné dans les
listes ordinaires, n'est établi sur aucune preuve valide.
15.
S. HOVHANNÉS I. Mandakouni, élu en478, transfère
le siège à Douine en 484; décédé en
490.
16. BABKEN I. d'Othmous,
élu en 490, préside les conciles de Douine en 506 et 513; décédé en 515. Le
bref pontificat que les listes ordinaires lui attribuent n'est pas conforme à
la chronologie.
17. SAMUEL l. d'Ardzké, élu
en 516, décédé en 526.
18. MOUSCHÉ l. d'Aïlaberk,
éll1 en 526, décédé en 534.
19. SAHAK II. d'Ouhki, élu
en 534, décédé en 539.
20. KRISTAPOR l. de
Tiraritch, élu en 539, décédé en 545.
21. GHÉVOND l. d'Erast, élu
en 545, décédé en 548.
22.
NERSÈS II. de Bagrévand, élu en 548,
préside le concile de Douine en 555; décédé
en 557.
23. HOVHANNÈS II.
Gabéghian, élu en 557, décédé en 574.
24.
MOVSÉS II. d'Eghivard, élu en 574; Hovhannès de
Bagaran est élu antipatriarche dans l'Arménie grecque en
590. Movsés décédé en 604. Le siège,
resté vacant pendant 3 ans, est géré par Vertanes
Kertogh. 25. ABRAHAM I. d'Aghbathank, élu le 30 avril 607,
préside le concile de Douine contre les Géorgiens en 608;
l'antipatriarche Hovhanès meurt en 611 ; Abraham
décède en 615.
26. COMITAS I. d'Aghtzik,
élu en 615, restaure la basilique de S. Rhipsimée en 617; décédé en 628.
27. KRISTAPOR II. Apahouni,
élu en 628, démissionne en 630.
28. YEZR I. de Parajenakert
élu en 630, préside le concile de Karine en 631; décédé en 641.
29. NERSÈS III. d'Ischkhan,
surnmmé Schenogh, élu en 641, se retire des affaires en 652, y retourne en 658;
décède en 661.
30. ANASTASE I. d'Akori élu
en 661, décédé en 667. .
31. ISRAEL I. d'Othmous,
élu en 667, décédé en 677.
32. SAHAK III. de Tzorapor,
élu en 677, décédé en 703.
33. EGHIA I. d'Ardjesche,
élu en 703, décédé en 717.
34. S. HOVHANNÉS III,
d'Otzoun, surnommé Imastasser, élu en 717 , préside les conciles de douine en
719 et de Manazkert en 726; décédé en 728.
35. DAVID I. d'Aramonk, élu
en 728, décédé en 741.
36. TIRDAT I. d'Othmous,
élu en 741, décédé en 764.
37. TIRDAT II. de
Dasnavork, élu en 764, décédé en 767.
38. SION I de Bavonk, élu
en 767, préside le concile de Partav en 768, décédé en 775.
39. YESSAÏ I.
d'Eghipatrousche, élu en 775, décédé en 788.
40. STÉPANOS I. de Douine,
élu en 788, décédé en 790.
41. HOVAB I. de Douine, élu
en 790, décédé en 791.
42. SOGHOMON I. de Garni,
élu en 791, décédé en 792.
43. GUÉORG I. d'Oschakan,
surnommé Haïlorbouk, élu en 792, décédé en 795.
44. HOVSEP II. de Parpi,
surnommé Karidj, élu en 795, décédé en 806.
45. DAVID II. de Gagagh,
élu en 806, décédé en833 .
46. HOVHANNÈS IV. d'Ova,
élu en 833, décédé en 855.
47. ZAKARIA I. de Tzak, élu
en 855, décédé en 877.
48. GUÉORG II. de Garl1i,
élu en 878, décédé en 898.
49.
S. MASCHTOTZ I. d'Eghivard, élu en 898, décédé le 13 Octobre 899.
50. HOVHANNÉS V. de
Draskhonakert, surnommé Patmaban, élu en 899, transfère le siège à TzoroVank en
928 ; décédé en 93 I.
51.
STÉPANOS II. Rischtouni, élu en 931, transfère le
siège à Aghthamar le même an,
décédé en 932.
52. THÉODOROS I.
Rischtouni, élu en 932, décédé en 938.
53 YEGHISCHÉ I. Rischtouni,
élu en 938, décédé en 943.
54. ANANIA I. de Moks, élu
en 943, transfère le siège à Arkina ; décédé en 967.
55. VAHAN I. Suni, élu en
967, déposé en 969.
56. STÉPANOS III. de Sévan,
élu en 969, décédé en 971.
57. KHATCHIK I.
Arscharouni, élu en 972, construit la résidence d'Ani en 99I; décédé en 992.
58. SARKIS I. de Sévan, élu
le 29 mars 992, transfère le siège à Ani le même an ; démissionnaire en 1019.
59.
PETROS I. Guéladartz, élu en 1019; Dioskoros de Sanahine
est nommé antipatriarche en 1036; Petros retourne à son
siège en 1038 ; Khatchik II, est nommé coadjuteur en 1049
; le siège est transféré à Sébaste
en 1050 ; Petros décédé en 1054.
60
KHATCHIK II. d'Ani, succède en 1054, transfère le
siège à Tavblour en 1057; décédé et
vacant pendant 5 ans.
61.
GRIGOR II, Vikaïasser, élu en 1065; transfère le
siège à Dzamindav la même année;
Guéorg III, de Lori est nommé coadjuteur en 1069,
révoqué en 1072; Sarkis de Honi est proclamé
antipatriarche en 1076, décédé en 1077;
Théodoros Alakhossik le remplace en 1077,
décédé en 1090 ; Barsegh I, est nommé
coadjuteur en 108 I; Poghos de Varak est proclamé antipatriarche
en 1086, il se retire en 1087; Grigor décédé le 3
juin 1105.
62. BARSEGH I. d'Ani,
succède en 1105, décédé en 1113.
63. GRIGOR III. Pahlavouni,
élu en 1113, à l'âge de 20 ans; David Thornikian est proclamé antipatriarche à
Aghthamar en 1114; le siège est tranféré à Romkla en 1147 ; il démissionne le
17 août 1166, meurt trois mois après.
64. S. NERSÉS IV.
Schinorhali, 13 août 1173.
65. GRIGOR IV. Ti~ha, élu
en 1173, préside le concile de Romkla en 1179 ; décédé le 16 mai 1193. 66.
GRIGOR V.Karavège,élu en 1193,déposé et décédé en 1194.
67. GRIGOR VI. Apirat, élu
en 1194; Barsegh II. d'Ani proclamé antipatriarche en 1195 ; Grigor décède en
1203. 68. HOVHANES VI. Médzabaro, élu en 1203, Anania de Sébaste proclamé
antipatriarche en 1204; David III, d'Arkakaghine nommé coadjuteur en 1204;
Hovhannés décédé en 1221.
69. CONSTANTIN I. de
Bartzrberd, élu en 9 avril 1267 .
70. HACOB I. de Kla,
surnommé Guitnakan, élu en 1267, décédé en 1286.
71. CONSTANTlN II.
Pronagortz, élu le 13 avril 1286, déposé en 1289.
72. STÉPANOS IV, de Romkla,
élu en 1290, emmené prisonnier en Egypte en 1292, décédé en 1293.
73.
GRIGOR VII. d'Anavarza, élu en 1293, transfère le
siège à Sis la même année,
décédé en est convoqué après sa
mort.
74. CONSTANTIN III, de
Césarée, élu le 19 mars 1307, décédé en 1322.
75. CONSTANTIN IV, de
Lambron, élu en 1322, décédé en 1326.
76. HACOB II, de Tarse, élu
en 1327, démissionnaire en 1341, retourne au siège en 1355, décédé en 1359.
77. MEKHITAR I, de Glïler,
élu en 1341, décédé en 1355.
78. MESROP I. d'Ardaze, élu
en 1359, décédé en 1372.
79. CONSTANTIN V, de Sis,
élu en 1372, décédé en 1374.
80. POGHOS I, de Sis, élu
en 1374, décédé en 1371.
81. THÉODOROS II, de
Cilicie:, élu en 1377, décédé en 1392; le siège reste vacant un an.
82. KARAPET I, de Keghy,
surnommé Bobik, élu en 1393, décédé en 1408.
83. HACOB III, de Sis, élu
en 1408, décédé en 1411.
84. GRIGOR VIII,
Khantzoghat, s'empare du siège en 1411, déposé en 1416.
85. POGHOS II, de Garni,
élu en 1416, décédé en 1429.
86. CONSTANTlN VI, de
Vahka, s'empare du siège en 1429, décédé en 1439; Hovsep, un prétendant, ne
réussit pas à s'emparer du siège.
87. GRIGOR IX.
Moussabéguian, élu en 1439, se retire en 1441.
88. KIRAKOS I. de Virar,
élu en 1441, à l'occasion du transfert du siège à Etchmiadzine ; démissionne en
1443. 89. GRIGOR X. Djélalbeguian, élu en 1443; Karapet de Tokat est proclamé
antipatriarche à Sis en 1446; Aristakés II est nommé coadjuteur en 1448;
Zakaria d'Aghthamar s'empare du siège en 1461, se retire en 1462;Sarkis II est
nommé coadjuteur en 1462: Grigor décédé en 1466. 90. ARISTAKÉS II. Athorakal,
succède en 1466, décédé en 1470.
91.
SARKIS II. Atchatar, succède en 1470, Hovhannés VII est
nommé coadjuteur en 1470; Sarkis décédé en
1474. 92. HOVHANNÉS VII. Atchakir, succède en 1474;
Sarkis III, est nommé coadjuteur en 1474; Hovhannès
démissionne en 1484.
93. SARKIS III. Mussah,
succède en 1484; Aristakes III est nommé coadjuteur en 1484, Thadéos I en 1499,
Yéghisché II en 1504, Hovhannés en 1505, Nersés en 1506, et Zakaria II en 1507;
Sarkis décédé en 1515.
94. ZAKARIA II. de
Vagharschapat, succède en 15 15 ; Sarkis IV, est nommé coadjuteur en 1515;
Zakaria décédé en 1520.
95. SARKIS IV. de Géorgie,
succède en 1520, décédé en 1537.
96. GRIGOR XI. de Byzance,
élu en 1537, décédé en 1542.
97. STÉPANOS V. de Salmasd,
élu en 1542 ; sont nommés coadjuteurs, Mikaèl I, en 1542, Barsegh III en 1549,
Grigor XI I en 1552, et Aristakes IV en 1555 ; Stépanos décédé en 1564.
98.
MIKAEL I de Sébaste, succède en 1564 ; Stépanos
VI, est nommé coadjuteur en 1567 ; Mikaël
décédé en 1570.
99. GRIGOR XII. de
Vagharschapat, succède en 1570; sont nommés coadjuteurs Thadéos II en 1571,
Arakel en 1575, et David IV, en 1579 ; Grigor décédé en 1587.
100. DAVID IV. de
Vagharschapat, succède en 1587; sont nommés coadjuteurs Melchissédech I de
Garni en 1593, Grigor XIII. Sérapion en 1603, et Sahak IV. de Garni en 1624 ;
David démissionne en 1629 .
101. MOVSÉS III. de Tathev,
élu le 13 janvier 1629, décédé le 14 mai 1632.
102. PILIPPOS I. d'Albac,
élu le 13 janvier 1033, décédé le 25 mars 1655.
103. HACOB IV. de Djoulfa,
élu le 8 avril 1655; Eghiatar I, proclamé antipatriarche en 1663; Hacob décédé
à Constantinople le 1er août 1680; le siège reste vacant pendant deux ans.
104. EGHIAZAR I. d'Aïntab,
élu en 1682; décédé le 8 août 1691.
105.
NAHAPET I. d'Edesse, élu le 10 août 1691,
décédé le 13 juin 1705; le siège reste
vacant pendant un an.
106. ALEXANDRE I. de
Djoulfa, élu en 1706, décédé le 22 novembre 1714.
107. ASTOUADZATOUR I. de
Hamadan, élu le 7 mai décédé le 10 octobre 1725. 108. KARAPET II. de Zeytoun ,
élu et consacré à Constantinople le 27 février 1726; rentre à Etchmiadzine en
1728 ; décédé le 9 octobre 1729 .
109. ABRAHAM II. de
Khoschab, élu en 1730, I I novembre 1734.
110. ABRAHAM III. de Crète,
élu le 25 novembre 1734, décédé le 18 avril 1737.
111. GHAZAR I. de Tchahouk,
élu en 1737, consacré en 1738, Hovhannès d'Akoulis est proclamé antipatriarche
en 1740 ; Ghazar est remplacé intérimairement par Petros II. Kutour, en 1748,
pendant un an; Ghazar décédé en 1751.
112. MINAS I. d'Eghine, élu
le 15 septembre 1751, décédé le 12 mai 1753.
113.
ALEXANDRE II, Karakaschian, élu en 1753, consacré le 6
mars 1754, décédé en 1755; Sahak V. de Keghy,
surnommé Ahakine, élu en 1755, ne fut pas consacré
: décédé en 1760 .
114. HACOB V. de
.Schamakhi, élu le 24 novembre 1759, décédé en juillet 1763.
115. SIMÉON I. d'Erivan,
élu en 1763, décédé le 26 juillet 1780.
116.
GHOUKAS I. de Karine, élu le 2 aout 1780,
décédé le 27 décembre 1799. Hovsep
Arghoutian, élu en 1800, décédé en 1801
sans recevoir la consécration.
117. DAVID V. Ghorganian,
s'empare du siège le 28 avril 1801, déposé en septembre 1804.
118. DANIEL I. de Sourmari,
élu en 1801, ne put occuper le siège que le 21 septembre 1804; décédé le 21
août 1808.
119. YEPREM I. de
Tzoragueh, élu le 26 décembre 1809, démissionne le 6 mars 1831.
120. HOVHANNÈS VIII. de
Karbi, élu le 31 mars 1831, consacré le 8 novembre, décédé le 26 mars 1842 .
121. NERSES V. d'Aschtarak,
élu le 18 mai 1843, consacré le 9 juin 1846, décédé le 13 février 1857.
122.
MATTHÉOS I. Tchouhadjian, élu le 18 mai 1858,
consacré Ie 15 août, décédé le 22
août 1865.
123.
GUÉORG IV. Kérestédjïan, élu le 17
septembre 1866, consacré le 21 mai 1867 ,
décédé le 6 décembre 1882 . Le siège
reste vacant pendant trois ans, à cause du refus suivi de la
mort de Nersés Varjapetian, élu en 1884.
124. MACAR I.
Ter-Petrossian, élu le 21 avril 1885, consacré le 10 novembre , décédé le 16
avril 1891.
125. MKRTITCH I. Khrimian,
élu le 5 mai 1892, consacré le 26 septembre 1893, décédé le 29 octobre 1907.
126. MATTHÉOS II,
Izmirlian, élu le 1 novembre 1908 consacré le 13 septembre 1909
APPENDICE II - STATISTIQUE DES DIOCESES ARMÉNIENS
Patriarcat de Constantinople.
I. CONSTANTINOPLE
(Stamboul), siège patriarcal, comprend le vilayet de la capitale, fidèles
150,000, communes 38, églises 43; catholiques 10,000, protestants 1,000.
2. NICOMÉDIE (Ismidt),
siège archiépiscopal, comprend le sandjak d'Ismidt et le caza de Palarkeuy,
fidèles 65,000, communes 34, églises 40; catholiques 500, protestants 600.
3. ARMASCHE, siège
abbatial, comprend le nahié d'Armasche, fidèles 5,000, communes 3, églises 3.
4. ANDRINOPLE (Edirné),
siège épiscopal, comprend les sandjaks d'Edirne, Kirkkilissé, Dédéaghatch et
Gumuldjina, fidèles 8,000, communes 4, églises 5.
5. RODOSTO (Tekfurdagh),
siège épiscopal, comprend les sandjaks de Tekfurdagh, Guélibolou, Tchataldja et
Kalaïsoultani, fidèles 25,000, communes 7, églises 8.
6. SALONIQUE (Sélanik),
siège d'archiprêtre, comprend les vilayets de Sélanik et Monastir, fidèles
2,000, communes 12, église 1.
7. BROUSSE ( Boursa), siège
archiépiscopal, comprend le sandjak de Boursa, fidèles 35,000, communes 7,
églises 8; catholiques 3,000, protestants 500.
8. BILliDJïK (Ertoghroul),
siège épiscopal, comprend le sandjak d'Ertoghroul, fidèles 17,000, communes 10,
églises 12, catholiques 1,000.
9. RANDER!dA, siège
épiscopal, comprend le sandjak de Karassy, fidèles 15,000, com munes 7, églises
8 ; catholiques 500.
10. CUTINA (Kutahié), siège
épiscopal, comprend les sandjaks de Kutahié et Afioun-Karahissar, fidèles
18,000, communes 9, églises 10, catholiques 1,000; protestants 200.
11. SMYRNE (Ismir), siège
archiépiscopal, comprend les vilayets d'Aïdine et Archipel, fidèles 25,000,
communes 20, églises 23; catholiques 2,000, protestants 200.
12. CASTAMOUNI, siège
épiscopal, comprend le vilayet de Castamouni, fidèles 14,000, communes 14,
églises 8.
13. ANGORA (Enkaré), siège
archiépiscopal, comprend les sandjaks d'Enkaré et de Kirschéhir, fidèles
16,000, communes 8, églises 20; catholiques 7,000, protestants 500.
14. CÉSARÉE (Kaïsserieh),
siège archiépiscopal, comprend le sandjak de Kaïssérieh, fidèles 40,000,
communes 31, églises 30; catholiques 2,000, protestants 2,000.
15. ICONIUM (Konia), siège
épiscopal, comprend le .vilayet de Konia, fidèles 25,000, communes 14, églises
16. 16. SÉBASTE (Sivas ), siège archiépiscopal, comprend le sandjak de Sivas,
excepté quelques cazas, filièles 80,000, communes 74, églises 56; catholiques
5,000, protestants 1000.
17. EUDOCIE (Tokat), siège
épiscopal, comprend le sandjak de Tokat, fidèles 21,000, communes 16, églises
19, catholiques 2,000, protestants 500.
18. AMASIA, siège
épiscopal, comprend le sandjak d'Amasia, fidèles 25,000, communes 19, églises
20; catholiques 500, protestants 3,000.
19. NICOPOLIS
(Schabin-Karahissar), siège épiscopal, comprend le sandjak de
Karahisarischarki, fidèles 25,000, communes 41, églises 35; protestants 200.
20. SAMSOUN (Djanik), siège
épiscopal, comprend le sandjak de Djanik, fidèles 20,000, communes 42, églises
39 ; catholiques 500, protestants 300.
21. TRÉBISONDE (Trabouzan),
siège épiscopal, comprend les sandjaks de Trabouzan, Gumuschané et Lazistan,
fidèles 30,000, communes 42, églises 35; catholiques 2,000, protestants 700.
22. KARINE (Erzeroum),
siège archiépiscopal, comprend les cazas d'Erzeroum, Khnouss, Isbir, Kiskim, et
Tortoum, fidèles 75,000, Communes 90, églises 89; catholiques 8,000,
protestants 2,000.
23. ERZINGA (Erzindjian),
siège épiscopal, comprend les cazas d'Erzindjian, Réfahié, et Kouzidjan,
fidèles 25,000, communes 37, églises 44; protestants 500.
24. BABERT (Baïbourt),
siège épiscopal, comprend le caza de Baïbourt, fidèles 17,000, communes 30,
églises 31.
25. BASSEN (Hassankalé),
siège épiscopal, comprend le caza de Passenler, fidèles 10,000, Communes 30,
églises 19 ; catholiques 500.
26. DERTCHAN (Terdjan),
siège épiscopal, comprend le caza de Terdjan, fidèles 15,000, communes 38,
églises 33.
27. GAMAKH (Kémakh), siège
abbatial, comprend les cazas de Kémakh et
Kouroutchaï, fidèles
10,000, communes 19, églises 21 ; protestants 200.
28. KHORTZIAN (Keghy),
siège épiscopal, comprend le caza de Keghy, fidèles 24,000, CommUnes 56,
églises 5 I, protestants 1,000.
29. BAGRÉVAND (Bayazid),
siège épiscopal, comprend le sandjak de Bayazid, fidèles 14,000, Communes 50,
églises 33; catholiques 1,000, protestants 200.
30. VAN, siège archiépiscopal,
comprend les cazas de Van, Mahmoudi, Ardjèsche et Aldjavaze;fidèles 100,000,
communes 108, églises 130; catholiques 500, protestants 200.
3 I. LIM-ET-KTOLTZ, siége
abbatial, comprend le nahié de Timar, fidèles 11,000, communes 25, églises 32.
32. ALBAC (Baschekalé),
siège abbatial, comprend le sandjak de Hekkiari, fidèles 10,000, communes20,
églises 23. 33. BAGHÈSCHI, (Bitlis), siège cpiscopal, comprend les cazas de
Bitlis, Akhlat et Modiki, fidèles 50,000, communes 80, églises 98; catholiques
500, protestants 1,000.
34. MOUSCHE siège
archiépiscopal, comprend les sandjaks de Mousche et Guindje, fidèles 90,000,
communes 332, églises 230, catholiques 3,000, protestants 1000.
35. SEGHERT (Séert), siège
épiscopal, comprend le sandjak de Séert, fidèles 25,000, communes 50, églises
33; catholiques 500 .
36, TIGRANOKERTA
(Diarbékir), siège archiépiscopal, comprend les sandjaks de Diarbékir et de
Mardin, fidèles 45,000, communes 42, églises 50; catholiques 1,000, protestants
1,000.
37. BALAHOVIT (Palou), siège
épiscoral, comprend le caza de Palou, fidèles 22,000, communes 41, églises 40,
protestants 300.
38. ARGHNI (Argana), siège
abbatial, comprend les cazas d'Argana et Maden, fidèles 6,000, communes 9,
églises 10, catholiques 500, protestants 200.
39. TCHINKOUSCHE, siège
abbatial, comprend le caza de Tchermik, fidèles 5,000, Communes 3, églises 4,
protestants 700.
40. KHARPERT (Kharpouth),
siège archiépiscopal, comprend les cazas de Mamouretulaziz, Kharpouth, Gaban et
Puturgué, fidèles 45,000, communes 72, églises 75 ; catholiques 2,000,
protestants 4,000.
41. AKN (Eguine), siège
épiscopal, comprend le caza d'Eguine, fidèles 10,000, communes 7, églises 10;
protestants 200.
42 ARABKER, siège
épiscopal, comprend le caza d'Arabkir, fidèles 18,000, Communes 16, églises 20,
catholiques 500, protestants 1,000.
43. TCHEMESCHEGADZAK
(Tchimisguézek), siège épiscopal, comprend le caza de Tchimisguèzek, fidèles
9,000, communes 31, églises 22.
44 TCHARSANDJAH, siège
épiscopal, comprend le sandjak de Dersim, excepté un caza, fidèles 18,000,
communes 69, églises 50, protestants 500.
45. EDESSE (Ourfa), siège
épiscopal, comprend les sandjaks d'Ourfa et Zor, fidèles 24,000, communes 16,
églises 10; catholiques 1,000, protestants 800.
46. BAGHDAD, siège
épiscopal, comprend les vilayets de Bagdad, Basra et Moussoul, fidèles 5,000,
communes 4, églises 3, catholiques 1,000.
47. CHYPRE, (Kibriz), siège
de prélat, comprend l'île de Chypre, fidèles 1,000, Communes 2, églises 3.
48. EGYPTE (Missr), siège
archiépiscopal, comprend le vice-royaume d'Egypte, fidèles 14,000, communes 10,
églises 5; catholiques 1,500.
49. BULGARIE, siège
archiépiscopal, comprend le royaume de Bulgarie, fidèles 20,000, communes 18,
églises 10.
50. ROUMANIE, siège
archiépiscopal, comprend le royaume de Roumanie, fidèles 10,000, communes 17,
églises 15.
51. GRÈCE, siège
d'archiprêtre, comprend le royaume de Grèce, fidèles 1,000, communes 4, église
1.
•Patriarcat de Jérusalem.
52. JÉRUSALEM (Kouds),
siège patriarcal, comprend les sandjaks de Kouds et du Liban, fidèles 3,000,
églises 10; catholiques 200.
53. JOPPÉ (Jaffa), siège de
prélat, comprend le caza de Jaffa, fidèles 1,000, Communes 2, églises 3.
54. DAMAS (Scham), siège de
prélat, comprend le vilayet de Syrie, fidèles 2,000, Communes 4, église 1.
55. BÉRYTE (Beyrouth),
siège de prélat, comprend le vilayet de Beyrouth, fidèles 1,000, Communes 4,
églises 4 ; catholiques 300.
Patriarcat de Cilicie.
56. SIS, siège
catholicosal, comprend le sandjak de Kozan, fidèles 9,000, Communes 10, églises
7, protestants 500.
57. ADANA, siège
archiépiscopal, comprend les sandjaks d'Adana, Mersine et Itchili, fidèles
35,000, Communes 16, églises 12; catholiques 2,000, protestants 900.
58. HADJIN, siège
épiscopal, comprend le caza de Hadjin, fidèles 20,000, Communes 5,églises 8;
catholiques 1,000, protestants 200.
59. PAYASS, siège
épiscopal, comprend le sandjak de Béréketdagh, fidèles 11,000, communes 25,
églises II.
60. BERIA (Alep), siège
épiscopal, comprend les cazas d'Alep, Iskendéroun et Beylan, fidèles 15,000,
conimunes 17, églises 8, catholiques 5,000, protestants 2,000.
61. GERMANICIE (Marasche),
siège archiépiscopal, comprend les cazas de Marasche, Albistan et Pazardjik,
fidèles 30,000, communes 35, églises 24- ; catholiques 4,000, protestants
3,500.
62. ULNIA (Zeytoun), siège
épiscopal, comprend les cazas de Zeytoun et Endéroun, fidèles 20,000, Communes
18, églises 14; catholiques 500, protestants 500.
63. FIRNOUZE, siège
abbatial, comprend le nahié de Firnouze, fidèles 7,000, Communes 6, églises 10.
64. AÏNTAB, siège
épiscopal, comprend les cazas d'Aïntab et Kilis, fidèles 30,000, communes 4,
églises 6; catholigues 1,000, protestants 4,000.
65. ANTIOCHE (Antakia),
siège épiscopal, comprend les cazas d'Antakia, Schoughour et Sahioun, fidèles
12,000, communes 16, églises 9; catholiques 2,000, protestants 1,500.
66. MÉLITÈNE (Malatia),
siège épiscopal, comprend le sandjak de Malatia, fidèles 20,000, communes 42,
églises 23 ; catholiques 2,000, protestants 1,000.
67. YOZGAT, siège
épiscopal, comprend le sandjak de Yozgat, fidèles 40,000, communes 46, églises
43 ; protestants 1,000.
68. GURUN (Kurine), siège
épiscopal, comprend les cazas de Kurine et Ghanghal, fidèles 17,000, communes
11, églises 16; catholiques 500, protestants 1,000.
69. TIPHRICE (Divrik),
siège épiscopal, comprend le caza de Divriki, fidèles 11,000, communes 14;
églises 19, protestants 300.
70. TARANTIA (Darendé),
siège abbatial, comprend le caza de Darendé, fidèles 7,000, communes 2, églises
4.
77. TATHEV, sitge abbatial,
comprend le district de Tathev, fidèles 15,000, communes 81, églises 100.
78. TIFLIS, siège
archiépiscopal, comprend les gouvernements de Tiflis et de Kouban, fidèles
150,000, communes 133, églises 117 ; catholiques 4,000, protestants 1,000.
79. GORI, siège épiscopal,
comprend les gouvernements de Koutaïs et de Batoum, fidèles 40,000, communes
31, églises 33; Catholiques 1000.
80. AKHALTZIKHÉ, siège
épiscopal, comprend les districts d'Akhaltzikhé et d'Akhalkélek, fidèles
90,000, communes 71, églises 67 ; catholiques 10,000.
81. GANTZAK (Elisavetpol),
siège épiscopal, comprend le gouvernement d'Elisavetpol, fidèles 100,000,
communes 72, églises 93.
82. SCHOUSCHI (Karabagh),
siège archiépiscopal, comprend le gouvernement de Schouscha, fidèles 150,000, communes
169, églises 167.
83. NOUKHI, siège
épiscopal, comprend le district de Noukha, fidèles 50,000, communes 52, églises
51.
84. SCHAMAKHI, siège
archiépiscopal, comprend le gouvernement de Daghestan et le district de
Schamakhi, fidèles 60,000, communes 45, églises 34; catholiques 2,000.
85. BACOU, siège de prélat,
comprend le sud-est du gouvernement de Bacou, fidèles 30,000, communes 15,
églises 10.
86. ASTRAKAN, siège
archiépiscopal, comprend les provinces occidentales de
la Russie
, de Sibérie et du
Turkestan, fidèles 70,000, communes 45, églises 31.
87. KIZLAR, siège
épiscopal, comprend les provinces sud-est de Russie, fidèles 60,000, communes
25, églises 88. BESSARABIE, siège archiépiscopal, comprend les provinces
sud-ouest de
la Russie
,
fidèles 20,000, communes 19, églises 13.
89. NOR-NAKHITCHÉVAN, siège
épiscopal, comprend la région de Don, au sud de
la Russie
, fidèles 60,000,
communes 40, églises 34.
90. PETERSBOURG, siège de
prélat, comprend le nord de
la
Russie
, fidèles 4,000, communes 3, églises 2.
91. MOSCOU, siège de
prélat, comprend le centre de
la
Russie
, fidèles 4,000, communes 4, églises 3.
92. ISPAHAN, siège
archiépiscopal, comprend les provinces est de Perse, fidèles 30,000, communes
98, églises 70, catholiques 1,000.
93. TÉHÉRAN, siège de
prélat, comprend la province de l'Irak en Perse, fidèles 5,000, communes 17,
églises 15.
94. TAURIZ, siège
archiépiscopal, comprend la province d'Azerbédjan en Perse, fidèles 40,000,
communes 70, églises 100, catholiques 400.
95. HAMADAN, siège de
prélat, comprend les provinces du Kourdistan et du Louristan en Perse, fidèles
3,000, communes 10, églises 10; protestants 1,000.
96. CALCUTTA, siège
épiscopal, comprend les colonies des Indes et de l'Indo-Chine, fidèles 6,000,
communes 20, églises 10.
97. BATAVIA, siège de
prélat, comprend les colonies de l'île de Java, fidèles 4,000, communes 4,
églises 2.
98. SlCZAVA, siège de
prélat, comprend les colonies de Boukovine et Hongrie, fidèles 4,000, communes
10, églises 5, catholiques 5,000.
99. EUROPE, siège
épiscopal, comprend les colonies d'Angleterre, France, Belgique et Suisse,
fidèles 6,000, communes 20, églises 4; catholiques 15,000 en Galicie, Autriche
et Italie.
100. AMÉRIQUE, siège épiscopal, comprend les colonies des États-Unis
d'Amérique, fidèles 50,000, communes 50, églises 5, protestants 5,000. |